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Le tour des recherches actuelles sur l’altersexualité en 14 chapitres, pour les lycées

Une Histoire de l’homosexualité, sous la direction de Robert Aldrich (1 : chapitres 1 à 7)

Seuil, 2006, 384 p., 50 €

jeudi 26 février 2009

Robert Aldrich est professeur d’histoire à l’université de Sydney. Il coordonne ici une équipe de professeurs et chercheurs de différentes disciplines (de l’histoire ou la philo aux « études gays et lesbiennes » de l’université d’Amsterdam !) pour faire le point sur l’étendue des connaissances au début du XXIe siècle à propos de l’altersexualité. Les chapitres sont abondamment illustrés grâce à… une certaine Wendy Gay (ça ne s’invente pas !) [Décédée d’un accident de la circulation peu après la publication de l’ouvrage.]]. Beaucoup d’illustrations originales et pertinentes qui correspondent au texte, mais aussi des images un peu trop générales, pour combler les vides ! Ce livre est exaltant parce que d’une part il montre que les recherches ont évolué par rapport aux derniers ouvrages qu’il m’avait été donné de lire sur le sujet avant la création de ce site (et pour lesquels je n’ai donc pas fait d’article), notamment celui de Maurice Lever (Les bûchers de Sodome (1985), et celui de Colin Spencer, Histoire de L’homosexualité de l’Antiquité à nos jours (1995), d’autre part il consacre de longs développements aux cultures non-occidentales ; enfin il prend en considération la question altersexuelle dans son ensemble, et ne se cantonne pas à ce qu’on nomme depuis la fin du XIXe siècle « homosexualité ». On se doute que le titre a été choisi pour des raisons pratiques, mais le contenu va au-delà. Il eût été souhaitable, cependant, de s’affranchir du concept réducteur d’« homosexualité », dont on constate dans certains articles qu’il empêche à la réflexion de prendre de l’ampleur. On reprochera donc à l’ouvrage, malgré ses grandes qualités, un certain nombre de redites, un manque de cohérence terminologique et une étanchéité entre les articles consacrés aux lesbiennes et ceux consacrés à l’homosexualité qui, la plupart du temps, sont consacrés surtout aux gays. Quelques articles, en outre, pratiquent à l’excès le survol géographique ou historique. Bref, la coordination laisse un peu à désirer. Voici la première partie, les chapitres 1 à 7 proposent en gros une histoire de l’homosexualité avant l’invention du néologisme « homosexualité », qui est donc plutôt une histoire de l’altersexualité… la notion même d’études gays et lesbiennes est pour le moins problématique !

Chapitre 1 : Histoire gay et lesbienne, par Robert Aldrich

Cette préface brosse un panorama de l’histoire mondiale de « l’intimité sentimentale et physique avec des personnes du même sexe » (p. 7), avant de consacrer un court développement à l’Australie. La mention des « garçons-femmes de l’Australie aborigène » n’empêche pas l’auteur de limiter le spectre de l’ouvrage aux « différents comportements, identités et modes de vie de ceux et celles qui désirent des personnes du même sexe » (p. 27), alors que l’ouvrage dépasse largement ce cadre !

Chapitre 2 : L’homosexualité en Grèce et à Rome, par Charles Hupperts

Il n’y avait pas de termes distincts dans la langue grecque pour désigner homo et hétérosexualité. On apprend qu’à Athènes « manger de la viande de lièvre pouvait stimuler chez un homme le désir d’être pénétré » (p. 34). Pour l’auteur, il est exagéré de « suggérer que ces relations avaient une fonction pédagogique » (p. 38). Une étude approfondie du Banquet de Platon nous est proposée, où l’on apprend que Platon « utilis[ait] le masque de Diotime afin de critiquer son maître » (Socrate) (p. 46). Les exoleti (pluriel d’exoletus) étaient des adultes qui prenaient plaisir à ce qui était en principe plutôt réservé aux éphèbes. L’obsession des Romains (et des Grecs) pour le rôle insertif considéré comme plus viril que le rôle réceptif, leur avait fait distinguer la fellation et l’« irrumation », c’est-à-dire une fellation où l’homme qui insère son pénis dans la bouche du partenaire est considéré comme « actif ». Théodose 1er le Grand, dernier empereur de l’empire romain réunifié à la fin du IVe siècle, « déclara que tous les homosexuels passifs qui se prostituaient dans des lupanars devaient être brûlés vifs » (p. 55). C’est dire l’importance de la chose !
 Voir mon article sur la Grèce.

Chapitre 3 : Le Moyen Âge, par Bernd-Ulrich Hergemöller

À l’orée de ce chapitre, une superbe gravure d’Albrecht Dürer, Le bain des hommes (1497), évoque une atmosphère homoérotique, mais on a dit aussi qu’elle illustrait la théorie galénique des humeurs. On a pu admirer cette gravure à l’exposition « LE BAIN ET LE MIROIR » au château d’Écouen, pendant l’été 2009, ainsi que d’autres gravures ou peintures de l’époque représentant souvent des bains mixtes, hommes et femmes nus, parfois enlacés, comme « Le bain public dit bain des anabaptistes », de Virgil Solis. [1]

Albrecht Dürer, Le bain des hommes
Gravure de 1497


Le spécialiste du Moyen Âge distingue les amitiés entre hommes, respectées, et les actes sexuels « contre-nature » commis par les « sodomites ». Il rappelle que « Le Moyen Âge ne répartissait pas les gens dans le groupe des hétérosexuels ou celui des homosexuels. Il les classait dans la catégorie des adeptes des lois de la nature ou dans celle des partisans des actes contre-nature » (p. 63). Cela n’empêche pas que « la grande majorité des poursuites engagées au Moyen Âge (environ quatre-vingts pour cent) pour des actes « contre-nature » concernaient les actes sexuels entre hommes ». Le concept d’intersexualité ou de transgenre manque apparemment à l’auteur de l’article quand il évoque le cas de « Rolandino Ronchaia », à Venise, ou de « John Rykener » à Londres, qui sortent incontestablement de la catégorie « homosexualité ».

Chapitre 4 : L’Europe des Temps modernes, 1400-1700, par Helmut Puff

Ce professeur de l’université du Michigan conteste l’« image idéalisée de la liberté sexuelle de la Renaissance » (p. 79). Il commence par étudier « La « sodomie », ce vocable énigmatique », en notant que « À une époque où les théologiens redoutaient que le simple fait de mentionner [ces péchés] eût pour conséquence de propager la non-orthodoxie sexuelle comme une maladie contagieuse, et où les manuels des confesseurs enjoignaient aux prêtres de traiter le « péché innommable » avec la plus grande discrétion, le sodomite devint la figure récurrente des homélies. » (p. 80). La Divine Comédie de Dante donna lieu à des représentations par exemple de Sandro Botticelli, qui suggèrent justement qu’entre l’innommable et l’ineffable, le lien est ténu. Voici une peinture intitulée Dante et Virgile en Enfer (1850) chipée dans l’article de Wikipédia sur William Bouguereau qui illustre le paradoxe (elle n’est pas reproduite dans l’ouvrage).

William Bouguereau : Dante et Virgile en Enfer
Peinture de 1850. Fichier Wikipédia Commons.


Les condamnations et exécutions pour sodomie constituaient donc en Europe une faible proportion de l’ensemble des exécutions. Par exemple « À Londres, un seul homme fut condamné pour sodomie pendant la période comprise entre 1420 et 1518 » (p. 83), tandis que 65 hommes ont été mis au bûcher entre 1578 et 1616 à Séville et Grenade. Mais l’auteur de l’article nous conseille de « nous éloigner du concept de sodomie […] un mot dont l’essence même cherchait à jeter l’opprobre sur les différentes activités sexuelles auxquelles il faisait référence » (p. 86). La notion d’amitié avait une résonance bien plus forte à cette période, au point que « lors du décès d’un ami, on élevait un monument funéraire, ou on exprimait le souhait d’être inhumé à ses côtés » (p. 90). Voilà l’origine d’une tradition qui a perduré jusqu’au chansonnier Béranger au moins, au XIXe siècle (Voir cet article). On retrouve la même tradition chez les femmes, cf. p. 135.

Chapitre 5 : L’homosexualité masculine à l’époque des Lumières et des révolutions, 1680-1850, par Michael Sibalis

Avec force illustrations explicites, cette époque riche et bien connue nous est évoquée, des considérations sociologiques de la Princesse Palatine inspirées des frasques de Monsieur, à la préhistoire des lieux de drague homos dans les capitales européennes. Comme le précédent, ce chapitre relativise le nombre d’exécutions : « En fait, les dernières exécutions pour sodomie en Europe continentale ont lieu aux Pays-Bas en 1803. » (p. 114), et en Angleterre et en Écosse entre 1835 et 1869 (p. 120). Voir une affaire anglaise célèbre : The Women-Hater’s Lamentation, en 1707, est une ballade en vers se moquant de sodomites « qui se sont suicidés en attendant d’être jugés » (p. 113).

The Women-Hater’s Lamentation
1707

Les philosophes des Lumières sont étrillés en quelques lignes, avec quelques citations malheureusement sorties de leur contexte, et Sade sort vainqueur par k. o. contre Emmanuel Kant. Je n’ai pas retrouvé les citations exactes, mais celle-ci, trouvée sur Wikisource, s’en approche : « La communauté sexuelle est l’usage réciproque qu’un homme peut faire des facultés et des organes sexuels d’une autre personne, et cet usage est ou bien naturel, ou bien contraire à la nature, et ce dernier peut avoir lieu, soit avec une personne du même sexe, soit avec un animal d’une autre espèce ; ces transgressions des lois, ces vices contraires à la nature, que l’on dit innommables, sont des injures envers l’humanité. » (« Doctrine du droit », Métaphysique des mœurs.
L’apport le plus intéressant du chapitre est de réviser l’idée reçue selon laquelle le Code Napoléon serait à l’origine de la dépénalisation de l’homosexualité. En fait, Jean-Jacques-Régis de Cambacérès n’y serait pour rien, mais ledit Code aurait quand même, en reprenant le code pénal de l’Assemblée Nationale Constituante de 1791, qui avait dépénalisé, et en l’étendant à toutes les conquêtes napoléoniennes, contribué à la chose. Légère nuance, en effet, car l’empereur aurait aussi bien pu repénaliser… [2] On retrouve le goût scientifique (?) pour la sodomie déjà évoqué dans Les Origines de la sexologie 1850-1900, de Sylvie Chaperon entre autres, avec la personnalité inénarrable du Dr Tardieu.

Chapitre 6 : Les lesbiennes et leurs semblables dans l’Europe moderne, 1500-1800, par Laura Gowing

Après un rappel des « postulats du modèle de Galien » selon lesquels « l’homme et la femme étaient les pôles opposés d’un spectre du genre sexuel, dont les hermaphrodites occupaient le centre » (p. 126), l’auteure évoque des cas d’hermaphrodisme, qui apportent de l’eau au moulin atersexuel (impossibilité de distinguer à l’époque entre les L, les G, les B et les T de notre « LGBT » actuel.) Cas de Marie le Marcis en 1601, ou cas de Catharina Margaretha Linck ; de la célèbre Catalina de Erauso qu’on rangerait aujourd’hui dans la catégorie transgenres FtM, et qui méritent sans doute autant que Jeanne D’Arc de figurer dans un livre consacré à l’homosexualité ! L’auteure de l’article en est bien consciente : « les termes « transgenre » et « transsexuel » sont des catégories plus utiles que « lesbienne » pour des gens comme Catalina de Erauso ». Je suis plus sceptique quand elle signale avoir relevé dans des registres de mariage de paroisses anglaises, des unions de « Hannah et Anne » ou « Anne et Alice ». C’est oublier que Anne (comme Alice !) peut être un prénom masculin ! Il est question de godemichés en cuir ou en ivoire, ce qui nous rappelle que le progrès ne suit pas forcément une ligne droite ! On apprend que dans les siècles passés, de nombreuses femmes célibataires ou veuves « vivaient sous le même toit et partageaient leurs frais » (p. 138). De nombreux faits d’ordre sexuel ont logiquement « échappé en général à la sagacité des historiens » (p. 141), les préjugés poussant plutôt les femmes à cacher ce qui était considéré comme scandaleux.

Chapitre 7 : Les Amériques : de l’époque coloniale au XXe siècle, par Brett Genny Beemyn

L’auteur remonte aux premiers textes des conquistadors, seules traces écrites, même si une sculpture mochica (avant le VIIIe s.) prouve que la sodomie entre hommes était bien évidemment fréquente avant que les Européens n’en prissent ombrage ! La répression puritaine s’abattait autant sur les sodomites que sur les « intersexués » (mot utilisé p. 151), jugés pour avoir utilisé des habits de l’autre sexe. Les bardaches sont évoqués, illustrés par les célèbres gravures de Théodore de Bry d’après les souvenirs de Jacques Le Moyne de Morgues (qu’on retrouvera au chapitre 11 ; voir l’article de Wikipédia sur l’homosexualité au Mexique, ainsi des extraits d’un essai de Guilhem Olivier sur Culture et Débats). On passe vite aux époques modernes, pour étudier les YMCA, l’homosexualité des pirates des Caraïbes (p. 158), ou les amours populaires fort modernes de Walt Whitman. La Jeanne d’Arc étasunienne se nomme Deborah Sampson.

Lire la suite : chapitres 8 à 14

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le dossier histoire de Lambda éducation (Suisse)


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[1On trouvera également dans le chapitre suivant une représentation de la fameuse Trahison du Christ, gravure de 1508.

[2Le chapitre à suivre de Florence Tamagne évoque pourtant « l’influence du Code Napoléon » dans les « pays de culture latine et catholique », et on comprend que le raccourci évite des circonlocutions.

Messages

  • Il y avait bien en grec ancien des termes ou expressions pour désigner l’homosexualité masculine et l’opposition hétérosexualité/homosexualité :

    amours masculines (Agathias)
    aphrodite ouranienne/aphrodite vulgaire (Platon, Banquet, 180d)

    ce caractère (Aristophane)

    éros, érotique, amour des mâles, amour masculin/amour des femmes (Aristote)

    gynécomanie/paidomanie (Athénée)

    union masculine, amours de garçons/liaisons féminines, sorte d’amour, (Athénée)

    philomeire/philogyne (Athénée)

    philopaide (Callimaque)

    union avec la femme/union avec un homme (Constitutions apostoliques)

    commerce des mâles (Diodore de Sicile)

    érotique, cinédologue, philopaide (Diogène Laërce)

    autre éros ; ambidextre (Euripide)

    union naturelle/union de mâle à mâle (Josèphe Flavius)

    amour masculin (Justin)

    amour des femmes/amour des mâles, hétérochrotas (pseudo-Lucien)

    gynécomanie, Cypris/Éros, désir pour les mâles (Méléagre)

    aphrodite ouranienne/aphrodite vulgaire (Platon, Banquet, 180d)

    éros, genre d’amour, (Plutarque)

    amour légitime/amour des garçons (Plutarque),

    gynécomanie/paidomanie, porté à l’érotique (Plutarque)

    ceux qui aiment les paidika/ceux qui aiment les femmes et les jeunes filles (Plutarque)

    passion pour les femmes/union masculine (Ptolémée)

    amour masculin (Sextus Empiricus)

    philopaide (Straton de Sardes)

    philopaide (Théocrite)

    paidéraste, porté à l’éros (Xénophon d’Athènes)