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Visons et vérité, pour les 4e

La Vérité crue, de Patrice Favaro

Éditions Thierry Magnier, 2012, 176 p., 9 €.

samedi 16 février 2013

Un roman récent sur un personnage d’ado dyspraxique. Un road movie baba-cool qui vous mènera dans les alpages et dans un univers écolo-végétarien quelque peu militant. Si les thèmes abordés sont rares en littérature jeunesse, et bienvenus pour compléter notre panel de prise de conscience des discriminations vécues, le ton un peu trop militant me semble desservir les causes qu’il soutient.

Résumé

Le roman commence avec une scène primitive : âgé de 7 ans, Raphaël découvre que les petits veaux vont à l’abattoir pour être mangés, cela sur fond de dispute parentale. Il devient avant l’âge un militant végétarien, qui donne des sueurs froides au directeur de son école. Il se pose tel Jésus les bras croisés au milieu du réfectoire, et proteste : « Mon ventre, ce n’est pas un cimetière pour les petits veaux ! » (p. 13). Ce garçon souffre de dyspraxie : « Il a envie de leur crier qu’il n’est pas attardé, ni débile, pas plus qu’il n’est un « gogol », qu’il s’agit seulement dans son cas « d’une anomalie développementale du traitement des informations visuo-spatiales et de l’acquisition des gestes complexes » » (p. 20) [1]. Par exemple, cela l’empêche de suivre le vol d’un aigle, ou ralentit sa marche dans une randonnée, et souvent on se moque de lui. Il découvre Jésus crucifié à l’occasion d’un enterrement, et sympathise avec le personnage. Il devient « Jésus-qui-sauve-les-bêtes ». On le retrouve à l’âge de 15 ans, hébergé dans la ferme familiale par sa grand-mère, à Cavaillon. C’est la première fois que ses parents l’abandonnent le temps des vacances, et ils sont inquiets. À juste titre, car dans cette famille Groseille, l’oncle et le neveu sont un peu bruts de décoffrage. Ils prennent Raphaël pour bouc-émissaire, incapables de comprendre qu’il est végétarien d’une part, dyspraxique d’autre part. Le cousin notamment le tyrannise, et prend plaisir à exhiber la souffrance des bêtes, lapins ou poissons : « Tu vas pas chialer pour un poisson, non ? T’es quoi, une tapette ? » (p. 37). Angélina, une ado du coin, elle-même méprisée par le même cousin qui la traite de fille de pute, prend Jésus sous son aile. Il lui explique posément son mal : « Les praxies sont des fonctions cognitives élaborées, qui permettent la gestion de tous les gestes volontaires, finalisés. » (p. 45).
La deuxième partie est un « road movie » : les deux ados décident de libérer des visons ; ils sympathisent avec le gardien du lieu, Élie, qui les prend sous son aile. Lui-même est une sorte de SDF, traumatisé par la culpabilité de la mort de son fils. Angélina invente une sombre histoire de fugue ; Élie y croit, il les mène dans une ferme baba cool dans les alpages, appartenant à son ancienne compagne, Mona, qui les accueille et leur sert du « rooibos » (p. 129), bien qu’elle en veuille à son ex-compagnon de refaire surface sans prévenir avec deux ados en fugue qui risquent de les mener en prison. Jésus sympathise avec des loups, il parle même couramment le loup (p. 158), et tout est bien qui finit bien.

Mon avis

J’ai souhaité lire ce roman parce que, comme vous le savez, si le cœur de nos préoccupations sur ce site est la question altersexuelle, ma conviction est que les discriminations sont mieux prises en compte si elles sont considérées globalement. Le thème de la dyspraxie est rarement traité, et il se trouve que j’ai eu récemment un élève dyspraxique, affection dont j’ignorais jusqu’au nom. D’où mon intérêt pour le sujet. Ce roman m’a déçu, car la question de la dyspraxie est traitée de façon trop expéditive et didactique, et laisse place immédiatement à un autre thème qui prend toute la place (au point qu’on évacue presque jusqu’à la fin les personnages de la famille de Raphaël), la question du végétarisme (mot employé p. 123). L’auteur a fait de son personnage enfant puis ado un militant fanatique du végétarisme. Si l’on compatit lorsqu’il se fait persécuter par son oncle et son cousin caricaturaux, ses poses de martyr brigittebardesque agacent vite, et desservent sa cause. L’auteur prend soin cependant par la bouche d’un psy, d’établir un lien entre le handicap et « cet intérêt persistant et de plus en plus aigu pour la souffrance des animaux » (p. 146). En ce qui me concerne, je suis un viandard honteux, et c’est le ventre plein d’une côte de bœuf aux pommes de terre au four que je rédige cet article ! Mais j’ai eu plusieurs amis végétariens, hommes, femmes, homos, hétéros. Jamais aucun d’entre eux ne m’a jamais fait la moindre leçon de morale sur le végétarisme, et je les en remercie. J’ai toujours cuisiné pour eux avec plaisir, et quand je suis en Inde ou à toute autre occasion, je mange végétarien sans que cela me coûte. Je pratique même la monodiète deux fois par an… Mais j’ai horreur des leçons de morale. Les végétariens sont d’ailleurs plus souvent victimes de leçons de morale de mangeurs de viande, comme cela arrive à notre héros. La question du handicap est laissée de côté, et cet aspect donneur de leçon du personnage dessert la cause que le livre est censé défendre. À réserver donc aux inconditionnels de Brigitte Bardot. La démonstration manque de finesse, par exemple lors de l’attaque pro-visons, voici les déclarations des héros, qui vont jusqu’à l’apologie de la violence : « Ça me révolte, ça me dégoûte… Tout ça pour que des grosses poufs portent de la fourrure » ; « Tu as bien fait de cogner dessus » (p. 64). Le livre propose d’ailleurs un « miroir légitimant » à la p. 69, dans la scène où Angélina invente une histoire édifiante pour justifier leur fugue : « La DASS c’est extrêmement pratique : ça émeut toujours, ça inspire la sympathie, ça rappelle l’abandon, la maltraitance, les orphelins, et ça laisse les coudées franches aux personnages de l’histoire ». Le problème est que le roman tire à volonté sur les mêmes ficelles lacrymales. On a droit par exemple à un « petit cheval » qui pleure à l’abattoir, « j’te jure, j’mens pas » (p. 134). Bon. Vous reprendrez bien un peu de ce steak de cheval ? On aurait envie qu’un personnage non-végétarien pousse un peu le garçon dans ses retranchements, lui demande par exemple s’il irait à l’instar de certains jaïnistes jusqu’à porter un masque pour éviter d’avaler des insectes (je me demande parfois si ce cliché n’est pas une légende urbaine !), ou lui fasse remarquer que ses amis les loups, les porcs et de nombreux poissons sont omnivores.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Article de Wikipédia sur l’auteur


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[1Pour un livre sur un « attardé », voir Simple, de Marie-Aude Murail.