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Témoignages d’homos, pour les éducateurs.

Parler d’homosexualité, d’Emmanuel Ménard

Éditions de La Martinière, 2002, 251 p., 17 €.

jeudi 5 avril 2007

Il n’est sans doute jamais trop tard (nom de la collection) pour parler d’un ouvrage clair, concis, complet, dépourvu de tout jargon, alternant témoignages, informations et réflexions pour comprendre de l’intérieur ce que c’est qu’être un homo en France actuellement. Fort utile pour les homos eux-mêmes, mais aussi toute personne qui se pose des questions sur le sujet et n’a pas forcément autour d’elle quelqu’un qui puisse lui répondre.

Emmanuel Ménard ne nous propose pas d’« analyses socio-politico-bio-génético-psychologico-etc. », mais des témoignages pour permettre à « celui qui s’interroge sur son orientation sexuelle » de « se reconnaître ou se projeter, que ce soit par conformisme ou par opposition » (p. 12). L’ouvrage, et c’est regrettable, exclut le lesbianisme, avec des arguments peu convaincants, notamment quand il s’appuie sur le film Boys dont cry pour rappeler que « la violence homophobe n’épargne pas les femmes » (p. 18). Justement, il s’agit de violence transphobe, et le personnage ne se vit pas comme femme, même s’il est vrai que les agresseurs, de leur côté, font l’amalgame. Les différents chapitres, subtilement enchaînés, abordent toutes les questions de la vie quotidienne, appuyés chaque fois sur un long témoignage. On notera un excellent chapitre sur la bisexualité, pour une fois analysée au-delà du déni traditionnel du milieu homo. Le chapitre consacré aux parents de gais est aussi excellent, et nous rappelle que ce qu’on appelle à tort homoparentalité devrait inclure ces personnes qui, parents de gais, se sentent partie prenante dans la communauté altersexuelle. Citons cette mère qui se plaint de son fils qui s’accepte homo au bout d’un « parcours de plusieurs années », et qui exige d’elle « que ça se fasse tout de suite, d’un seul coup ! » (p. 131). La vision n’est pas idyllique ; voir par exemple le témoignage outrageusement cynique de « Pierre-Alain, 28 ans, danseur » (p. 149). La documentation est riche. On apprend par exemple ce qu’il faut entendre par « pédé comme un phoque » (p. 49) ; l’échelle de Masters et Johnson, qui établit 7 degrés entre l’homosexualité et l’hétérosexualité absolues, est rappelée ; on apprend comment nos aînés se débrouillaient pour vivre malgré les ordonnances homophobes des années 50 ou 60, jusqu’en 1982 en fait. On rit des citations hallucinantes de bêtise d’une certaine Andrée Roberti, auteure d’un ouvrage sur la psychanalyse daté de 1999, qui n’hésite pas à lier homosexualité et… coprophagie ! (p. 193).

La question de l’enseignement est déterminante pour l’auteur, que ce soit du côté des élèves, des profs, ou, une fois n’est pas coutume, des auteurs de littérature jeunesse ! Citons le témoignage de Francis : « Comment supposer que ces adultes, constatant eux-mêmes à quel point j’étais efféminé, ne se soient pas interrogés sur ce qui se passait dans la cour de récréation ? » (p. 36). Deux témoignages de profs abordent de façon significative l’accusation de prosélytisme qui nous est renvoyée dès qu’on ose ne pas ignorer la question en cours. Leurs remarques sont encourageantes et vont dans le sens de ce que nous défendons au Collectif HomoEdu (par ailleurs cité par deux fois, ce qui fait plaisir, tellement c’est rare de la part de journalistes gais !) : « Derrière les plaisanteries et les questions un peu provocatrices, il y a surtout une grande méconnaissance, beaucoup d’idées reçues, et une curiosité pas forcément malsaine » (p. 169). Enfin, cerise sur le gâteau, Emmanuel Ménard nous offre le témoignage décoiffant de Marie-Aude Murail (que nous avons repris avec leur autorisation) où l’auteure d’Oh boy ! révèle ses motivations intimes : « Depuis l’enfance, j’ai l’impression d’être un homme à l’intérieur d’un corps de femme, un homme qui aimerait les hommes puisqu’en fait ma libido me porte tout de même vers eux » (p. 208) ; « les personnages homos sont rares en littérature jeunesse, et souvent quand il y en a, c’est de façon démonstrative ou compatissante. On leur colle le sida comme une excuse. » (p. 209).

L’une des qualités du livre est l’engagement de l’auteur, qui ne dédaigne pas de citer son expérience personnelle, et milite en douceur, convaincu que « le meilleur remède à l’homophobie [est] de connaître des homosexuels » (p. 113). J’en suis convaincu, même si, donnant l’exemple en tant qu’enseignant dans un lycée public de Seine-Saint-Denis, je peux témoigner que ce n’est pas rose tous les jours. L’ouvrage se termine par un excellent chapitre sur la coparentalité. Ce mot est utilisé de préférence à son concurrent homoparentalité, sous l’influence d’Éric Verdier, qui était alors président de l’APGL (parents gais et lesbiens). Il faut lire le témoignage du co-auteur du Petit manuel de Gayrilla à l’usage des jeunes, ainsi que celui d’Éric Dubreuil. Emmanuel Ménard a l’honnêteté, rare dans le milieu militant, de reconnaître les échecs fréquents des projets de coparentalité : « il faudrait être de mauvaise foi pour prétendre que l’homoparentalité est toujours une expérience réussie » (p. 235). Lire aussi le témoignage de Philippe Frette sur sa longue procédure de demande d’agrément pour une adoption, qui aboutit à un échec. Sur ce point, l’ouvrage d’Emmanuel Ménard est un utile complément au récent Nous, enfants d’homos, de Stéphanie Kaim. En conclusion, un ouvrage hautement recommandable qui doit figurer en bonne place dans les bibliothèques, sans oublier les C.D.I. de lycées.

 Emmanuel Ménard est également l’auteur du roman C’est toujours moins grave qu’une jambe cassée, paru en 1997.

Lionel Labosse


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