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Histoire d’Épinal, pour lycéens et adultes

1914-1918 Françoise Dolto veuve de guerre à sept ans, de Manon Pignot & Yann Potin

Gallimard, 2018, 104 p., 19,9 €.

samedi 1er juin 2019, par Lionel Labosse

Mon attention a été attirée sur ce livre par un article du Canard enchaîné. « Tiens, Dolto a été victime d’un pédophile ? » s’est dit en lisant le titre le vilain petit canard pas enchaîné qui sommeille en votre serviteur. Eh bien non, qu’on se le dise, la fondatrice de la psychanalyse en pédiatrie (c’est le sujet de la thèse de médecine de Dolto en 1939) a vécu une relation avunculaire « incestueuse » à l’âge de 6 ans, et surtout pas « pédophile », et puis c’était une bien belle histoire avec de jolies photos pour un joli livre à offrir à sa moman pour la fête des mères. La pédopsychanalyste lacanienne qu’elle fut n’aurait jamais, si elle avait reçu dans son cabinet un cas semblable au sien, tenté de creuser tant soit peu derrière cette image d’Épinal de la fillette amoureuse de son tonton, et l’article que vous allez lire, autant vous prévenir, ne va pas dans le sens du poil !

Vous avez dit « incestueuse » ?

Il s’agit d’un livre illustré de quantité de documents originaux pour la plupart issus des archives familiales, et c’est un fort utile & beau travail, cela va sans dire, sur la guerre de 1914-18, mais ce n’est pas un travail bien sérieux sur le sujet indiqué en titre. Entrons dans le vif du sujet. Née en 1908, Françoise Marette connut entre 1914 et 1916 une expérience fondatrice dont on regrette qu’elle ne soit pas passée au crible de la pédopsychanalyse : « Parti célibataire au front, Pierre Demmler, né en 1886, avait à peine trente ans et s’amusait dans ses lettres à appeler sa nièce « ma fiancée ». La promise de sept ans portera son deuil. Peut-on croire à cette fable incestueuse par procuration ? Est-ce bien du reste une fable ? La sincérité de la petite fille qui se projette au cours des lettres comme future femme de son oncle, et même mère de ses futurs enfants, ne fait aucun doute à la lecture de ses missives » (p. 5). On retrouve cette épithète plus tard dans le livre et la vie de la jeune fille : « À la veille de parvenir à imposer à sa famille cette vocation médicale et bientôt psychiatrique, la jeune fille dialogue en 1928 avec le deuil fantasmatique d’un époux impossible car incestueux » (p. 10). On se pince : « incestueux » seulement, cette relation amoureuse d’une fillette de 6 ans avec son oncle de 30 ans imposée par des parents irresponsables ? Voici des historiens dont la pelle archéologique tient plutôt du râteau en plastique pour bacs à sable !
L’affection de la fillette précoce est encouragée par sa famille bourgeoise dont « les adultes qui se disputent son attention, la détournent des innocences de l’enfance, au point de se donner à travers elle des nouvelles et lui transférer le sentiment de perte grâce à sa faculté presque magique d’incorporation de la souffrance et du manque » (p. 9). On est étonné que ce livre (il faut le dire, dûment autorisé par la fille Catherine Dolto, elle-même médecin, remerciée en dernière page) ne contienne aucun questionnement moins superficiel. Ce n’est quand même un secret pour personne que les relations avunculaires fantasmées cachent parfois des relations avec le père. Dans Études sur l’hystérie, de Freud & Breuer (1895), le cas « Katharina » est emblématique, et Freud avouera dans les éditions tardives du livre qu’il avait dû mentir pour estomper le père incestueux en « oncle ». Donc cela me semble un peu léger que la question soit purement et simplement éludée. La seule trace d’un doute est dans cette phrase lacanienne à propos de la « Tête de Faux » où l’oncle trouva la mort et où la famille organisera un pèlerinage en 1928, histoire sans doute d’empêcher la jeune fille nubile d’oublier cet épisode traumatique : « Et quoi de plus faux, précisément, que ces fiançailles avunculaires et le deuil qui en procède ? » Mais pourquoi arrêter cette réflexion en si bon chemin ? La dernière lettre de Françoise à Pierre était la plus explicite : « j’en ai choisi une [une maison] pour toi et moi et nos quatre enfants. J’aurai 2 filles et 2 garçons si tu veux bien nous aurons chacun 1 garçon et une fille, dépêche-toi de demander une permission pour que l’on puisse se marié parce que je vais partir a Deauville » (p. 26). La mère Suzanne encourage sa fille en ces termes : « Voilà […] le portrait de la Légion d’Honneur que portera oncle Pierre […] quand il reviendra en général pour se marier avec toi. […] Une femme de général ça ne pleure pas » (p. 59). L’adulte Dolto commentera cet épisode de sa vie dans Enfances, cité p. 27 : « Pour moi, je ne devais jamais me marier, parce qu’une veuve de guerre, ça ne se remariait pas chez les gens « comme il faut ». Veuve de guerre à sept ans ! ». L’expression éponyme est donc de la plume de Dolto adulte, mais on s’étonne que les auteurs n’aient pas creusé plus loin.
En 1920, âgée donc de 12 ans, au deuil de l’oncle s’ajoute celui de la sœur aînée, morte d’un cancer, et la petite Françoise devient une « vestale » de la nombreuse fratrie (p. 10). Si l’on voulait creuser derrière cette histoire, on s’interrogerait sur les nombreuses allusions de cet oncle célibataire de 30 ans à « ses Hommes ». Alors qu’il est hospitalisé pour dépression suite à une blessure entre décembre 1914 et avril 1915, Pierre écrit à sa nièce : « Oui [je souffre] beaucoup, mais cela ne fait rien, seulement je ne serai pas dans la Somme avec mes Hommes. Je désirais tant les mener à l’assaut » Que de gloses un Lacan n’aurait pas tirées de cette rime Somme / Hommes, et de cet « assaut » tant regretté ! Dans une composition scolaire datée 28 mai 1916, la fillette se fait une vision quasiment clinique (et sodomitique, osons le mot) de l’assaut : « Dans une charge à la baïonnette, on tue 3 soldats ou plus, on entre la baïonnette dans le corps d’un boche, on la retire avec dégoût, mais quand on la retire, on est content on entre encore la baïonnette ». Cette rédaction était déjà citée dans Allons enfants de la patrie : génération Grande Guerre, (Seuil, 2012) de Manon Pignot, qui commentait : « Une utilisation simpliste du jargon psychanalytique verrait dans ce thème de la perforation une obsession toute masculine ; on constate qu’il n’en est rien puisque l’on retrouve le même type de description sous la plume d’une fillette ». Sauf que la fillette est informée par son oncle… comme les autres enfants d’ailleurs, qui n’ont aucune autre information sur la guerre que le discours des adultes. Un oncle célibataire à 30 ans, qui n’évoque jamais la moindre amourette, et qui ne songe qu’à retrouver « ses Hommes »… J’ai sans doute l’esprit tordu, mais Françoise Dolto n’est-elle pas devenue une des praticiennes du « dessin d’enfant » (caricaturé dans l’excellent Oh Boy ! de Marie-Aude Murail), et lire un désir homosexuel sublimé de l’oncle dans ces mots d’une enfant de 7 ans relèverait-il vraiment d’« une utilisation simpliste du jargon psychanalytique » ?

Les « nègres »

L’autre refrain de cet échange épistolaire est la découverte des soldats noirs, que l’oncle et la nièce appellent les « nègres ». L’iconographie sur ce sujet est abondante, et c’est un grand intérêt de l’ouvrage, de révéler l’importance réelle dans l’inconscient collectif de la présence des soldats noirs (et non dans une exposition spécifique qu’on aurait pu suspecter de sur-représenter un phénomène marginal). Par exemple pp. 48-49 sont reproduites 5 cartes postales de poilus envoyées à Françoise par ses parents, dont 2 présentent des noirs. Au dos de l’une d’elles, la maman écrit : « Voilà le portrait de Bou ji ma. En as-tu peur ? ». Dans une lettre citée p. 61, l’oncle écrit : « Je suis (je crois) plus beau que les nègres et, comme eux, je continue et je continuerai longtemps ». Puis en septembre 1915 : « les nègres qui sont évidemment très beaux mais qui ne valent pas les chasseurs alpins » (p. 62). Ces allusions sont expliquées par le fait qu’un sénégalais soigné par sa mère l’avait embrassée, au grand scandale de la préceptrice « Mademoiselle » qui « avait fortement grondé Françoise, allant jusqu’à lui laver vigoureusement les joues ». Le 7 septembre la fillette revient sur le thème : « je ne suis pas trop imable avec les naigres parce que je n’en voi pas mais je suis camême émable avec les blessé que je rencontre mais je le serai plus avec toi parce que je t’aime beaucoup […] je suis ta fianser » (p. 65). Une carte écrite d’Angleterre par le père représente 4 enfants noirs de façon caricaturale, ce qui entraîne ce commentaire : « [papa] m’a envoyé une carte avec 4 petits nègres, alors moi J’ai pleuré parce que je t’ai promis de ne pas les regarder […] J’espère que tu vas revenir bientôt pour qu’on puisse se marier ensemble » (p. 69). L’expression est reprise par Pierre fin mai 1916 : « Le Commandant m’a dit : « Vous écrivez avec la naïveté d’un enfant et j’ai été bien content car, si je ne suis qu’un enfant, nous pourrons nous marier ensemble quand je reviendrai général après la guerre » (p. 75). En mars 1916, Pierre écrit : « Peut-être faudrait-il que les nègres viennent nous aider : ils nous rendraient service car nous ne sommes plus bien nombreux ; si tu as des amis parmi eux (ce que je ne veux pas savoir), tu peux leur dire de venir nous donner un coup de main » […] « chasseurs qui ont la figure et les mains propres pour ne pas ressembler à des nègres » (p. 72). Le comble du délire réside dans une lettre du 2 juin 1916 à sa mère (la grand-mère de Françoise) dans laquelle, un mois avant sa mort, Pierre Demmler écrit une longue rédaction qui rebondit sur celle du 28 mai de sa nièce, et l’imagine écrivant sa rédaction : « Vava, comme St Antoine, connaît la tentation : plus elle veut penser à l’oncle Pierre, plus elle veut concentrer son attention sur une figure blanche avec un long nez, coiffé d’un béret bleu, plus la figure noire aux dents blanches et au nez épaté du nègre coiffé d’un turban rouge s’impose complètement, uniquement à son attention. Vava mord son porte-plume, on l’entend soupirer : « Ce n’est pas juste, ce n’est pas juste, puisque je ne veux pas penser à lui, qu’il vienne m’ennuyer comme cela ! ». Comme Caïn, Vava connaît le remords : Étant jeune, elle a trop pensé aux nègres. Le Bon Dieu la punit maintenant » (p. 76). Cette prose adressée par son « mari » de 32 ans à une gamine de 8 ans nous est livrée sans le moindre commentaire.
L’aspect documentaire et la réflexion sur la guerre sont fort intéressants. Manon Pignot dans sa partie, signale que « la guerre a provoqué une immense pulsion d’écriture, quels que soient les milieux sociaux et quel que soit l’âge des correspondants », et la petite Françoise n’en est qu’un exemple parmi d’autres. Sa famille l’encourage dans cette fiction d’un mariage avec son oncle. Plusieurs rapprochements avec Simone de Beauvoir née la même année montrent que ces expériences de la guerre ont donné à ces fillettes une maturité et une expérience de la mort. Beauvoir est citée p. 31 : « On disait parfois devant ma sœur et moi : « elles ont de la chance d’être des enfants ! Elles ne se rendent pas compte… » En moi-même je protestais : « Décidément les adultes ne savent rien de nous ! » » C’est en remarquant la décrépitude des veuves de guerre, notamment dans la bourgeoisie, qui se trouvent forcées à travailler pour nourrir leur famille, que Françoise Marette très jeune décide d’avoir un métier : « « je serai médecin d’éducation. » Tout le monde pouffant de rire : « Qu’est-ce que c’est ? – Je ne sais pas. Je ne sais pas, mais il faut que ça existe. » Là-dessus, j’ai raconté que les docteurs ne savaient pas que les enfants pouvaient être dérangés pour des choses qui étaient en eux, et qui n’étaient pas des microbes » (p. 32). Devenue tout juste médecin en 1939, Françoise est témoin de scènes de délire le jour de la déclaration de guerre, qui lui inspirent cette réflexion : « La psychanalyse, c’est vrai ! » (cité p. 35). Elle ouvre en 1940 une consultation de psychanalyse à l’hôpital Trousseau. Une citation de Tout est langage (p. 36) évoque des garçons de 5 à 11 ans (« qui se sont remis à faire pipi au lit ») à cause de leur incompréhension du fait que leur mère se réjouissait d’apprendre que leur père était prisonnier. Ils ne pouvaient pas comprendre qu’être « prisonnier » était plus positif que d’être mort !

Ce qui n’est pas dans ce livre

Pour finir je signale que dans un livre publié en 2008 et intitulé Ma Dolto, Sophie Chérer évoquait déjà cet épisode, mais elle osait, en citant Françoise Dolto elle-même, évoquer le traumatisme provoqué chez cette dernière par ce simulacre de mariage : « dans une lettre à Mademoiselle, sa fidèle institutrice [en fait préceptrice], elle parle pour la première fois du drame tel qu’elle l’a vécu : Je crois que personne ne saura jamais et moi non plus peut-être, quoique je m’en doute, l’influence formidable qu’a eue sur moi le chagrin de la mort de l’oncle Pierre. Je ne peux pas y repenser sans resouffrir, non plus pour le présent mais rétrospectivement. J’étais une enfant, c’est entendu, mais, pour moi, ces enfantillages étaient une réalité indiscutable et qui absorbait complètement mon esprit en étant le pivot de toutes mes pensées ». Puis Françoise Chérer site un séminaire de psychanalyse de Dolto (dont j’ai retrouvé l’original : Séminaire de psychanalyse d’enfant, Seuil, 1991, p. 104) : « Lorsque j’étais jeune, j’ai vu un enfant traumatisé par une parodie de mariage avec sa mère. Du jour au lendemain, il est redevenu un sale gosse, si l’on peut dire ; et il a définitivement refusé de figurer dans les photos de groupes ; il ne voulait plus se montrer. Moi, j’avais bien vu ce qu’il avait. J’étais plus âgée ; j’avais à ce moment-là une douzaine d’années. Cet enfant avait cinq ans, et sa mère avait joué au mariage avec lui. C’était l’anniversaire de ce petit garçon, et pour lui faire une fête nous devions, nous tous, ses amis, jouer le rôle de couples du cortège. Il y avait eu des déguisements. La mère s’était mis un voile blanc. Cela avait lieu dans le jardin. À partir de ce jour, cet enfant qui, jusque-là, semblait comme les autres, est devenu le sale gosse pour tous les autres ; on ne savait plus quoi faire de lui. Bien sûr, qu’une mère puisse jouer un fantasme de ce genre avec son enfant montre qu’elle devait déjà être pathogène. Tout le monde avait été marqué par ce mariage forcé entre la mère et son fils, bien que ce fût pour jouer. Eh bien, non ! Un adulte peut jouer avec un enfant à toutes sortes de choses, mais certainement pas – et surtout s’il s’agit du père ou de la mère – au mariage. »

Comment se fait-il que j’aie retrouvé en quelques clics tous ces commentaires édifiants sur le ressenti réel de Dolto adulte, alors que cela a échappé à nos deux historiens patentés ?

Je reviendrai pour terminer à cet article « Petite gueule cassée », d’Anne-Sophie Mercier, du Canard enchaîné n° 5135, 3 avril 2019, par lequel j’ai eu connaissance de ce livre.

« Petite gueule cassée », Le Canard enchaîné n° 5135, 3 avril 2019.
© Le Canard enchaîné

Non seulement cet article est pour moi une nouvelle preuve que les critiques professionnels ne savent pas, ou plutôt, n’ont pas le temps de vraiment lire les livres dont ils publient des recensions, mais surtout que le Canard, notre « journal satirique » préféré, est un canard migratoire qui ne fait que suivre les autoroutes de pensée sans esprit critique. En effet, non seulement Anne-Sophie Mercier gobe ce livre sans tiquer sur cette image d’Épinal, mais le maquettiste a eu l’excellente idée de coller à sa recension naïve un dessin de Diego Aranega intitulé « Assemblée plénière des évêques de France ». Ce dessin brode avec un grand courage et une grande originalité sur la pédophilie de l’Église catholique. Les phylactères sont édifiants : « Faites gaffe, ils sont nombreux » […] « Tenez bien la main à votre gosse ». Tous les prêtres sont donc pédophiles selon le courageux volatile. On a bien compris que le courage journalistique consiste, depuis l’attentat de Charlie Hebdo à tirer sur les cathos. Imagine-t-on un dessin faisant un amalgame du même type sur un juif par exemple passant devant une mosquée avec les mêmes phylactères à propos des musulmans ? Et pourtant des enfants juifs ont bien été assassinés par des musulmans ces dernières années. Alors comment se fait-il que l’on puisse courageusement faire l’amalgame « un prêtre pédophile, tous les évêques pédophiles », et pas cet amalgame équivalent : « un musulman terroriste, tous les musulmans terroristes » ?
Pour aller plus loin sur cet aveuglement qui ne touche pas que les satiristes borgnes du Canard, je vous recommande de lire « De la libération des enfants à la violence des pédophiles. La sexualité des mineurs dans les discours politiques des années 1970 » (2014), de Jean Bérard, sur ce site.
Citations extraites de cet article :
 Citation de Tony Duvert, 1980 : « On met les bambins en garde contre tous les dangers du monde extérieur, on leur dit : N’écoute pas les messieurs dans la rue, ne va pas en voiture, refuse les bonbons, rentre vite chez nous ! … – Et c’est là qu’il attend, le vilain monsieur. Rien de surprenant. L’ami de la famille est un ami des parents. Il tente et réussit son coup parce que l’autorité parentale le protège aux yeux de l’enfant : c’est donc dans les familles où les enfants seront le plus soumis à cette autorité que l’agresseur sera le plus à l’aise. »
 Françoise Dolto est citée parce qu’elle a été accusée de défendre la pédophilie par des imbéciles alors qu’au contraire, « Elle défend une position sur la majorité sexuelle distincte de la loi existante et de la volonté des pédophiles, en demandant, « qu’on décrète, les enfants ayant été instruits, l’âge de la responsabilité sexuelle deux ans après la puberté pour chaque citoyenne ou citoyen adolescent (règles, spermogénèse) ». Eh oui, on peut être à la fois opposé à la pédophilie et favorable à la liberté des adolescents d’avoir des rapports amoureux dès lors qu’ils ont dépassé la puberté et que l’on peut estimer que leur consentement est valable, ce qui pour Dolto ne semble pas forcément devoir attendre la date anniversaire des 18 ans !
 « Une enquête publiée en 1995 portant sur les jeunes de 15 à 18 ans montre que « 15,4 % des filles et 2,3 % des garçons déclarent avoir subi des rapports sexuels forcés », et que « 85 % de ces rapports ont été commis par des hommes connus, jeunes ou adultes, qui appartiennent ou non à la famille » (Lagrange Hugues, Lhomond Brigitte, Les Comportements sexuels des jeunes de 15 à 18 ans, Paris, La Documentation française, 1995.).
 « comme le montre Laurie Boussaguet, le débat public [est] ramené depuis les années 1990 « quasi-exclusivement aux seuls cas des abus sexuels extrafamiliaux et alimentée par une couverture médiatique qui insiste sur l’image du « stranger danger » (Laurie Boussaguet, La pédophilie, problème public, France, Belgique, Angleterre, Paris, Dalloz, 2008). « L’identification politique et médiatique des violences sexuelles subies par les mineurs à l’image du pédophile inconnu fonctionne à la fois comme un dévoilement des violences subies par les victimes et une occultation de ceux qui en sont les auteurs. Le traitement du danger pédophile refoule vers l’extérieur de la maison une menace qui est en réalité majoritairement domestique. »
Certes, s’il faut nuancer sans doute les chiffres cités par Lagrange / Lhomond puisque, je cite, « des hommes connus, jeunes ou adultes, qui appartiennent ou non à la famille », cela peut inclure les prêtres et enseignants, et l’on aimerait des chiffres plus précis : famille / connus hors famille / inconnus ; mais autant ce livre sur la petite Françoise que l’article du Canard et ce dessin imbécile qui le jouxte sont révélateurs de cette attitude désormais pavlovienne des médias et des politiciens (et de l’immense majorité de la population, vu le bourrage de crânes) que Jean Bérard résume bien : les méchants pédophiles ce sont les prêtres et les profs ; enfants, soyez en sécurité avec papa et tonton !

Pour terminer je ferai le parallèle avec mon livre M&mnoux. Alors que j’écris le présent article, je reçois un mail d’une amie de ma mère, dont le témoignage est un de ceux qui m’ont permis d’inventer les pages consacrées aux incestes pédophiles qui ont existé dans la chronique de ce village. Même si j’ai tout romancé, même si j’ai mélangé plusieurs histoires, cette personne se reconnaît, et depuis que le livre est paru, ne cesse de m’envoyer des messages sur sa souffrance par rapport à ces faits. Or, réfléchissant à partir de cet article et de l’attitude des journalistes, je me dis que dans tous les témoignages que j’ai recueillis pour ce livre, si les prêtres et instituteurs de ce petit village étaient parfois ressentis comme des emmerdeurs, aucun d’entre eux ne commit le moindre acte de prédation sexuelle, alors que j’ai recueilli trois histoires différentes de viols pédophiles incestueux et aucune histoire de pédophilie extra-familiale. Or si l’on écoute les médias actuellement, on peut s’imaginer que tous les prêtres sont pédophiles. Or à qui, dans un village, peut-on confier ce type de secret ? Si l’on jette la suspicion sur tous les prêtres, à qui se confier ?

Lionel Labosse


Voir en ligne : Présentation sur le site Gallimard


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