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Plongée dans le marigot du wokisme

La Tyrannie vertueuse, de Pierre Jourde

Le Cherche midi, 2022, 18 €

samedi 29 octobre 2022, par Lionel Labosse

Je connais Pierre Jourde depuis son pavé dans la mare de l’édition, La Littérature sans estomac (2002), puis Pays perdu (2003) suivi de La Première pierre (2013), livres que j’évoque dans mon roman M&mnoux. C’est un écrivain de grand talent, que l’intelligentsia, peut-être effrayée par sa verve vindicative, avait tenté d’apprivoiser après La Littérature sans estomac en lui ouvrant les portes des maisons & médias les plus réputés. Dans cette période covidiste qui a vu des intellectuels sombrer dans le collaborationnisme macroniste, à l’instar de Mona Ozouf, il semble que Pierre Jourde soit en train de rejoindre en un tropisme inversé les rangs des proscrits. J’ai été intéressé par une succession de trois émissions de radio auxquelles il a participé récemment, ce qui m’a donné envie de lire son livre. En avril 2022, entrevue dans l’émission désormais mythique « Bercoff dans tous ses états ». Jourde y fait miroiter quelques pépites de son livre, mais se fait piéger par Bercoff qui tente de le ramener à la barque « complotiste » avec une question déstabilisante sur les vaxins. Pris de court, Jourde fait une comparaison avec le vaxin de la polio. Quelques mois passent ; Jourde voit les portes du Camp du Bien se fermer une à une depuis qu’il a pris par les cornes le bœuf wokiste, et on le retrouve le 1er et le 2 septembre 2022 dans deux entrevues sur Ligne de Conduite (cf. extrait ci-dessous), puis par Nicolas Vidal, le complice de Clémence Houdiakova, sur Putsch Media, faisant son mea culpa d’ex-intellectuel de gauche ayant désormais rejoint les rangs des proscrits. Il évoque même le soutien au wokisme de Satan en personne, je veux dire Bill Gates, ce qui signe son arrêt de mort médiatique ; ne lui reste plus qu’à comprendre que pour les vaxins, c’est le même Bill Gates qui mène la danse de mort. Est-il si difficile de comprendre qu’un seul homme dont la fortune personnelle excède la richesse des pays les plus riches du monde, et qui contrairement aux États, n’est soumis à aucun contrôle démocratique, puisse abuser du pouvoir que lui donne son fric, surtout quand les preuves factuelles en sont publiques ? Bref, vous comprenez que cet article ne sera pas une recension du livre, mais l’état de mes propres réflexions sur le wokisme greffées sur celles de l’auteur, à qui j’en demande d’avance pardon. Cependant je suggère à tous les documentalistes de lycées & autres bibliothécaires, de proposer ce livre à leurs usagers, même sous le manteau ! En ayant lu un extrait à mes étudiants en septembre, je ne cesse depuis, dans le cadre de ma rubrique « suivre l’actualité » dont ils sont friands, de reprendre le titre fort bien trouvé : « Tyrannie vertueuse ». Des voitures électriques aux injections Pfizer, des éoliennes au passe sanitaire, que de Loups se vêtent de la peau du mougeon ! (Cf. une réécriture du conte de Grimm qui plairait à Jourde, auteur d’un excellent Petits Chaperons dans le rouge. Tiens, voici un extrait du célèbre film de Disney qui prévenait les enfants des ruses du Loup… à revoir, car on a tort d’oublier les contes de notre enfance.

Analyse boursieusienne du wokisme

Pierre Jourde part du constat de « L’inversion des valeurs » (p. 11). En phénoménologue, il construit sa réflexion sur son expérience personnelle, on ne peut plus métisse et gay friendly (ses lecteurs le savent depuis longtemps) : « personne ne s’identifie foncièrement à ces morceaux d’identité, personne ne brandit de panneau pour se définir. On n’y pense pas » (p. 19). Pour lui, si le citoyen se méfie de l’État totalitaire à la Big Brother, « le même citoyen […] trouve amusant, et innocent, de livrer son corps, sa vie personnelle, les menus faits de son quotidien, ses opinions, aux réseaux sociaux, Facebook, Instagram, Twitter. C’est la perfection dans l’accomplissement de la tyrannie généralisée : aucune contrainte » (p. 21). Son analyse des ressorts du wokisme est bourdieusienne : « Le féminisme radical, le militantisme LGBTQ, le décolonialisme déchaîné, l’écologisme en folie arrangent bien les maîtres du monde. Pendant qu’on s’occupe de ça, qui devient l’essentiel du militantisme, on ne pense plus la pauvreté, l’absence d’ascension sociale, l’école en panne, la ruine de l’université, la recherche étouffée par la bureaucratie, la misère des petits agriculteurs, les difficultés des artisans, les salaires de misère, l’hôpital en déshérence. Et arrangent bien les grandes entreprises dont les marques de luxe adorent s’acheter une vertu en utilisant cette mode du woke dans leur communication » (p. 29). Il fustige ces militants identitaires d’arrière garde « s’acharnant sur un ennemi fantomatique » (p. 30), avec sa verve réjouissante typiquement jourdienne : « Les alchimistes cherchaient à changer le plomb en or. Les militants woke ont trouvé la formule qui permet de changer l’or de la liberté en plomb identitaire » (p. 34). Lui-même universitaire, Jourde est particulièrement sensible à la gangrène du monde universitaire infecté de wokisme à un point qui dépasse l’entendement : « On progresse difficilement en physique quantique si on considère les particules selon le lesbianisme ou le fait d’être Corse » (p. 35). Le principe du wokisme est d’essentialiser les personnes et les idées : « Plus question d’échange d’idées entre sujets tentant de s’élever au-dessus de leurs déterminations pour se placer sur le terrain de l’humain. Toute pensée est déterminée. Toute liberté est niée. Entre ces êtres étanches, il n’y a pas de communication. Tout ce qu’on attend, c’est la soumission, le consentement silencieux à toutes les revendications de toutes les identités, puisque c’est le progrès » (p. 39). Jourde rappelle ses propres démêlés avec Le Monde et le commissaire politique Edwy Plenel au temps de la publication de La Littérature sans estomac, et fait l’éloge de son comparse Éric Naulleau dont les « critiques, souvent sévères, portaient exclusivement sur la valeur artistique des livres ou des disques » (p. 82). Je n’ai pas la télé et ne pourrais pas regarder en entier l’émission du tête à claque Ruquier, mais j’ai épinglé une de ces critiques sur un livre de Francis Lalanne, qui me semblait surtout participer au lynchage facile d’un artiste dont le covidisme a révélé à nouveau la raison pour laquelle des gens comme Naulleau le lynchent régulièrement depuis des décennies. Il faut dire que le livre de Lalanne critiquait Sarkozy, et qu’il le faisait avec un talent totalement disparu du monde de la chanson qui passe à la télé où passe Naulleau. Jourde a le courage rare de soutenir Gabriel Matzneff tout en le qualifiant de « salaud » mais qui ne méritait pas qu’on ait « retiré ses livres de la vente » (p. 84).
Je reprends un excellent développement qui en remontrera aux laïcards bornés : « Mais la religion même présentait un certain nombre de caractéristiques qui ont aidé à s’affranchir des cadres de pensée trop limités qu’elle imposait : par la tradition herméneutique des textes bibliques, par le rôle de la disputatio dans la scolastique médiévale, c’est-à-dire du débat argumenté, par la réforme protestante enfin, qui recommandait le libre examen par le croyant des textes sacrés. De sorte que l’histoire de la culture européenne est marquée par une densité, inconnue ailleurs, de débats esthétiques et intellectuels qui accompagnent et stimulent la création, depuis la querelle des universaux au Moyen Âge jusqu’aux jusqu’aux empoignades sur le structuralisme, en passant par la querelle des Anciens et des Modernes, la bataille d’Hernani, celles du naturalisme et de l’impressionnisme, les polémiques sur l’évolutionnisme, etc. » (p. 105). Jourde rappelle que si les immigrés émigrent, c’est peut-être qu’ils trouvent leur pays moins attirant que la France, que l’on taxe de tous les maux. Il rappelle l’« ascension sociale de misérables paysans auvergnats ne parlant que patois » (p. 109) dont il est le fruit, ce qui devrait relativiser certaines jérémiades.
Autre excellent développement sur l’université française : « On assiste dans le domaine de la recherche en France à un déluge de thèses, séminaires, colloques, articles mixant de toutes les manières possibles « race », « genre », « queer », « décolonialisme », « féminisme », « intersectionnalité », « islamophobie ». Des postes universitaires sont expressément mis au concours pour ce type d’enseignement. C’est la mode. Elle passera aussi vite que les manteaux maxi ou la « nouvelle philosophie ». Les poubelles de l’histoire intellectuelle ne tarderont pas à accueillir ces pensums soviétiques hautement périssables. Ils tournent en rond dans les mêmes obsessions sans rapport avec la réalité du monde, moulinent leur langage précuit, leur liturgie prévisible, où les verbes « interroger » et « questionner » reviennent sans cesse, marques d’un langage sacerdotal qui ne pense plus, n’a plus conscience de lui, et se caricature lui-même jusqu’à plus soif » (p. 138).
Voici encore un paragraphe frappé au coin du bon sens : « Le racisme est devenu l’excuse universelle. De sorte qu’il est pertinent de se demander si l’idée d’un racisme répandu dans la société française ne provient pas d’un cercle qui s’auto-alimente : le discours obsessionnel sur le racisme alimente l’idée qu’on est victime du racisme, l’idée qu’on est victime du racisme conforte les analyses sur le caractère raciste de la société, etc., à l’infini. « Racisme » est devenu le mantra qui permet d’éviter toute analyse complexe des phénomènes sociaux, et d’empêcher tout discours qui n’a pas l’heur de plaire aux militants identitaires. « Raciste » n’est presque plus qu’un moyen de déconsidérer toute opinion non conforme. Un instrument pour faire taire » (p. 205).
Cela dit, l’analyse est bonne aussi en remplaçant « racisme » par « antisémitisme », « complotisme », « antivax », et autres mantras de la bêtise à front de taureau. J’en veux pour preuve la tentative actuelle de faire taire Rivarol (dans un silence assourdissant des amis de la Liberté), qui a fêté ses 70 ans, un des rares journaux à l’ancienne sans un centime de subvention. Le prétexte invoqué n’est pas le mantra « racisme », mais « antisémitisme ». Jourde semble se mettre, dans ce combat du pot de fer contre le pot de terre, du côté du manche : « la clique répugnante de Rivarol » (p. 211). Jourde assimile la « fiction « communisme » à laquelle j’ai cru dans ma jeunesse » à l’antiracisme. Il se trompe à mon humble avis quand il prétend que les « prêtres » de ces « fictions » (« communisme » ou « antiracisme ») exercent un « chantage » qui « fonctionne sur les jeunes esprits ou ceux qui manquent d’un minimum de culture historique » (p. 210). Au contraire, ce chantage marche à fond la caisse dans le milieu enseignant, qui brille d’un vernis culturel, et épargne parfois les plus jeunes qui à force de subir la moraline déversée façon tube de mayonnaise sans fin par lesdits profs, développent une sorte d’intolérance alimentaire salvatrice ! Jourde montre comment la ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal s’est fait moucher par le CNRS en soulevant le lièvre de l’« islamo-gauchisme » (p. 213). Bien sûr, au lieu de s’en prendre à la source du mal, le financement de toutes les pseudo-associations par l’Open society et par Bill Gates, que Macron arrose de notre fric ! Jourde dénonce la gauche qui « a déserté en grande partie les luttes sociales pour se focaliser sur les identités et les communautés » (p. 221). Il pourrait rappeler le rôle de Terra Nova dans cette bascule de la gauche. Le problème (ou sa solution ?) c’est que les gens qui s’identifiaient à la gauche dans le passé, moi le premier, sont en train de déserter cette fausse gauche.
Jourde s’amuse à dénoncer le nombrilisme qui règne sur les réseaux sociaux et facilite les ravages du wokisme : « Les réseaux sociaux multiplient de manière exponentielle cette exhibition triomphante : chacun expose à l’univers ses repas, ses vacances, son maquillage, convaincu que cela a de l’intérêt, dans une infantilité perpétuelle, qui renouvelle le geste fier de l’enfant montrant à sa maman qu’il a bien fait caca » (p. 230). Jourde soutient la « verticalité » de la transmission du savoir, ce qui me laisse froid. Je suis plutôt partisan du triangle pédagogique (et suis désolé sur ce point d’être en accord avec la macronie !), surtout depuis que j’ai constaté à quel point mes honorables collègues se sont faits sans discuter les relais de la propagande covidiste, après s’être faits les relais dociles de la religion charliste, etc. Certes, je détiens certains savoirs et des méthodes, mais il n’existe pas de ministère de la Vérité en France, et je refuse d’en être le prêtre ! En parlant de ministère de la Vérité, je m’étonne que Jourde puisse écrire que les « réflexes nationalistes […] ont occasionné des dommages considérables en Serbie » (p. 233). Parle-t-il du crime de guerre des bombardements de l’OTAN (c’est-à-dire nous) en 1999, avec le blanc-seing du criminel Edwy Plenel ?

Florilège de la bêtise wokiste qui se mord la queue

La partie la plus réjouissante du livre est le florilège de la bêtise (ou de la malignité ?) wokiste qui se mord la queue, relevé sans doute patiemment au fil des années. Le schéma récurrent est un activiste d’une minorité quelconque, qui se fait piéger et donc qualifier de « fasciste » parce qu’un mot malheureux lui échappe, il a le malheur de tiquer, voire juste de dire qu’il tique, sur un brin d’ADN du génome wokiste : « toute personne qui n’emploie pas la langue sacerdotale obligatoire, toute personne qui commettrait le moindre faux pas sur un terme est aussitôt dénoncée comme hérétique et lynchée sur les réseaux » (p. 56). Certains sont soutenus, d’autres sont enfoncés par les autorités politiques, syndicales ou universitaires. Parmi les abrutis wokistes, on relève évidemment les dupes de la « Nupes », au premier rang desquels « L’inénarrable Mélenchon [qui] propose que le droit de changer de genre (qui est effectif en France) soit inscrit dans la constitution. La constitution devient une sorte de brocante où les militants de tous bords tentent de recycler tous leurs rossignols » (p. 55). On note la question des sportives transsexuelles, adoptée sans discussion par les commissaires politiques de la presse khmer-wokiste (l’expression n’est pas de P. Jourde !) qui n’envisagent même pas que cela puisse défavoriser une autre minorité spoliée, celle tout simplement des femmes (p. 56) !

L’argumentation de Jourde sur la contradiction des féministes misandres sur la question du consentement (qu’il reprend dans ses entrevues à la radio ; cf. extrait ci-dessus) est imparable : « Mais si on considère que des enfants, ou des adolescents de 14 ou 15 ans, ne sont pas capables de choisir librement leur sexualité, qu’en réalité, dans leurs rapports sexuels avec des adultes, ils sont sous emprise, en revanche, on n’a aucun problème pour proclamer qu’ils peuvent, en toute conscience, libres de leur choix, décider de changer de sexe, et toute personne qui se risquera à émettre des réserves sera considéré (sic) comme transphobe, réactionnaire, etc. Comme si changer de sexe était plus simple, moins lourd qu’avoir des relations sexuelles. Comme si un enfant était libre de choisir dans un cas et pas dans l’autre » (p. 58).
L’écriture inclusive est aussi incluse dans le wokisme : « L’Unef produit des circulaires en écriture inclusive, contenant des fautes d’orthographe, en particulier des accords au féminin qui ne sont pas faits ! Et puis, essayez d’écrire de la poésie en inclusif, vous m’en direz des nouvelles. Incapable d’être oralisée, incapable de produire de la littérature, l’inclusif réduit la parole féministe à cette triste caricature : une langue bureaucratique » (p. 63). Je peux témoigner que mes étudiants, particulièrement s’ils sont dyslexiques, se sentent exclus par cette mode prétendument « inclusive ». Parmi les perles figure la mésaventure de Julien Bayou, réduit à s’autoflageller pour avoir commis le crime d’appliquer le mot « lynchage » à une personne non racisée (si j’ai bien compris ; cf. p. 64). Pour ceux qui n’auraient pas encore compris quel ramassis de crétins sont les faux partis écologistes en occident. À l’heure où j’écris ces lignes, l’inteckelligentsia est prise de panique à la nouvelle, excellente, de la disparition d’un ministère de l’environnement en Suède où l’horrible « extrême drouâteuh » (tremblez, mougeons) a pris le pouvoir… Le monde de l’édition est également infecté par le cancer wokiste, et Jourde en donne maints exemples : « Désormais, les écrivains sont sommés, au nom des valeurs de gauche, d’avoir des narrateurs sympathiques » (p. 68) ; « Même dans les démocraties populaires, les écrivains n’allaient pas jusqu’à demander un contrôle idéologique du commissaire politique pour ne pas risquer de blesser le prolétariat. La norme totalitaire est bien intégrée désormais » (p. 87, à propos du nouveau métier de « sensitivity reader »). J’ai d’ailleurs appris l’existence du terme « validisme » (p. 87 : « fait de stigmatiser les différences, en particulier les handicaps »). Dans le lynchage de Roman Polanski (auquel j’ai consacré cet article), Jourde nous apprend que Adèle Haenel, qui participa à la meute, « déclare que Céline est son écrivain préféré » (p. 77) ! Cela ne manque pas de sel quand on se montre incapable de distinguer l’homme et l’œuvre. Jourde cite (p. 78) un texte délirant de Virginie Despentes qui exprime son amour pour les terroristes de Charlie Hebdo. Je recopie une citation du « musicologue Nate Sloan » qui vaut son pesant de cacahuètes : « Pour certains qui appartiennent à d’autres catégories (femmes, LGBTQ+, gens de couleur) la symphonie de Beethoven peut surtout être un « rappel de l’exclusion et de l’élitisme qui marquent l’histoire de la musique classique » (cité p. 99). Jourde pointe la responsabilité de l’école dans la diffusion de ce qui n’est plus une éducation à la diversité sexuelle, mais le martèlement d’une idéologie. Il donne quelques exemples. Sur ce point, je dois avouer que je m’étais mis le doigt dans l’œil quand je militais, à l’époque où ce n’était pas à la mode (la « lutte contre l’homophobie », terme auquel je préférais la « diversité sexuelle », a été mon combat personnel entre les années 1997 et 2013). Je croyais que ceux qui pointaient une « théorie du genre » exagéraient. Mais en fait tous mes travaux pédagogiques novateurs (voir notamment mon journal de bord de l’année 2004-05) étaient ignorés par l’intelligentsia, même si j’ai parfois été cité par le CNDP ou autres organismes, et l’on ne valorisait que les trouvailles les plus clivantes et provocatrices proposées par des couineurs qui n’avaient jamais vu un élève. Et dans les 10 dernières années, après donc que j’eus cessé cette activité militante, j’ai vu se pousser du coude une cohorte de combattants de la 25e heure qui pratiquaient une surenchère contre-productive et m’ignoraient totalement, sans doute parce que ma retenue et ma volonté de rester dans le cadre pédagogique desservait leur agenda qui était tout sauf pédagogique. Jourde sait-il que par exemple le Lycée Voltaire de Paris propose sur sa page d’accueil une rubrique « LGBTQIA+ » (vérifié le 27 octobre 2022).

Rubrique « LGBTQIA+ », page d’accueil du Lycée Voltaire de Paris.
© Lycée Voltaire

Jourde cite le témoignage effrayant de Peter Boghossian, qui a enseigné la philosophie à l’université de Portland State, aux États-Unis. Extrait : « Cela m’a sidéré. J’ai compris que c’était là non pas un bug de l’idéologie mais un trait : le but de ses adeptes est d’empêcher l’esprit critique et d’endoctriner. Nous sommes en train de voir apparaître une culture dans laquelle les gens ont peur de parler ouvertement et honnêtement. L’université ne cherche qu’à opposer des réponses morales aux questions posées. L’université ne promeut plus la diversité intellectuelle alors qu’elle ne parle que de « diversité ». Ce qu’elle veut en réalité, c’est une homogénéité intellectuelle » (cité p. 118). Et voilà pour ces « étudiants souvent à moitié incultes [qui] vont jusqu’à exiger des rééducations idéologiques pour des savants, un peu dans l’esprit des gardes rouges de Mao » (p. 119).
Un autre exemple à l’université mais au Canada est aussi effarant : « En 2020, à l’université d’Ottawa, Verushka Lieutenant-Duval explique à ses étudiants les techniques de réappropriation des mots insultants par les militants homosexuels ou noirs, tels que « queer » dans le premier cas, « nigger » dans le second cas. Il s’agit donc clairement de montrer comment les insultes sont retournées en armes contre les discriminations. Mais certains étudiants s’offusquent du mot. Son adresse circule. La professeure est bombardée d’insultes sur les réseaux sociaux. Au lieu de la protéger, l’université la suspend. Le recteur de l’université estime en effet que « les membres des groupes dominants n’ont tout simplement pas la légitimité pour décider ce qui constitue une micro-agression ». Quant à Justin Trudeau, le premier ministre canadien, tout ce qu’il a trouvé à dire, c’est que « le racisme anti-Noir est à la fois odieux et illégal », comme s’il y avait eu racisme en l’occurrence, et sans un mot pour défendre la liberté d’enseignement. Et, comme c’est de plus en plus le cas, la professeure renvoyée pour avoir analysé l’usage antiraciste des mots juge nécessaire de s’excuser. Là encore, on songe aux procès de Moscou, où les accusés reconnaissaient les charges les plus absurdes » (p. 125).
En parlant de Moscou, Jourde nous rappelle la personnalité de Trofim Lyssenko, qui imposa sous peine de déportation une « biologie marxiste », laquelle séduisit nombre d’intellectuels français communistes, jusqu’au « directeur du CNRS, Georges Teissier » (p. 138). Comme quoi ce n’est pas la première fois qu’une telle régression nous arrive, et cela peut recommencer tant que nous n’aurons pas changé de type d’enseignement. Pour approfondir cette descente dans les abysses du wokisme, Jourde nous recommande l’Observatoire du décolonialisme, dont il cite quelques perles. L’un des sommets du délire est atteint par une certaine Rachele Borghi, qui s’est fait recruter par « la Sorbonne » (j’ai du mal avec l’expression « la Sorbonne », moi qui ai fait mes études à Paris IV, dans le bâtiment nommé « Sorbonne »). Il cite un échantillon de la prose de cette prof de fac qui vaut son pesant de cacahuètes : « la question n’est jamais posée à partir de mes positionnement scientifique et des savoirs que je défend dans le livre. Plutôt ce que il est mis en discussion est le fait que je ne suis pas censée être considérée une scientifique à cause de mes démarches et de la personne que je suis. Il ne s’agit donc même pas d’un débat. La directrice du CNRS dans l’émission montre ne connaitre à rien mon travail, ni mon livre, ni mes articles, ni mes recherches, que d’ailleurs sont reconnues à niveau national et international et reprises dans des médias comme la Radio et Télévision Suisse (où je me suis recement rendue pour tourner une émission télé sur la nudité en tant que experte) » (cité p. 142, à retrouver dans son jus sur ce site). Retour aux États-Unis avec une prof « du Brooklyn College, à New York, Laurie Rubel, [qui] peut écrire : « 2 + 2 = 4 pue le suprémacisme du patriarcat blanc » » ! Les exemples extrêmes de la duplicité criminelle des wokistes sont bien connus : seuls les « mâles blancs » sont coupables ; les hommes non blancs sont victimes même quand ils sont coupables. Exemple : « Cette haine se retrouve chez certains militants français, comme les Indigènes de la République. Pour Houria Bouteldja, l’homosexualité est un produit colonialiste, contre lequel les sociétés africaines et les habitants d’origine africaine des banlieues françaises se défendent par une homophobie qu’on peut comprendre, elle est une résistance au colonialisme (pas du tout la réaction d’une société patriarcale) : « L’impérialisme – sous toutes ses formes – ensauvage l’indigène : à l’internationale gay, les sociétés du Sud répondent par une sécrétion de haine contre les homosexuels. » Donc, quand une dizaine de gamins noirs des banlieues tabassent un homosexuel, comprenons-les, ils résistent à l’impérialisme » (p. 185). Jourde s’amuse à proposer un « Petit exercice d’intersectionnalité » demandant sur trois profils de citoyens, lequel est le plus « intersectionnel », c’est-à-dire le plus discriminé. C’est bien entendu « Une princesse saoudienne milliardaire vivant dans un hôtel particulier de Neuilly, où elle est servie par des esclaves philippines, et dont l’activité principale consiste à acheter des sacs Vuitton » (p. 197). Il est amusant de remarquer que Jourde oublie qu’en plus d’être « femme et arabe », cette victime de discriminations est musulmane, alors que son esclave est une ignoble chrétienne !

Quelques réticences

Je voudrais maintenant, tout en insistant sur le fait que je suis entièrement d’accord sur le fond du propos, la condamnation du wokisme, reprendre Pierre Jourde sur quelques points sur lesquels à mon humble avis il se fourvoie, ou du moins peut-être, il n’ose pas aller au bout de sa réflexion.
1. En bon lecteur de René Girard, Jourde voit dans le wokisme une de ces révoltes contre « les riches et des puissants » : « Le citoyen le plus inculte, le plus imprégné de préjugés, en mal de légitimité et de reconnaissance, a trouvé ce moyen d’éprouver son pouvoir, et de retrouver par là une estime de soi à bon compte : l’écrasement de l’autre, avec d’autant plus de plaisir et d’acharnement que cet autre est plus cultivé, ou qu’il se distingue par un certain accomplissement, quel qu’il soit » (p. 23), sauf que ce que nous vivons actuellement, globalement, est plutôt une révolte des ultra-riches contre les pauvres. La diabolisation des gilets-jaunes et la réduction de toute critique du gouvernement ou des puissants aux mantras « extrême-drouâteuh », « antisémite », « antivax », « complotiste », réduction opérée par les teckels des milliardaires sur leurs torcheculs médiatiques, tout cela ressortit plutôt à la haine des pauvres. Certes, les pauvres se rebiffent, mais s’ils se rebiffent c’est parce qu’ils sont agressés. Pierre Jourde est-il au courant que des milliers d’infirmières, aides-soignantes, pompiers, ont été et sont encore clochardisés par la caste au pouvoir sous prétexte d’avoir refusé une injection dont Pfizer a désormais avoué devant le parlement européen qu’elle n’avait jamais été testée sur la réduction de la transmission de la maladie pour laquelle elle a été créée ! Cela fait plus de deux ans que les pauvres sont matraqués par les covidistes, que les covidistes ont accumulé des fortunes indécentes, alors s’il y a bientôt retour de bâton, je suis désolé, mais il est souhaitable que les profiteurs de guerre paient, du multi-milliardaire Bill Gates au pharmacien, directeur de laboratoire ou au médecin qui a multiplié sa fortune par deux ou trente au détriment de la santé de ses patients.
2. Suite logique de l’argument 1, Jourde affirme que « [la nouvelle terreur identitaire] n’est pas étatique, elle ne repose pas sur un appareil centralisé, mais sur des groupes et des associations » (p. 38). Ah bon. Jourde n’a sans doute pas encore entendu parler du Forum économique mondial, ni de la Fondation Bill-et-Melinda-Gates, ni de l’Open Society Foundations. Quand Macron arrose de fric le mendiant Bill Gates [1], la boucle n’est-elle pas bouclée ? Les « groupes et des associations », du moins ceux qui ont table ouverte dans les médias, sont-ils autre chose que des ectoplasmes étatiques de l’État profond ? D’ailleurs l’auteur reconnaît le poids du « ministère de la Culture, qui a créé un service destiné à soutenir la représentation des minorités dans l’art » (p. 72). Donc : étatique, ou pas étatique ?! De même Jourde reconnaît : « Même si ce sont les activistes qui obtiennent des censures, nous ne sommes pas loin du ministère de la Vérité, d’une manière plus diffuse, par l’imprégnation de ces idées chez les présidents d’université, les directeurs de musée, les responsables éducatifs, les élus locaux, etc. » (p. 73).
Et je relève à la p. 92 cette perle à relire après la nomination de la personne au ministère de l’Éducation : « En janvier 2021, un très copieux Rapport sur la diversité à l’Opéra de Paris, signé Pap Ndiaye et Constance Rivière, développe le programme détaillé de police stalinienne du répertoire et du recrutement » (p. 92). Donc Pierre Jourde sait très bien que le wokisme est une politique d’État, une politique totalitaire. Les commissaires politiques du wokisme savent exactement sur quels réverbères il faut lever la patte pour se vautrer dans la niche luxueuse de l’État. Jourde sait aussi que « La fondation Bill Gates a financé un programme intitulé Un chemin vers un enseignement équitable des mathématiques : déconstruire le racisme dans l’enseignement des mathématiques » (p. 156). Pour boucler la boucle, il suffit de comprendre que Gates est riche au point de faire manger dans sa main tous les chefs d’États dépourvus de couilles et de censurer sur les réseaux sociaux toute personne qui oserait prétendre que Poutine en aurait.
3. La volonté de passer pour une victime du wokisme pousse Pierre Jourde à cocher toutes les cases du Camp du Bien, à l’encontre même de son analyse bourdieusienne. Ainsi déclare-t-il : « De même, il était indispensable et juste de faire en sorte que l’homosexualité et l’aspiration à un changement d’identité de genre sortent d’une marginalité honteuse, cessent d’être considérées comme des anomalies ou des perversions. Le mariage pour tous est en ce sens un magnifique progrès : c’est l’amour, ou en tout cas le consentement réciproque, qui doit être considéré comme la base du couple, non le genre » (p. 26). Eh bien, cher Pierre Jourde, le Pacs avait déjà réglé la question ; je vous renvoie à mon livre Le Contrat universel : au-delà du « mariage gay ». Eh non, Pierre Jourde, c’est quand vous déclarez que « le militantisme LGBTQ, le décolonialisme déchaîné, l’écologisme en folie arrangent bien les maîtres du monde » que vous avez raison !
4. Jourde semble obsédé par les juifs (ou non juifs mais défenseurs des juifs) victimes du wokisme. Dès la première page de son livre, on relève 2 occurrences du mot « juifs ». Il prend, à juste raison, la défense de Georges Bensoussan parce que « La militante Laurence de Cock l’a poursuivi jusque dans son travail, après sa relaxe, exigeant qu’il renonce au séminaire qu’il organisait au Mémorial de la Shoah » (p. 37). Il coche aussi la case « Charlie Hebdo », comme je l’ai longtemps fait jusqu’à ce que l’épisode de tyrannie covidiste me pousse à rouvrir tous les dossiers que j’avais négligés et que je tombe de haut en lisant Le Massacre de Charlie Hebdo. L’enquête impossible de François Belliot ; ce qui n’empêche pas, comme Jourde le dit, que « c’est à l’inverse l’accusation d’islamophobie qui tue en France » (p. 45). Mais là encore, on fonce sur les autoroutes de la pensée facile : « il y a le croyant rigoriste qui impose le voile à sa femme, ses filles, ses sœurs, ne serre pas la main aux femmes […] il y a l’étudiante convaincue que le voile est sa liberté » (p. 46 ; cf. aussi p. 191). Je ne m’étendrai pas sur le sujet car je l’ai maintes fois rappelé : il y a aussi des juifs qui imposent le port de la kippa à leurs enfants de 3 ans, lesquels sont moins en âge de croire que « la kippa est sa liberté » qu’une étudiante de 20 ans.
Quand Jourde déclare à juste titre au sujet des artistes qui se défoulent sur le christianisme que « Aucun n’a le courage de jouer avec l’islam » (p. 72), il oublie d’ajouter « ni avec le judaïsme ». Quand il affirme « Mais surtout [à l’école], c’est l’antisémitisme qui fait des ravages », je crois qu’il est victime de l’effet grossissant médiatique. En ce qui me concerne, ayant fait quasiment toute ma carrière dans des établissements publics de Seine-Saint-Denis, dont 14 ans en lycées classés ZEP ou carrément « sensibles », je n’ai eu à faire face qu’une fois à une protestation non pas antisémite, mais disons islamiste, parce que j’avais proposé à des BTS un célèbre dessin de Plantu représentant l’impossibilité de représenter le Prophète, et que c’était sans que je le susse, le jour du début du ramadan. Pour le reste, l’éducation est quand même, comme la science, un domaine où la controverse est souhaitable. La réalité est que depuis le début de ma carrière nous recevons continuellement et incessamment des directives, des concours, des ressources, des propositions de films, spectacles, expositions sur le thème pédagogique wokiste numéro 1, très loin devant tous les autres thèmes (esclavage, indigénisme, décolonialisme, LGBT-truc…), qui est le thème shoah-antisémitisme. Depuis que j’enseigne, il s’agit d’un véritable bourrage de crâne.
Alors, si de temps en temps un élève exprime tant soit peu d’agacement, on peut quand même faire l’effort de le comprendre. En ce qui me concerne, j’ai fait le job, toujours, en surmontant parfois mon propre agacement de ces entraves à la liberté pédagogique. Par exemple j’ai étudié l’an dernier Le Pianiste parce que cela entrait dans mon projet pédagogique, mais j’ai toujours évité de confondre devoir et corvée de mémoire ! Je n’ai jamais entendu un étudiant (et auparavant jamais un élève) s’exclamer « encore un film sur la shoah ! ». C’est le mantra « antisémitisme » qui pousse l’auteur à qualifier Dieudonné de « sinistre » (p. 211). Si j’admets que « l’humoriste le plus talentueux de sa génération » comme le reconnaissent ces universitaires qui ont étudié le phénomène Dieudonné soit peut-être devenu antisémite, on peut s’interroger sur le harcèlement incessant dont il fait l’objet alors qu’il n’est qu’un humoriste. Jourde a cité les propos provocateurs de Despentes après le massacre de Charlie-Hebdo. Despentes a-t-elle été poursuivie en justice ? Dieudonné, lui, l’est constamment, et l’a été immédiatement après sa saillie qui contrairement à celle de Despentes se voulait humoristique, ce qui est son métier : « Je me sens Charlie Coulibaly ». Il ne peut pas présenter un spectacle sans qu’un ou deux commissaires politiques de la bienpensosphère ne scrutent chaque phrase pour y déceler la moindre trace homéopathique de ce qui pourrait constituer un délit d’antisémitisme. Pour cet article, j’ai tenté en vain de retrouver le sketch qui a servi de prétexte à la mort sociale de Dieudonné (ce qui l’a poussé à se radicaliser selon le mécanisme habituel, car il fallait bien qu’il mange). Eh bien je n’y suis pas arrivé, et cette page d’analyse de l’événement est révélatrice : tout a été effacé de Youtube, de sorte qu’on ne peut plus même se faire sa propre opinion, selon la vieille méthode de la « bulle Unigenitus » [2]. Donc ce qui arrive maintenant aux universitaires (le métier de Jourde) est ce qui est arrivé en 2003 (et même avant) à Dieudonné, mais pas seulement, comme le dénonçait Éric Hazan dans un chapitre de Antisémitisme : l’intolérable chantage (La Découverte, 2003), qui évoquait le « harcèlement judiciaire » pratiqué notamment par Avocats sans frontières et par la LICRA : « Mais quel intérêt ont donc ces diverses associations à entreprendre des actions en justice qui sont manifestement vouées à l’échec ? C’est qu’il s’agit de manœuvres de dissuasion, et assez efficaces. Pour le défenseur, un procès même gagné d’avance est une perte de temps, d’énergie et d’argent. Il est compréhensible qu’un éditeur, un directeur de journal, de radio ou de chaîne de télévision hésite devant une telle perspective et conseille la « prudence » à ses collaborateurs. Sans compter l’effet « pas de fumée sans feu ». Hazan lui-même en avait fait les frais, traîné en justice par Avocats sans frontières auprès de la fameuse 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris pour avoir publié un livre intitulé L’Industrie de l’Holocauste, de Norman Finkelstein. Ce sont désormais les pratiques quotidiennes des wokistes pour toutes leurs causes que condamne justement Jourde, mais comment se fait-il que Jourde et d’autres intellectuels ne se soient jamais inquiétés quand ça ne les inquiétait pas eux ? [3] Eh oui, le premier wokisme, et quasiment le seul pendant des années, a été le wokisme de l’antisémitisme, qui a condamné et continue à condamner à la mort sociale de nombreux intellectuels qui n’ont dégainé pourtant que des mots. Dès qu’une affaire gêne le pouvoir, par exemple récemment dans l’affaire Chibritte, on asperge d’encens « antisémitisme » les empêcheurs d’enfumer en rond. Faits & Documents publie un dossier extrêmement solide en 7 numéros ? « Antisémitisme », et le tour est joué. Tiens, mais les Bonnie & Clyde de l’Élysée, qui ont pourtant la gachette judiciaire facile, n’ont pas déposé la moindre plainte en diffamation contre Faits & Documents. Étonnant ? Non : « Antisémitisme », et le tour est joué !
5. Éveillé sur le wokisme, Jourde s’est laissé embringuer dans le covidisme et le vaccinisme, du moins au moment où il a écrit ce livre, mais je suis persuadé qu’à l’instar de beaucoup de nos concitoyens (du monde) il a dû revoir sa position depuis. Quoi qu’il en soit, quand il écrit : « ce projet délirant est signé, entre autres, par Martine Wonner, opposante complotiste à la politique de vaccination » (p. 160), Jourde se comporte exactement comme les étudiants « gardes rouges » qu’il évoquait plus haut. Martine Wonner est médecin et cofondatrice de Laissons les médecins prescrire, et que je sache Jourde n’est pas médecin, mais sur un domaine qui n’est pas le sien il s’est laissé manipuler par une expérience de Asch. Or qu’est-ce que le wokisme sinon une gigantesque expérience de Asch ? Précisons que Martine Wonner a vite reconnu qu’elle s’était trompée en devenant députée macroniste, et a renié Satan, ce qui a fait d’elle une « opposante », c’est-à-dire une « complotiste », parfaite syntagme stalinien que, je l’espère, Jourde aura honte d’avoir pu écrire, comme Wonner a exprimé sa honte d’avoir pu soutenir ce serpent, comme dit Bigard.

Pour conclure, je dirai que le wokisme peut sous un certain angle (à condition d’être souple !) être considéré comme une bonne nouvelle : les musulmans intégristes vont découvrir qu’il n’y a pas qu’eux (ni les militants juifs) comme casse-couilles dans la société occidentale, et peut-être ce miroir de leur orchidoclastie va les amener à se remettre en cause. Ne serait-il pas temps de mettre un peu de côté nos différences, et de se réjouir de nos points communs ? Il est vrai que pour cela il faudrait intégrer à l’enseignement des cours d’auto-défense intellectuelle qui ne soient pas sponsorisés par Bill Gates ni George Soros, mais qui partent de l’expérience de Milgram et apprennent tous les ressorts de l’ingénierie sociale pour mieux les débusquer. Je laisse le mot de la fin à Jourde : « Que notre mot d’ordre soit : « Je ne suis pas ce que je suis » [4], pour l’opposer à ceux qui voudraient nous figer dans notre identité folklorique, par bêtise, par condescendance, par mépris ou par militantisme » (p. 241).

Lionel Labosse


Voir en ligne : Pierre Jourde sur Ligne de Conduite


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[1Sans considérer le réflexe pavlovien désormais acquis des caniches de la presse des milliardaires, de prétendre que les ronds sont des carrés.

[2Un lecteur de cet article repris sur Profession gendarme a retrouvé le sketch maudit, que l’on peut télécharger ici, mais que je n’ose pas intégrer directement, car je tiens à la vie.

[3J’ai repris ces informations de mon livre Altersexualité, Éducation & Censure (2005).

[4Au terme de cet article, je dois une confidence : ces mots me rappellent un des plus beaux poèmes de Robert Vigneau, « La Peau » : « J’entends certains qui se moquent / Découvrant l’anomalie / De mes gouffres équivoques : / Je n’étais pas qui je suis ! ». Robert est mort en août 2022 ; ce livre est sans doute le dernier de son ami Jourde qu’il ait lu avant de mourir. J’avais l’immense honneur de figurer parmi les nombreux amis de Robert, mais je n’ai pas pu entendre l’éloge funèbre de Pierre Jourde lors des funérailles de Robert. Je n’en dis pas plus.