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Le gouvernement des faits divers : Macron, nouveau Sarkozy ?

lundi 16 octobre 2017

J’ai déjà publié plusieurs articles sur le sujet, alors je serai bref pour juste faire remarquer, à travers un sujet d’actualité en cette mi-octobre, que malheureusement, Emmanuel Macron se révèle de la même farine que ses prédécesseurs : on gouverne en se basant non pas sur la réalité, mais sur le journal de vingt heures de TF1. Alors qu’est-ce qui se passe d’intéressant dans le monde en ce moment selon TF1 ? Eh bien un meussieu célèbre est accusé de strausskahniser. Quelle mesure phare prise par le gouvernement, une mesure mûrement réfléchie, qui faisait partie du programme sur lequel le candidat fut si brillamment élu ? On annonce d’une part que l’on va à nouveau alourdir les peines pour « crimes sexuels », notamment par « l’allongement des délais de prescription pour les crimes sexuels sur mineurs », qui va bientôt égaler l’imprescriptibilité des génocides (Lire cet article), et d’autre part, le vilain meussieu sera privé de sa légion d’honneur.
Assassiner 5 ou 6 millions de juifs sera donc bientôt autant puni que d’avoir un rapport sexuel avec un mineur. On se souvient que déjà du temps de l’inénarrable Ségolène Royal et compagnie (ce n’est pas Sarkozy qui a inventé le concept de gouverner au fil des faits divers ; il a seulement porté cet art au maximum), à chaque affaire de pédophilie, on sortait un nouveau projet de loi pour durcir le code pénal uniquement pour ces crimes-là, de sorte qu’il vaut presque mieux, une fois qu’on a eu un rapport sexuel avec un mineur, le découper en morceaux à la tronçonneuse, de façon à ce que cela soit qualifié de simple meurtre et plus d’« atteinte sexuelle » ! Donc Madame Schiappa a eu une idée révolutionnaire : durcir les peines. Elle a dû faire l’ENA, c’est sûr, nous on est trop bêtes, on n’y aurait pas pensé. Par contre, légaliser le cannabis, comme cela se fait partout maintenant, alors là, circulez, y a rien à voir ! (lire cet excellent article récent sur un blog de Médiapart). Au lieu de pouvoir souffler avec la contraventionnalisation de la consommation du cannabis, une mesure qui, même si elle est insuffisante, va dans le bon sens, les policiers vont donc devoir mettre des amendes à tous les connards qui dragueront des femmes de façon trop appuyée, et les tribunaux français, qui n’arrivent déjà pas à traiter les affaires courantes, vont être encore plus engorgés… Sans parler, avec cette campagne mondiale en faveur de la délation, des dossiers d’allégations réelles ou malintentionnées détruisant des réputations et engorgeant des tribunaux déjà incapables d’assurer le service public de justice. Dans mon immeuble, une affaire de mauvais payeur nous a empêchés de faire réaliser des travaux parce que le procès, pourtant fort simple, a été ajourné, puis à nouveau ajourné, etc. Eh bien grâce à ce genre de mesures populistes, ça continuera à s’aggraver… Et à terme, nous arrivons à une société où il ne sera plus possible aux garçons hétérosexuels de draguer des filles. Draguer des filles ne sera plus autorisé qu’aux filles ; et les garçons n’auront plus droit qu’à draguer des garçons… Et quand vous aurez lu l’article de Médiapart ci-dessus, vous comprendrez que les hommes qui seront touchés par les contraventions pour « harcèlement de rue », seront les mêmes qui sont actuellement touchés par la répression de la consommation du cannabis : ceux qui font ça dans la rue. Si le méchant producteur étasunien a pu strausskahniser en toute impunité pendant des années, c’est parce qu’il faisait ça discrètement, dans des endroits privés où nul flic ne peut être témoin. De même qu’il est connu de tous que des prostituées exercent dans les parages du parlement européen pendant les sessions, mais le gouvernement français qui de même qu’expliqué ci-dessus, fait de la surenchère permanente dans la surpénalisation de la clientèle des prostituées quand cette clientèle appartient au peuple, a-t-il présenté un plan d’exemplarité ciblant particulièrement les parlementaires de Strasbourg ? Si l’on veut faire des exemples frappant l’opinion, n’est-ce pas le lieu idéal ? Et c’est extrêmement facile, en plus. Je suis persuadé que la police a déjà tous les noms sur son bureau. Ou bien le gouvernement préfèrerait-il se servir discrètement de cette liste pour faire pression sur les députés en cause… On découvre actuellement avec l’affaire du vilain meussieu que « tout le monde savait » ; mais rappelez-vous l’affaire Strauss-Kahn : là, quelle surprise, personne ne savait, et personne n’aurait été malintentionné pour se servir de ce petit secret pour faire pression sur une personne un peu influente ?
De son côté, le président en a rajouté une couche : avant même que le type soit jugé, et donc sans tenir compte de la sacrosainte présomption d’innocence dont les politicards nous bassinent toujours dès lors qu’un des leurs est en cause, il va lui retirer sa légion d’honneur. Jean-Pierre Filiu a eu beau jeu de vérifier dans la liste des membres de cette Légion, et de trouver un Bachar el-Assad qu’il serait plus courageux de rayer de la liste. Il ne s’est pas comporté comme un goujat avec des stars, il a simplement assassiné des centaines de personnes… TF1, peut-être, qui appartient à un groupe de maçons très actifs au Moyen-Orient, parle moins des exploits de ce monsieur… Enfin M. Macron s’honorerait, puisque l’honneur semble être légion dans son parti, de ne pas instrumentaliser un fait divers en particulier, de ne pas aller dans le sens populiste des appels à délation qui déferlent sur le monde entier, mais de prendre une vraie décision politique : une vérification annuelle des actes des milliers de ces légionnaires de l’honneur, et radiation immédiate des listes au moindre fait médiatisé… Allez hop, et que ça saute ! En tout cas, si Macron va au bout de ce qu’il a dit et laisse la légion d’honneur à el-Assad et à d’autres personnes qui en sont indignes, alors nous pourrons le traiter de gougnafier.
Mais il n’y a pas que Macron : récemment, les médias ont beaucoup parlé du « manspreading ». Immédiatement, Valérie Pécresse, la présidente du conseil régional d’Île-de-France, déclarait qu’elle allait diligenter une enquête… Et toutes les autres problématiques de la sécurité dans les transports, elle s’en bat l’œil ; pas de quoi enquêter sur la sécurité dans les transports en général ; les écarteurs de cuisses sont les seuls causes d’insécurité !

Pourtant, Google m’amène sur un article très court, révélant qu’un éphémère ministre se serait inquiété, en 2013, d’une surmédiatisation des faits divers. Ce genre de ministre saute vite : il ne connaît pas bien les Français… Macron a vite compris comment on devient populaire. Lui qui vilipende (à juste titre) les déclarations populistes de Mélenchon, il se met à agir de même, sauf qu’il a le pouvoir, et que ses paroles peuvent devenir des actes. Chaque déclaration de Mélenchon déclenche un buzz, ce qui a le don de m’énerver, car j’attendrais plutôt de lui (j’ai voté pour lui) qu’il utilise ses fenêtres médiatiques et parlementaires pour aborder des sujets dont personne ne parle et qu’il pourrait forcer les journalistes à aborder, plutôt que ses déclarations symboliques sur des faits dont 90 % des gens qui ont voté pour lui n’ont rien à foutre. Par exemple, il pourrait aborder la question de l’invasion publicitaire décidée par Sarkozy et aggravée par Hollande, sur les ondes de Radio-France. Et de l’invasion publicitaire en général dans l’espace public. C’est un sujet de gauche : si l’on interdisait un certain nombre de publicités inutiles (par exemple les pubs pour les produits alimentaires), le prix des denrées baisserait mécaniquement, au profit des classes populaires. C’est de cela qu’un politicard qui se prétend de gauche devrait parler, non ? Mais pourquoi cette déclaration de Macron n’a déclenché qu’une seule réaction d’un seul éditocrate ? Pourquoi les autres médias se taisent-ils ?
Mieux, le 25 novembre 2017, le lendemain d’un attentat qui coûte la vie à 305 soufis en Égypte, le même président de république fait respecter une minute de silence, je cite, « pour les 123 femmes tuées par leur conjoint ou ancien conjoint en 2016 ». Donc pas de silence pour les 14 hommes tués par leur femme chaque année, ni pour les 305 soufis, ni même pour les femmes tuées par un autre connard que leur conjoint. J’ai déjà dit tout ce que je pense de cette démagogie dans cet article. Je rappelle au passage que je fus à peu près le seul lors du débat sur le mariage gay, à défendre l’idée selon laquelle le PACS était mieux que le mariage, notamment en cas de violence conjugale, car on peut se dépacser en un jour, alors qu’on divorce en six mois. Mais je n’ai pas eu la parole… (Voir cet article).

 Voyez aussi sur ce sujet, mes articles « Une femme agressée dans le métro : usagers tous coupables ! » ;« Le juke-box de l’indignation : l’affaire bidon du RER D » et La Jeune fille et la mort, de Roman Polanski.

 La vignette provient de ce site qui proteste contre les appels à délation utilisant les moyens de communication modernes, par lesquels la police et la justice, exsangues, remplacent le fonctionnement normal du service. Il faut maintenant y ajouter des sites de dénonciation, encouragés par les plus hauts échelons de la politique. Il y a 2500 ans, les Grecs avaient pourtant inventer une alternative à la délation et au lynchage, ça s’appelait « justice »… Faut-il vraiment être juif ou arménien pour éprouver une répulsion épidermique à tout appel au lynchage ? Est-il vraiment impossible que les drames de l’histoire nous apprennent quelques réflexes de bon sens ? Tiens, par exemple, quand il est question d’un traitement contre l’addiction sexuelle expérimenté (volontairement) par Harvey Weinstein, peu de commentateurs ont fait le lien avec les traitements contre l’homosexualité de type thérapie par aversion ou castration chimique. C’est évidemment pour l’instant un moyen de défense maladroit d’un pauvre type acculé par la meute, mais espérons qu’on n’en vienne pas à faire subir aux hétéros ce qu’ont subi les homos.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Article de Jean-Pierre Filiu