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Crise de la puberté, à partir de 12 ans.

Les Cahiers de Rémi, de Dominique Richard

Éditions Théâtrales, 2012, 220 p., 9,9 €.

samedi 10 janvier 2015

Ce livre contient un texte hybride, à la fois une pièce de théâtre à jouer par des adolescents et / ou des adultes, et des illustrations de Vincent Debats. Le mot « cahier » est utilisé à a fois pour désigner les 4 parties de la pièce : « Premier cahier : le temps des rêves » ; 2e : « des vacances » ; puis « des secrets », enfin « des oublis », mais aussi pour les « cahiers » d’illustrations, qui sont deux par partie, donc huit en tout. Ces illustrations constituent un carnet intime constitué de photos ou de documents collés et commentés, avec une progression d’un cahier enfantin à un cahier plus adolescent. Le paratexte ne fournit pas d’indication sur l’utilisation de ces illustrations dans l’éventualité d’une représentation théâtrale ; et le dossier pédagogique de l’éditeur ne nous aide guère dans cette voie, pourtant ils ne sont pas purement illustratifs, et constituent une partie de la progression de l’idiosyncrasie du protagoniste. Il ne s’agit pas d’une pièce avec intrigue et tout ce qui s’ensuit, mais d’une plongée dans la psychologie de Rémi, un adolescent de 11 à 15 ans au fil de la pièce, qui se construit au fil de son adolescence dans la découverte de son amour pour les garçons, mais aussi s’affronte au fantôme d’un frère qui a quitté la maison.

Jadis

La scène inaugurale a lieu à onze ans, un garçon, « l’ami », fait une déclaration maladroite à Rémi : « j’aimais être à côté de lui au cinéma, et sentir son coude contre ma peau, ou quand son genou frôlait le mien » (p. 10). Dès cette scène, la particularité de l’écriture apparaît : les personnages se parlent, mais s’adressent aussi au public en expliquant leurs pensées au moment où ils sont censés agir. Le dispositif (dont il ne sera pas abusé) facilite sans doute l’interpellation du spectateur, et empêche l’illusion réaliste. Il s’agissait d’un camarade de classe avec qui Rémi partageait des moments de loisirs. Cette déclaration semble l’avoir bloqué ; elle est qualifiée de « premier couac sentimental » (p. 13). Rémi est marqué par le départ brusque de son frère aîné, à qui il reproche de n’avoir laissé aucune explication, et qu’il retrouve dans une série de scènes oniriques tout au long de la pièce. Le frère : « Ça n’existe pas l’amour, que de la bile et des glandes, des nerfs et des muscles. Je ne sais plus ce que ça veut dire, homme, je ne croise que des loups qui se reniflent » (p. 27). Le frère a une famille, a fait de la prison, et refuse de voir Rémi, mais il le voit toujours dans ces rêves. Dans l’une de ces rencontres, Rémi se rappelle une occasion où son frère a amené une fille en cachette en l’absence des parents, et où Rémi les a espionnés : « tu étais sur elle à haleter, les volets étaient poussés, je revois tes fesses blanches apparaître et disparaître » (p. 113). Les « cahiers » illustratifs de cette période ont déjà une tonalité très ado : « Je dois paraître insensible. Brutal, ce serait mieux » (p. 35). Les vacances s’annoncent ennuyeuses : « Deux mois sans se fréquenter, j’espère que je ne serai pas trop, désespéré… Je lui écrirai des cartes postales » (p. 45). On remarque l’aspect intemporel : l’action se passe à une époque apparemment où les cartes postales sont le seul moyen de se contacter en vacances, et où il n’existe pas d’autre jeux que la « belote ». Peut-être nostalgie de l’enfance de l’auteur ?

Au fil des rencontres

Les épisodes s’enchaînent sans lien chronologique ; ce sont des flashs de souvenirs, et les scènes sont indépendantes, elles mettent toujours aux prises un seul personnage avec Rémi. Un « caïd » interpelle Rémi : « Hé, la princesse, j’ai deux mots à te dire ! ». Il tente de le racketter, lui piquer ses vêtements de marque, puis retournement : « Si je t’avais abordé en te racontant que j’avais envie de bavarder, que je te trouvais mignon dans ton costume de toutes les couleurs, tu te serais arrêté ? » (p. 51). Au fil des rencontres on trouve un concours de parlote avec un enfant devin (p. 79), une confrontation avec un cousin plus âgé qui lui parle de filles, de masturbation sur des magazines porno, et lui reproche de ne pas s’y intéresser : « Si tu continues, je vais finir par croire que tu aimes les hommes » (p. 99). Même s’il n’y a pas de chronologie précise, l’adolescence suit son cours. Rémi sèche le lycée, et provoque sa mère : « On va réfléchir si on doit occuper le lycée, ou le désoccuper ou le faire sauter » (p. 116). Un « garçon inconnu » qui semble plus expérimenté que lui, lui propose : « si tu me paies, je t’embrasse » (p. 153), puis suggère un jeu pour l’embrasser gratos ! Il figure une image de Cupidon : « Je vise les promeneurs de la nuit, et je décoche mes flèches ! » (p. 158). Il y a une confrontation avec une prof, qui trouve Rémi « une espèce d’élève « Troisième République » » (p. 166). Un cousin (le même qu’avant ?) devenu militaire, qui ne comprend pas grand-chose à ce qu’on lui fait faire, et pour lequel Rémi s’inquiète. Une dernière scène avec la mère montre celle-ci le questionnant pour savoir s’il a une copine, et ne comprenant pas un rêve où elle est à l’hôpital sur le point de mourir. Rémi vient la voir avec « un autre homme que je n’avais jamais rencontré », et il lui « semblait que vous étiez très proches » (p. 201). Enfin, c’est un « jeune homme », apparemment camarade de lycée, qui lui a déclaré qu’il l’aimait : « Tu ne pourras jamais aussi bien montrer ton courage » (p. 206). Dans la scène suivante, Rémi rencontre « l’ami retrouvé », le camarade qui lui avait fait une déclaration dans la scène d’exposition, et ils se rappellent cet épisode, ce couac dont ils n’ont rien voulu faire. C’est l’occasion de faire une allusion à Hubert, héros des épisodes précédents : « je le trouvais beau à l’époque, tellement beau » (p. 208).

Les cahiers d’illustrations

En parallèle, les cahiers présentent des réflexions désabusées, des provocations, des énigmes mathématiques assez poussées, des aphorismes. La période la plus « adolescente », avec un graphisme approprié, propose des revendications incohérentes typiques de cet âge : « droit ne pas ranger sa chambre comme il l’entend, et de ne pas passer l’aspirateur » ; « droit d’être amoureux de qui il veut, et de pouvoir le crier sur les toits » (p. 122). Une autre image montre le père en « ennemi politique » qu’« il aurait fallu sûrement éliminer », et le gag c’est que l’image montrer le père lisant… le Nouvel obs ! Quant aux résolutions du carnet, à 15 ans elles se font plus précises : « Aujourd’hui, j’ai quinze ans, et ce soir je tiendrai un corps de garçon dans mes bras, n’importe lequel […]. Je serrerai sa poitrine, je lécherai sa peau salée, j’effleurerai le bout de ses tétons » (p. 142) ; puis « Être fidèle à un inconnu croisé dans la rue. Lui déclarer son amour. Lui écrire tous les jours, en vain. »

 Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».

Label Isidor HomoEdu

 On retrouvera Dominique Richard et son Rémi dans Le Journal de Grosse Patate, dans Les Ombres de Rémi, dans le recueil collectif Court au théâtre 1, et dans Hubert au miroir.
 En 2014, Dominique Richard publie chez le même éditeur, et avec le même illustrateur, L’Enfant aux cheveux blancs (96 p., 8 €). Il s’agit d’une pièce philosophique dans le même style, sur le thème de l’engagement, une œuvre de commande. Le thème de l’homosexualité masculine est également présent chez le personnage principal, un enfant qui proclame son amour pour un garçon. Pour présenter cette pièce, on ne saurait mieux dire que son commanditaire Jean-Claude Gal, directeur du théâtre du Pélican de Clermont-Ferrand : « Et la beauté qui s’en dégage rend d’autant plus difficile la transmission de cette pièce » (p. 82).

Lionel Labosse


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