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Crimes parfaits, pour les 4e/3e

Jeu mortel, de Moka

École des loisirs, Médium, 2003, 222p, 10,5 €

mercredi 20 février 2008

Voici un livre déroutant de Moka, alias Elvire Murail, auteure également de l’excellent Escalier C et de Pourquoi ?. Il s’agit d’un thriller sans surprise, qui fait frissonner non seulement notre courage, mais aussi notre sens moral. Un livre qui ravira davantage les adolescents et surtout les adolescentes que les prescripteurs… effrayés sans doute de l’immoralité de la chute… si immorale qu’elle ne peut sans doute qu’entraîner un réflexe moral chez le jeune lecteur ! (Voir les réactions enthousiastes sur le lien ci-dessus).

Résumé

Arielle est confiée par ses parents au prestigieux internat Saint-Charles. Son père est nommé pour une mission d’un an au Brésil, et les parents ont préféré cette solution, même si Arielle y va à reculons. Le jour de la rentrée, la R5 familiale fait tache parmi les Rolls, et Arielle a le réflexe de mentir pour trouver sa place parmi l’une des trois « castes » constituant ce collège : les « Aristos » aux patronymes à rallonge et aux prénoms fleurant le vétiver, les « Parvenues » et les « Intouchables », ces dernières étant soit juives soit étrangères. Ces trois « clans » se détestent cordialement ; il s’agit surtout de « jouer » à se faire peur. Cela commence par un bizutage macabre, puis on organise un bal, un steeple-chase officiels, doublés de sorties secrètes et nocturnes. Arielle étonne ses nouvelles amies par ses capacités athlétiques. Mais rapidement les jeux tournent au vinaigre : un plaisantin, qu’on croit être un jeune jardinier, semble suivre les jeunes filles. Une nuit, on aperçoit un cadavre, puis on croit qu’il s’agissait d’une farce mieux réussie que les autres, à moins qu’il ne s’agisse vraiment d’un cadavre… On se rend compte qu’on a été droguées (shit, ecstasy, GHB, tout y est). Arielle mène l’enquête…

Mon avis

Ce roman est exaspérant sans doute pour des lecteurs adultes, avec ces jeunes filles de bonne famille qui jouent à s’insulter (« Ah bon, les Juives se lavent ? dit Colombe de Solignac », p. 32) et à se faire peur pendant de très longues pages ; ces adultes caricaturales, comme Mme d’Avrigney, « antisémite, raciste et royaliste » (p. 55), et ces clichés du genre (les « clans » qui perdurent tacitement depuis des générations, le « palefrenier », la chapelle hantée…). On s’amuse cependant aux dérapages contrôlés du récit, lorsque la drogue annoncée n’est pas celle qu’on croyait, et que le jeu de la « mort subite » devient un « jeu mortel ». La raison de la présence de ce roman de pur divertissement dans notre sélection est assez fortuite : au cours de l’enquête, Arielle force trois filles (dont Féodora, qui avait bizarrement insisté pour l’accueillir parmi les parvenues alors qu’elle était inconnue, p. 29) à déclarer qu’elles préfèrent les filles et qu’elles se sont embrassées (mais rien de plus semble-t-il, p. 179). L’une étant une « Juive », et ayant été laissée de côté après ce moment d’égarement, on suppose que son ressentiment aurait pu motiver le désir de vengeance, d’où le jeu qui se serait avéré mortel… Cette piste est cousue de fil blanc, et il s’avérera finalement qu’un simple concours de circonstances a abouti au drame, une série de quiproquos, dont deux garçons font les frais selon une justice féministe expéditive qui là aussi laissera un goût amer à certains lecteurs adultes, dont j’avoue faire partie (« Personne ne me traite de pisseuse, dit Titania », p. 216) [1]. L’un des prétextes avancés pour ne pas faire appel à la Justice est la honte : « tu as envie d’expliquer à des adultes pourquoi tu embrasses des filles ? » (p. 218). La lecture de ce roman m’a mis mal à l’aise, je dois le dire, mais cette amoralité ne peut être que volontaire, et nous devons sans doute aussi « jouer le jeu », nous prescripteurs adultes, de laisser les jeunes lecteurs aux prises avec ce roman qui ne donne pas sa morale toute mâchée, comme le suggère ce dernier extrait : « Ce qui la troublait le plus, c’était ce sentiment de corruption qui la rongeait depuis le début. Elle avait menti, fumé, bu de l’alcool. Elle avait bravé des interdits et avait même tué sous l’emprise de la drogue. Les charmantes jeunes filles de Saint-Charles l’avaient pervertie. Et alors ? Elle n’était pas une victime pour autant. Elle avait accepté de jouer le jeu. Elle n’avait ni honte ni remords. C’était là le plus terrible » (p. 204).

Lionel Labosse


Voir en ligne : Commentaires de jeunes lecteurs sur ce livre


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[1On dirait l’adaptation pour ados de Baise-moi de Virginie Despentes.