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Des historiens très orthosexuels !
La prostitution
Historia thématique, juillet-août 2006, 98 p., 5,5 €.
vendredi 6 avril 2007
Un ensemble d’articles signés d’historiens et de chercheurs, complété par des articles non-signés dignes de la presse à scandale. Le tout fournira quelques bons supports pédagogiques, mais attention, la prostitution altersexuelle est quasiment éradiquée du champ de ces historiens à œillères !
L’article de présentation liminaire augurait pourtant bien : « En cherchant à éviter la repentance (Historia n’est pas politiquement correct) ou la leçon de vertu (Historia n’est pas davantage concerné). » Malheureusement, le contenu n’est pas à la hauteur de cette déclaration d’intention. Certes, on peut lire des articles signés d’historiens sérieux, mais dont la spécialité est loin d’être la sexualité. Les grandes époques de la prostitution sont évoquées, même si l’on regrette certains oublis.
Ce qui est consciencieusement ignoré, c’est la prostitution masculine, et la prostitution transgenre. Je me suis livré à un relevé exhaustif des allusions, lesquelles dépassent rarement le cadre de la phrase isolée. En ce qui concerne la prostitution transgenre, c’est clair et net, elle n’est pas mentionnée une seule fois, ni par le texte, ni par l’illustration ! La prostitution masculine, hétérosexuelle ou homosexuelle, et l’homosexualité, sont mentionnées de-ci de-là, sans jamais être objet d’étude. C’est ainsi que Catherine Salles consacre pas moins de sept pages à un article intitulé À Athènes, pas d’hypocrisie (sic), en évacuant par cette unique phrase la question homosexuelle : « Parmi les pensionnaires des maisons closes, se trouvent aussi de jeunes garçons dont les Grecs sont de grands amateurs ». Amalgame homosexualité / pédophilie qu’on retrouvera souvent dans ce dossier… L’article consacré à Pompéi mentionne en passant « une scène saphique » sur une fresque. Aucune mention dans les articles sur le Moyen Âge. Dans un article consacré à Louis XIV, Marion Trévisi déclare : « La prostitution n’est plus, dès lors, considérée comme un service public empêchant le viol, l’homosexualité et l’adultère ». En paquet ! À se demander si ces historiens ont lu Sade ou Maurice Lever (Les bûchers de Sodome). Les articles consacrés au XIXe et au XXe siècle évoquent les « penchants homosexuels » de la prostituée-type vue par les écrivains (Balzac, Maupassant, Hugo, Zola…). Rémi Kauffer évoque, pour la réfuter, une rumeur qui fait fréquenter à Eva Braun un « bar à lesbiennes » voisinant un claque. Mais pas une ligne sur la prostitution homosexuelle ou masculine. Pourtant, un écrivain vaguement connu, Marcel Proust, y a consacré des pages inoubliables… La bibliographie en marge se contente de signaler un ouvrage, sans doute pour les pervers qui voudraient approfondir cet aspect indigne du lecteur-type d’Historia : Homosexualité et prostitution masculine à Paris, 1870-1918, de Régis Revenin, L’Harmattan, 2005. L’article consacré à la campagne de fermeture des maisons closes en 1946, justifie le revirement des communistes par cette phrase : « En URSS, au contraire, le socialisme en construction aurait fait disparaître, entre autres maux hérités du système capitaliste, prostitution et homosexualité ». On citera un extrait savoureux d’un discours de Marthe Richard prônant l’interdiction de « l’emploi dans les établissements ouverts au public de femmes de débauche ou d’individus de mœurs spéciales » !
Les articles de la dernière section, consacrée à l’actualité et notamment aux lois Sarkozy de 2003, tombent carrément dans « la leçon de vertu » que l’on se proposait d’éviter. Le mot « prostituée » est systématiquement utilisé au féminin, à une exception près, p. 82, ce qui rend les chiffres un peu flous : « Il y aurait aujourd’hui, entre 15000 et 18000 prostituées en France dont près de 7000 à Paris » ; « le nombre de prostitués aurait baissé de manière considérable en un an ». Une photo montre la première « Pute Pride » française, avec deux femmes, et une légende contenant le mot « prostituées » sans référence aux transgenre, alors que l’association organisatrice est beaucoup moins restrictive ! (cf le site des Putes). Les tout derniers articles sont dignes de la presse à scandale. On y relève un appel à l’indignation facile, ainsi qu’une focalisation sur la pédophilie (« Les frontières ne protègent pas les clients : tout coupable peut être poursuivi dans son pays d’origine. Du moins en théorie. » ; « L’exploitation d’autrui se banalise : peep-show, sex-tours et strip-clubs fleurissent dans les grandes métropoles » (sic)) et surtout, aucun apport sérieux d’historien, alors qu’on aurait apprécié en lieu et place un article sur les bordels militaires au XXe siècle évoqués au détour d’une phrase.
L’homosexualité et la prostitution masculine hétérosexuelle ne sont évoqués qu’en une ou deux phrases qu’on n’aurait pas pensé trouver ici : « D’autres tels que le Maroc, la Tunisie ou l’Égypte sont plus spécialisés dans le tourisme homosexuel » ; « Toutefois les hommes ne sont pas les seuls concernés. La clientèle féminine existe aussi, notamment à Cuba ou à Saint-Domingue qui voient arriver de riches Occidentales en mal de compagnie. Cette exploitation sexuelle demeure encore rare… pour le moment ». Ce genre de phrase digne du café du commerce mériterait commentaire, mais surtout, a-t-on besoin de payer des historiens pour ça ? Le dernier article consacré à Internet, rejette également l’information derrière l’indignation morale à trois sous : « Les sites à caractère sexuel ou pornographique sont tellement nombreux qu’on est obligé d’installer des logiciels de contrôle parental pour éviter que les enfants ne tombent sur l’un d’entre eux par mégarde » (p. 88). Ma concierge, Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy, Philippe de Villliers ou Christine Boutin ne diraient pas mieux ! Citons pour terminer une photo elle aussi digne d’un tabloïd, p. 85. On voit un homme ventru, apparemment assez jeune, en maillot de bain, enlaçant une fille ou femme plus petite que lui, apparemment assez jeune aussi, vue de dos, avec un maillot de bain et une chemise, dont les cheveux tombent sur les hanches, le tout sur une plage, avec pour légende : « Étreinte lamentable ». Rappelons qu’il existe des gens gros — est-ce un délit d’être gros ? — qui ont une sexualité gratuite avec des gens moins gros et parfois plus jeunes qu’eux, qui pourraient fort bien avoir été pris en photo à leur insu de cette manière ; la posture, pas du tout scabreuse, pourrait d’ailleurs aussi bien être celle d’un père et de sa fille, d’un oncle et sa nièce. On imaginerait plutôt ce genre de dénonciation dans une enveloppe de corbeau pendant la Seconde Guerre mondiale !
– Allons quand même voir un site signalé dans ce dossier, consacré à la prostitution africaine, notamment masculine, avec ce commentaire alléchant : « certains détails sordides peuvent choquer » ! Il s’agit du site Afrik. Voir un sujet de bac sur le roman incluant un extrait de ce dossier : Le plan de Claude-Nicolas Ledoux intitulé « Oikema ». On peut lire l’ouvrage La Prostitution à Paris (La Martinière, 2005), publié sous la direction de Marie-Elisabeth Handman et Janine Mossuz-Lavau. Cet ouvrage contient un chapitre qui aborde la prostitution masculine, lequel article aurait été pillé sur ce site, sans mention de source, par un certain Paul Vaurs. Pour les classes, on pourrait s’intéresser au film Casque d’or et à la prostituée qui l’a inspiré, Amélie Élie. Lire les articles sur Splendeurs et Misères des courtisanes, d’Honoré de Balzac et sur Nana, d’Émile Zola.
Voir en ligne : Le site des Putes
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