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La vie, l’amour, la mort, pour les 4e / 3e.
Fous pas le camp, Nicolas ! de Claude Raucy
Éditions Mémor, coll. Couleurs, 2000, 117 p., 9 €.
mardi 1er mai 2007
En dépit de ses bonnes intentions, Fous pas le camp, Nicolas ! me semble avoir raté sa cible, tant par sa composition que par le traitement du thème du sida. Trop d’invraisemblances, et un narrateur externe qui n’intervient pas dans l’action, et nous empêche d’en savoir plus sur Nicolas.
Résumé
Le récit est presque entièrement pris en charge en focalisation externe par un certain Claude — il porte le prénom de l’auteur mais on ne sait rien de lui — qui raconte à Mathieu, à la deuxième personne du singulier, l’histoire de sa brève relation avec Nicolas, un condisciple malade du sida. Après la mort de Nicolas, Mathieu répondra à Claude par quatre lettres. Mathieu est fils unique, traumatisé par le divorce de ses parents ; il change d’établissement scolaire comme de chemise, ne parvenant à s’intégrer nulle part. Sa mère, auteur d’ouvrages de psychologie, ne parvient pas à communiquer avec lui, du moins sa formation de psy interfère-t-elle négativement dans sa relation maternelle. Dans le nouveau lycée qu’il intègre, Mathieu apprend que Nicolas est malade du sida. Il est mis à l’écart, personne ne semble vouloir être ami avec lui. Cela trouble Mathieu, et il n’a de cesse qu’il ne soit devenu son ami. Il commence par apprendre tous les détails de sa maladie. Il s’agit d’une contamination suite à une transfusion. Mathieu devient donc l’ami de Nicolas, et en parallèle, il entame une relation érotique avec Françoise, jeune fille draguée dans la rue. Il a besoin de cette relation avec une personne « en bonne santé » (p. 69) pour supporter la dégradation de l’état de Nicolas. Quand ils deviennent amis, la grande préoccupation de Nicolas semble être que Mathieu ne croie pas qu’ « il était ni un drogué ni un homosexuel ». La maladie, puis la mort de Nicolas agissent comme un électrochoc sur Mathieu : « Depuis que j’ai su […] ce que c’était que mourir et par le même coup, par la même onde terrible qui m’a foudroyé et rendu à la vie, ce que c’était, ce que c’est que vivre » (p. 103).
Mon avis
En dépit ses bonnes intentions, Fous pas le camp, Nicolas ! me semble avoir raté sa cible, tant par sa composition que par le traitement du thème du sida. Le lecteur n’est pas informé de la nature des relations de Mathieu avec Claude, le premier narrateur. Est-ce un ami de la famille ? Est-ce un ancien prof ? Est-ce l’auteur ? Surtout, ce narrateur n’intervient jamais dans la relation de Mathieu avec Nicolas, ni même avec sa mère. On se demande donc ce qu’apporte ce procédé, surtout que rien ne justifie que ce narrateur mystérieux raconte à Mathieu ce qu’il vient de vivre : il ne semble avoir aucune difficulté à y réfléchir par lui-même. De plus, ce narrateur externe crée un suspense fastidieux. Par exemple, il faut attendre la page 27, au prix d’une dramatisation à mon sens inutile, pour apprendre… à quel moment Mathieu a su que Nicolas avait le sida. Cela nous amène au traitement du thème du sida. En 2000, date théorique de l’action, dans ce milieu social informé et cultivé auquel semble appartenir Nicolas, plusieurs faits sont invraisemblables. Que Nicolas ait eu à subir une transfusion d’urgence en Tunisie, à la rigueur, mais à son retour en Europe, invraisemblable que lui-même, ou la compagnie d’assurance, ou ses parents, ne se soient pas inquiétés de savoir si les règles sanitaires avaient été respectées. Une transfusion, ça ne passe pas inaperçu ! Puis, quand la maladie se déclare, encore plus invraisemblable qu’on passe « plusieurs semaines » avant de se demander comment diable Nicolas a pu l’attraper, et qu’on ait oublié cette transfusion récente. Pas plausible que tout le lycée soit au courant que Nicolas a le sida, et que Matthieu, qui manie des concepts philosophiques, puisse penser un seul instant que Nicolas lui-même ne soit pas au courant de sa maladie. Si ses parents avaient voulu la lui cacher, comment serait-il possible que le lycée entier soit au courant ? Enfin, dans ce cas-là, comment interpréter l’obsession de Nicolas de préciser qu’il n’est ni homo, ni drogué. Une fois que la transfusion est avérée, on a compris, et un ado de cet âge avec les capacités intellectuelles qui lui sont reconnues par le narrateur, ne devrait pas en être là ! De plus, des phrases du type : « Pourquoi faisait-il ces projets absurdes,puisqu’il savait qu’il avait le sida, qu’il ne guérirait jamais, qu’il serait mort dans un an, dans deux, cinq au plus ? » (p. 80) sont à la fois fausses,et traumatisantes pour les jeunes lecteurs. Je sais qu’un certain nombre d’associations de lutte contre le sida poussent à ce genre de dramatisation, sous le prétexte de responsabiliser les jeunes. Je suis persuadé qu’au contraire, ce genre de mensonge (sans doute mensonge de bonne foi dû à un déficit d’information) ne peut que démoraliser et déresponsabiliser. Non, en 2000, on avait déjà peu de chances de mourir du sida en 5 ans. Le pronostic vital est largement supérieur à vingt ans, du moins en Europe de l’Est, et le sida, depuis une bonne dizaine d’années, n’est plus la maladie mortelle à coup sûr qu’il fut dans les années 80, sauf en Afrique. Alors à quoi bon terroriser les jeunes sur cette maladie-là particulièrement ? Il existe d’autres maladies tout aussi redoutables, sans compter les nombreux risques qui guettent les jeunes.
Non, l’intérêt du livre, c’est d’une part le rapport de Mathieu avec sa mère, le traumatisme de l’abus de psychologie, et d’autre part l’impact positif de la relation d’aide avec un mourant, que l’on aurait pu trouver avec toute autre maladie. Quant au thème de l’homosexualité, il semble que Claude Raucy n’ait pas osé aller au bout de sa réflexion. Quand Nicolas insiste à ce point pour qu’on ne le croie pas homo, la question qui devrait se poser, à mon avis, à un adolescent atteint d’une maladie incurable, c’est celle de la sexualité. Or Nicolas n’en dit pas un mot. Il semble résigné à mourir sans avoir vécu. Ce roman mériterait d’être récrit, en osant aller plus loin. On comparera avec Frère, de Ted Van Lieshout, qui pose clairement le problème, avec une autre maladie mortelle. Tout se passe comme si Claude Raucy avait interposé ce personnage écran du narrateur externe par peur d’aller au fond des réflexions de Mathieu et de Nicolas.
Cependant je voudrais terminer sur une note positive en évoquant une œuvre possible de Claude Raucy. Parmi ses romans pour adultes, il a commencé une trilogie consacrée au milieu de l’art à la Renaissance : Plus loin que la lune rousse et Sous le ciel de la coupole sont les deux premiers tomes parus aux Éditions Luce Wilquin. Il semble que dans ce roman, Claude Raucy se soit libéré de ses réticences à évoquer la sexualité entre hommes dans ses œuvres pour adolescents. Mais les choses ont évolué dans les dernières années. Ces aventures d’un jeune homme qui devient l’ami de Michel-Ange constitueraient dorénavant, condensées en un volume, un excellent roman pour les jeunes. C’est un créneau d’avenir pour les éditeurs, j’en suis persuadé, que de restituer la vérité historique au sujet de nombreux personnages du passé dont on a gommé la nature altersexuelle. Claude Raucy est un fin connaisseur de l’Italie, et peut fournir des pierres de fondation dans ce domaine.
– Voir le site de Claude Raucy.
– Sur la question de la dramatisation du sida, voir la polémique de décembre 2005 entre les associations The Warning et Act-up. The Warning dénonce « les limites des modèles de prévention actuels et notamment celui d’Act-Up basé sur la culpabilisation, la peur et l’utilisation de thématiques morbides. L’époque « post-sida » n’est plus celle de « crise » qu’Act-Up Paris qualifiait alors d’hécatombe (avant 1995). La question principale dans le domaine de la prévention est maintenant de mettre en place des plans d’actions sur plusieurs années qui tiennent compte du contexte actuel. Ceci mine le fondement idéologique même d’Act-Up Paris dont le discours reste figé sur l’urgence. »
Voir en ligne : Site de Claude Raucy
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Messages
1. Fous pas le camp, Nicolas ! de Claude Raucy, 10 mai 2007, 18:17, par Fabien
Je suis tout a fait de votre avis en ce qui concerne le tres grand interet
des livres de Claude Raucy (pour adultes) que vous citez. Malheureusement
M. Raucy n’est pas pres de terminer sa trilogie (comme vous dites, seuls
deux volumes sur trois sont ecrits actuellement), malgre mon insistance. A
mes yeux, ces deux livres excellents sont ce que Claude a fait de mieux, et
vraiment il serait dommage qu’il n’aille pas jusqu’au bout. Si de nombreux
lecteurs exprimaient leur desir de connaitre enfin la fin de l’histoire, peut-etre que Claude se remettrait au travail...