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Une histoire d’amour qui a peur de l’amour, pour les 4e/3e

Les Anges n’ont pas de sexe, de Dominique Sampiero

De La Martinière, Confessions, 2006, 128 p, 8,5 €

jeudi 7 février 2008

L’évocation portée par le souvenir ému d’une amitié, d’un ange trop vite parti. Le récit nous plonge sans peser dans l’adolescence solaire d’un adolescent solitaire mais avide de vie, qui croise trop brièvement, l’espace de deux années scolaires, le chemin d’un garçon miné sans doute par un lourd secret, une infirmité taboue à l’époque, qui sait ? en tout cas un mal-être lié à la sexualité. Que reste-il de cette amitié intense ? Ce beau livre, un véritable hymne à l’amitié et à l’amour, dont la superbe illustration de couverture nous rappelle que nous tenons aussi peu à la terre qu’aux nuages. De nombreuses citations poétiques rythment le texte.

Résumé

« J’ai quinze ans, tout le monde me fuit […] je n’ai pas d’amis, à part les arbres » (p. 13). Voilà ce que dit de lui-même le narrateur, qui se révélera moins timide, avant de faire la connaissance de son futur voisin et copain Riri. Il souffre de solitude ; il s’adresse à son cartable : « tu sais comment on trouve un ami, un vrai ? » (p. 27). Aussitôt dit, aussitôt fait, arrive Riri, qui porte le même nom de famille (patronyme courant) et habite en face. Les familles sympathisent ; Riri devient « frère jumeau » (p. 48) ; ils ne font qu’un, se retrouvent secrètement la nuit, font les quatre cents coups : « Je vais apprendre que l’amitié est une histoire d’amour qui a peur de l’amour » (p. 32) ; « Je bois de la bière, je pisse beaucoup » (p. 37). Ils apprécient l’ambiance des matchs de foot à la télé : « Ils connaissent les noms des joueurs par cœur, protestent, crient, insultent l’arbitre » (p. 38). Dans le blockhaus où ils se retrouvent le soir (le souvenir de la Seconde Guerre mondiale est présent), « on s’entraîne à la torture » ; « on se brûle un peu la main avec des cigarettes ou on se fait saigner » (p. 56). Le narrateur évoque sa mère, qui « a besoin de souffrir » (p. 65), qui a peur de l’orage à cause des souvenirs de la guerre, qu’il a entrevue nue parce que, justement, ces nuits d’orage, il partage son lit (le père travaille de nuit). C’est en pissant de conserve que le narrateur découvre le secret de Riri : « le sien était petit, violet sur le bout, avec un bourrelet de chair à cause de l’opération ». Riri s’exclame : « T’as de la chance, le tien est normal » (p. 80). On ne saura jamais de quoi exactement il est question, mais à partir de ce moment, les chemins des garçons divergent. Le narrateur entreprend de guider son ami « vers un premier flirt » (p. 91), lui expose une amusante méthode de drague (p. 85) ; « lui montre sur le dos de sa main comment on embrasse » (p. 87). En vacances avec les deux familles, ils draguent deux filles dans une boîte, de conserve ; mais sans explication, Riri ne « conclut » pas comme son ami, et rompt unilatéralement la relation d’amitié. Le narrateur tente fort maladroitement de rattraper les choses, et ce sera le drame final.

Mon avis

La langue de Dominique Sampiero est sobre et poétique. On est à la campagne, la sensualité baigne tout geste quotidien : « [mon grand-père] me laisse glisser le jeune poireau dans l’orifice qu’il rebouche tendrement » (p. 20). Quand il est question de filles, sans en faire trop, l’auteur suggère une simplicité dans la relation, qui estompe l’angoisse du dépucelage : « La main de Myriam est douce sur mon ventre et quand je coule, un peu honteux, entre ses doigts elle m’embrasse en rigolant » (p. 103). Quelques notes de bas de page éclairent les régionalismes ; l’une d’elles nous mène même en bateau : « Ça tombe comme des gravelotes » (p. 54), déformation de l’expression « Tomber comme à Gravelotte » ! Il s’agit en tout cas des beignes du papa. Ce court récit est une illustration de plus de ce qu’ une éducation à la sexualité pourrait éviter de drames. C’est le curé qui, suite à la confession du narrateur, prononce la phrase du titre. En effet, qui peut augurer de l’avenir avorté des ados suicidés ? Qu’en était-il de la sexualité de ce Riri, de son opération mystérieuse qu’un tabou sexuel a enfoui pour toujours ? Était-ce un « intersexe » comme on dit maintenant ? Sa réticence pour les filles, sa jalousie pour son ami l’auraient-elles, s’il avait vécu, classé parmi telle ou telle catégorie altersexuelle ? En tout cas, la fidélité posthume du narrateur / auteur ne laisse pas de glace ; c’est si rare qu’un homme (qui n’est pas homo) ose dire son amour pour un homme ; et l’on songe à la chanson de Jacques Brel « Jojo » : « Six pieds sous terre Jojo tu n’es pas mort / Six pieds sous terre Jojo je t’aime encore ».

 Cet ouvrage a obtenu le prix 4e/3e de l’association Tatoulu en 2008.
 Lire Le Choix de moi, d’Hervé Mestron, qui aborde explicitement la question intersexe.

Lionel Labosse


Voir en ligne : En savoir plus sur Dominique Sampiero


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