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Érudition vaticane et vacharde, pour adultes et bibliophiles

Les Clés de Saint Pierre, de Roger Peyrefitte

Flammarion, 1955, 438 p, épuisé.

jeudi 12 novembre 2009

Ce roman oublié [1] fut célèbre non pas tant pour son contenu réel que par le succès de scandale que lui valut la polémique de l’auteur avec François Mauriac. Ce dernier avait condamné le livre parce qu’il donnait une image homosexuelle de Pie XII, et Peyrefitte avait répondu par une fameuse lettre ouverte dévoilant la tartufferie de Mauriac et son homosexualité refoulée. Pour tout dire, la prétendue homosexualité de Pie XII, ne m’avait pas crevé les yeux à la lecture du livre, je n’avais pas tiqué aux quelques lignes citées dans les rares articles sur l’affaire. C’est surtout la dénonciation du goût du fric du Vatican et de la superstition mercantile qui règne sur le culte qui surnage. Le récit semble un prétexte pour étaler l’érudition de l’auteur sur un sujet qui ne passionnera plus grand monde. Quant à l’histoire qui sert de trame, elle tiendrait en quelques lignes : un séminariste de 22 ans séjourne à Rome chez un vieux cardinal pour achever sa formation ; sa foi est mise à l’épreuve par la séduction d’une jeune Romaine qui finit par le sommer de choisir entre elle et la prêtrise : que choisir ? L’intérêt de la fin du roman (encore faut-il y arriver), outre le cas de conscience patiemment construit, est la rencontre du Père de Trennes, personnage sorti des amitiés particulières.

Résumé

L’abbé Victor Mas devient secrétaire d’un prince de l’église, le cardinal Belloro, qui l’honore de son amitié et de ses confidences sur les coulisses du Vatican. Ses deux nouveaux « collègues », un chapelain, un secrétaire, sans oublier un « valet de chambre cynique », complètent ces informations. L’une des premières observations de l’abbé est un peu forcée par le valet de chambre : « La margelle du temple, en face du palais Belloro, se recouvrait, à une heure un peu plus tardive, d’un ourlet de cuisses nues : c’étaient les jeunes garçons en culottes courtes qui attendaient l’ouverture de l’école voisine, dont l’immeuble attenait au palais. L’abbé remarquait leur beauté, leur gaieté, leur fraîcheur. Le valet de chambre cynique, qui l’avait trouvé un jour à la fenêtre pendant qu’ils étaient là, lui avait dit de ne pas s’offusquer de leurs gestes. C’est ainsi que l’abbé y prit garde : ces enfants semblaient heureux de vérifier à tout moment l’existence, la consistance de leur jeune virilité. « Per Bacco ! dit le valet de chambre, ces petits savent déjà qu’il est beau d’être un homme. C’est un geste italien et vous le verrez faire à des monsignors. Les Français touchent de temps en temps leur portefeuille, pour s’assurer qu’ils ne l’ont pas perdu. Nous autres, Italiens, nous touchons autre chose. » (p. 15). Voilà pour le ton. Le Cardinal se fait une conception aristocratique de l’Église, dont les richesses sont « le sacrifice des pauvres » (p. 51). Sur un ton pince sans rire, Peyrefitte étale les superstitions des indigènes vaticans. La course quotidienne aux indulgences (p. 69) est un fil rouge, mais l’auteur est capable de nous infliger 15 pages sur la visite commentée des trésors du pape (pp. 145/159). La multiplication des reliques nous vaut quelques saillies : « avec tout le bois de la vraie croix, on chargerait un navire » (p. 267), ainsi que les canonisations inutiles : « la foi du charbonnier exige au moins du charbon » (p. 336).
C’est l’appât du gain qui nous vaudra les pages les plus grinçantes : « les clés de saint Pierre ouvrent les portes du ciel, mais il faut graisser la serrure » (p. 202), ainsi que la façon du Vatican de jouer de son influence politique qui selon le cardinal n’est qu’une illusion : « le Vatican doit louvoyer sans cesse entre le temporel et le spirituel » (p. 227). Au passage, le racisme n’est pas oublié : « Si l’on se met à nous demander des agnus Dei pour les nègres, où irons-nous ? » (p. 261). Ni le cynisme : « L’idéal communiste tend vers un nouveau moyen âge et l’ancien moyen âge reste notre nostalgie. Certes, nous prêchons une religion d’amour, mais nous l’avons prêchée longtemps à coups de goupillon » (p. 383). Mais l’auteur termine le séjour romain par une série de scènes d’une sorte de quinzaine promotionnelle où les moines se changent en charlatans écoulant une pieuse quincaillerie : « Ce scapulaire vous conférera trente indulgences plénières par an et douze absolutions générales — douze, privilège unique — plus d’innombrables indulgences partielles qui vont de trois ans et trois quarantaines à sept ans et sept quarantaines » (p. 412).

La luxure

L’abbé se fait draguer impudemment par la nièce du chapelain, Paola. Il commence à résister au rendez-vous qu’elle lui propose (p. 104), mais le voilà aux prises avec des « erreurs nocturnes » (p. 111), et il doit consulter son confesseur pour les pallier. Le cardinal condamne l’obsession de l’Église pour la chasteté : « C’est saint Paul qui a plongé le christianisme dans cette continence furieuse, pour se venger de n’avoir pu lui-même l’observer » (p. 122). L’abbé remarque la contradiction entre le décor luxurieux du Vatican et cette obsession qui ne fait qu’exacerber les passions. Paola manipule son oncle pour attirer l’abbé dans ses rets, en utilisant les suggestions du décor : « un autre saint Sébastien en bois sculpté souriait d’un air plein de gentillesse » (p. 171). L’abbé se rassure : « il n’avait que les ordres mineurs et la promesse de chasteté ne se faisait que dans les ordres majeurs » ; « le meilleur moyen de s’élever, était de s’être abaissé » (p. 173). Il sait bien qu’« On étudiait aussi en latin la luxure complète d’après nature, avec ses variétés de fornication simple et de fornication double (adultère, inceste, stupre) ; puis, la luxure complète contre nature avec ses variétés non moins attristantes » (p. 176) ; mais quand il fait l’amour pour la première fois, « la joie palpable de son bonheur était plus forte que la théologie » (p. 179). Paola n’est pas une débauchée : elle était vierge, et son amour suivra une courbe régulière jusqu’à la chute. L’abbé comprend que Rome est le « pays de la religion vivante » (p. 183) ; il remarque que la « beauté [des jeunes gens et des jeunes filles] venait non seulement de la race, mais de l’équilibre des besoins du corps et des besoins de l’âme » (p. 231), équilibre dû à l’héritage païen. Lorsqu’il est ordonné sous-diacre, l’abbé a un retour de chasteté, il parvient à éconduire Paola qui pourtant s’était mise en mesure de le sauver d’une conversation assommante (p. 282 ; Peyrefitte avait-il conscience de donner ici l’image de son livre ?). La fin de cette année apostolique sera difficile pour notre pauvre abbé, soumis à un cas de conscience des plus épineux.

Les amateurs de garçons

L’abbé ne mange pas de ce pain-là, mais il observe avec intérêt le manège des amateurs de garçons. C’est un bénéficier qui « s’était fait son cicérone avec des trémoussements, des sautillements, des pépiements, des remuements de mouchoir » (p. 131), et le quitte pour draguer un marin. Si la réputation de l’ouvrage vient de l’accusation de Mauriac d’avoir insisté sur l’homosexualité de Pie XII, eh bien ! elle ne m’a pas crevé les yeux à la lecture — preuve s’il en faut que c’est souvent le doigt tendu qui cause le scandale — mais au contraire, l’auteur condamne les fausses accusations en tout genre, qu’il appelle « procédé de la sussuratio » : « on murmurait que celui-ci avait été, dans sa jeunesse, mis à la porte du collège Capranica en même temps qu’un de ses camarades » (p. 235). Il rappelle avec érudition, mais pour les rejeter, les accusations du cardinal Jean du Bellay sur Sixte IV, reprises par un libelle qui « dépeint les escaliers du Vatican encombrés de bardaches qui montent et qui descendent et la place Navone remplie de courtisanes qui se lamentent de ne plus trouver pratique » (p. 246) [2]. La question du « saint prépuce » (du Christ) nous vaut un chapitre atypique, entièrement constitué des minutes d’une « séance particulière de la suprême sacrée congrégation du saint office » (p. 307), qui décide de confirmer l’excommunication de qui aborderait le sujet, et de mettre sous clef ledit prépuce (ou plutôt le plus sûr des « quatorze saints prépuces » (p. 316) en circulation).

Le Père de Trennes

Le Père de Trennes fait son apparition au débotté à la page 349, sous un prétexte fort mince. « Avez-vous lu Les amitiés particulières ? » demande-t-il, avant de se présenter. Il entreprend de se confier, plutôt que de se confesser, car il ne semble pas se considérer comme pécheur : « Ce qu’ils me dévoilaient par la grille du confessionnal c’était la luxure sous toutes ses formes, l’érotisme le plus insensé, la perversité la plus inimaginable. Du reste, ils n’avaient pas l’air de se débarrasser d’un poids qui accablât leur conscience : on eût dit qu’ils jouaient au jeu de la vérité, pour se délasser. […] cette pluie de feu eut raison de mes dégoûts, de mes épouvantes, de mes élans de charité. Bientôt elle ne me brûla plus et se changea en rosée délectable. […] mais autant j’ai fait le mal, autant je veux employer les dernières années de ma vie à le réparer. (p. 351/352). Le brave jésuite s’est donc attelé à la tâche de faire béatifier puis canoniser un adolescent retrouvé dans les annales des « vénérables » en attente de promotion. Évidemment au Vatican, l’argent est le moteur de la sainteté, et le vieux prêtre a dû reprendre contact avec « de riches débauchés que naturellement [il] ne voyait plus » (p. 357). C’est dans ce cadre que l’abbé avait entamé le processus pour remettre en odeur de sainteté le saint prépuce, dont il se voyait bien devenir l’aumônier. Pour le reste, il collectionne les effigies de pages de l’Église : « Admirez ma galerie d’ancêtres, fit le père en montrant les jeunes portraits » (p. 396), et professe une chaste pédérastie qui ne semble pas choquer le jeune abbé.

 Lire un chapitre inédit, une confession du cardinal à l’abbé, que l’auteur n’a pas osé introduire dans le roman, mais a publiée dans la revue Arcadie en 1964.
 Du même auteur, voir Les amitiés particulières.
 Pour poursuivre sur la papauté, dégustez mon billet d’humeur : Lâchons la grappe au pape !.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Bibliographie commentée de Roger Peyrefitte


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[1J’ai longtemps cru qu’il avait été interdit, mais il est juste passé de mode, et son succès fait qu’on en trouvera facilement des exemplaires dans les foires aux livres.

[2Eh oui ! les siècles ont passé mais ce genre de règlements de compte sur les mœurs règne toujours au Vatican : voir à la fin de cet article.