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Un roman pas raciste, pour les 4e

Maboul à zéro, de Jean-Paul Nozière

Gallimard, Scripto, 2003, 159 p., 8 €.

mardi 1er mai 2007

Malgré un style séduisant et efficace, malgré des personnages attachants, il est difficile d’adhérer au propos manichéen de ce roman antiraciste. Il ne fait qu’effleurer le sujet de l’homosexualité, lequel aurait ajouté la pincée de sel permettant à tous les lecteurs de se remettre en cause, plutôt que de se contenter d’opposer les gentils Maghrébins aux méchants « 63 % de Français ». Ce genre de roman arrivera-t-il quand Gallimard et ses Gallimarcés auront des dents, ou faut-il plutôt nous tourner vers des éditeurs un peu plus en phase avec la société ?

Résumé

Aïcha,14 ans, sa mère Zohra, son père Karim et son frère aîné Mouloud, 18 ans, partagent une loge de gardienne au collège de Sponge. Sous prétexte d’une épilepsie pourtant guérie, Aïcha préfère travailler par correspondance, et s’apprête à passer son bac à l’âge de 14 ans. Elle est aidée par un prof de français, Dieudonné, qui lui donne des cours particuliers et l’appelle « ma poule », ce qui donne lieu à des commérages. Elle veille sur Mouloud, qui a perdu la raison, se rase le crâne (d’où le titre), et se prend chaque jour pour un joueur de foot célèbre différent. Elle espionne le courrier et les conversations téléphoniques du collège pour y découvrir le racisme quotidien des Spongeois qui se plaignent de la présence de ces « Arabes » un peu spéciaux dans la loge. Elle fait raconter à sa mère son histoire, qu’elle enregistre sur cassette, et l’on apprend peu à peu les causes de son départ d’Algérie, de la folie de son fils et de l’épilepsie d’Aïcha, dont il est d’ailleurs étonnant qu’elle n’ait pas de souvenirs personnels, ayant quitté l’Algérie à 6 ans. En parallèle, les élections de 2002 se déroulent, avec Le Pen au second tour, et les relations avec les Spongeois sont encore plus tendues, par exemple avec la principale du collège, qui les défend, mais conseille quand même à Zohra de changer de poste !

Mon avis

Comme dans La vie comme Elva, du même auteur, les promesses tenues par la belle couverture et le titre (une stylisation du drapeau algérien) ne sont pas tenues, et pourtant Maboul à zéro est un beau livre au style sobre, aux métaphores efficaces. Le personnage central, fort réussi, est proche de Simple, de Marie-Aude Murail, même si l’éveil de sa sexualité (il a 18 ans) est trop sagement cantonné au découpage de femmes dans les magazines. Zohra est réussie, et il faut saluer l’existence en littérature jeunesse, d’une femme d’origine algérienne athée : « Ne joue pas à l’Arabe, maman, pas maintenant. Tu ne crois pas en Dieu. Allah n’a rien à voir dans notre histoire » (p. 34). Il faut saluer aussi un ouvrage qui ose parler politique, l’un des tabous de la littérature pour adolescents. Pourtant il est difficile de croire à cette invraisemblable ville de Sponge (la même que dans La vie comme Elva), censée compter 1000 habitants et un collège et 29 % de vote Le Pen qui ferait 250 bulletins (p. 142). Même cette famille entière vivant dans une loge de collège avec une fille non scolarisée pour un prétexte aussi cousu de fil blanc passerait mieux si, d’un autre côté, l’auteur n’avait pas cité nommément Le Pen, Chirac et une situation réelle. On se dirait que c’est une allégorie et on passerait outre les invraisemblances. Quant aux chiffres cités, ils me semblent un peu faciles, parfois contradictoires, ou du moins la situation me semble-t-elle trop manichéenne pour une collection s’adressant en principe à de grands adolescents comme Scripto.
Karim, qui se scandalise du racisme, se revendique de nationalité française (p. 125), et le couple participe au vote, ce qui devrait inciter à lire avec un bémol l’information donnée page 99 : « Sondage : 63 % des Français estiment qu’il y a trop d’Arabes en France ». Quelques pages plus loin, cela devient : « Avec leur bulletin de vote, un quart des habitants diront « dehors les Arabes ! » » (p. 128). Lors de la venue de l’écrivain Kateb Azouzi (clone de Azouz Begag), « toute la classe » tombe amoureuse de l’écrivain, alors qu’une lettre anonyme d’une mère d’une des élèves dénonçait la venue de cet « auteur arabe » (pp. 145 et 152). Comme si l’auteur voulait accuser seulement les méchants adultes et dédouaner tous les gentils collégiens à qui de gentils professeurs donneront à lire son gentil roman. Aucune autre communauté immigrée n’est citée, ce qui évite de s’interroger sur un racisme plus subtil que celui des « Français » contre les « Arabes », ou sur le fait que certains Français d’origine maghrébine pourraient eux aussi éprouver ce sentiment que leurs anciens compatriotes devraient éviter de les imiter. L’amalgame entre « vote Le Pen » et haine des « Arabes » est complet, il séduira les gentils anti-racistes sans proposer la moindre réflexion : « Tu sais qui est Le Pen ? […] — Un individu qui hait même les aliments que tu manges » (p. 143). Sauf peut-être le personnage secondaire de Farid, mauvais élève qui met ses échecs sur le dos de « ces salauds de racistes » (p. 62). Je suis désolé, mais on ne fait pas de bonne littérature avec des caricatures de sentiments, et cette caricature me semble l’envers de la caricature des Arabes qui sévit, effectivement, chez une bonne partie de nos compatriotes. Taper sur des opinions avec un marteau peut-il faire avancer le schmilblick ?

En ce qui concerne l’homosexualité, l’auteur a-t-il eu peur d’aller au bout de son idée ? Aïcha repousse l’amitié de son amie Lola, qui lui dit « Je t’aime Aïcha » (p. 90). À la pizzeria, le serveur Carlo, dans cette petite ville si peu tolérante, déclare sur le ton de la plaisanterie à Karim, le père ouvrier d’Aïcha, âgée alors de 13 ans : « Vous affolez pas, monsieur Djemaï, votre fille ne risque rien, moi mon truc, c’est les mecs » (p. 95). Karim doit se faire préciser les propos par sa fille : « Qu’est-ce qu’il a voulu dire, là ? — Qu’il est pédé, avait dit Aïcha » (p. 95). Karim est surpris qu’elle prononce ces mots, et devient « plus distant qu’il ne l’était déjà avec elle ». C’est ici que l’auteur a raté son sujet : confronter l’indignation de ce brave papa contre le racisme des Français (dont il fait partie) avec son indignation à lui contre le fait que sa fille puisse être lesbienne. Karim se rendrait compte alors que sur un sujet au moins il partagerait les préjugés de nombreux lepénistes. (Voir à ce sujet notre article sur une Intervention du MAG). Maboul à zéro mériterait donc une suite qui aille dans ce sens, le jour où Gallimard autorisera qu’on traite d’homosexualité dans sa production [1].

 Voir, du même auteur, Mortelle mémoire.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Site de Jean-Paul Nozière


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[1Au jour où j’écrivis ces lignes, à part l’ancienne exception Côte d’Azur, cet éditeur brillait par sa frilosité sur le sujet ; retard rattrapé depuis avec entre autres Sexy, de Joyce Carol Oates.