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La nouvelle virilité (tome 1) & Le mâle dominant (tome 2), pour les lycées

Pascal Brutal, de Riad Sattouf (tomes 1 & 2)

Fluide Glacial, 2006 et 2007, 48 p., 9,95 € le volume.

jeudi 12 mars 2009

« Chuis un keum, c’est tout quoi… » ainsi s’explique Pascal Brutal répondant aux questions indiscrètes du « graphiateur », qui, tel un journaliste reporteur d’images, le pousse, au risque de son intégrité physique, dans ses retranchements. Or Pascal Brutal, plus qu’un « keum », est le symptôme de toute une époque : nous sommes dans un futur proche, enfin heureux, où Alain Madelin termine son troisième septennat. La Bretagne et le Pas-de-Calais sont indépendants, et notre Pascal trimbale sa virilité à Paris et dans ses alentours, ne dédaignant pas d’enfourcher sa bécane pour filer en Bretagne régler ses comptes à un détracteur. Viril, parfois violent, mais toujours sensible, Pascal Brutal est un homme à femmes mais aussi — aspect intime de sa personnalité — un homme à hommes, et le cas échéant, tout le contraire de « brutal ». Ses muscles qu’il entretient religieusement (en faisant bisquer les islamistes) les font tous craquer. Les familiers de l’univers de Riad Sattouf verront en Pascal Brutal l’incarnation du « Goldorak », super-héros promis mais jamais obtenu en échange de la circoncision. Premier héros ostensiblement et résolument bisexuel de la bande dessinée, Pascal Brutal mérite incontestablement de faire une entrée fracassante dans les C.D.I. des lycées de France et de Bretagne (et de Navarre itou !)

La nouvelle virilité (Tome 1)

« Pascal, serais-tu à voile et à vapeur » ? demande le narrateur dès la deuxième planche de la première histoire. Pascal ne comprend pas, et le narrateur insiste : « on t’a vu avec beaucoup de femmes, mais on t’a aussi vu avec des hommes ! ». Peine perdue : « J’aime pas parler d’mon intimité… T’es relou ». Les avis sont divergents sur Pascal : certaines le trouvent « kom ass », tandis que d’autres le trouvent « macho et stupide ». Pour d’autres, il est surtout le pourvoyeur du « meilleur teuch de Ripa » ! L’enquêteur graphiateur se prend un poing dans la figure quand il demande sans ambages à une meuf : « Et l’homosexualité de Pascal, vous en pensez quoi ? ». Bonne leçon : Alain Madelin ou pas, le bisexuel à la Pascal est extérieurement hétéro, qu’on se le dise — mais sans jamais tomber dans une homophobie de camouflage. Ce n’est que bourré, ou en fin de soirée, qu’il consent à se glisser dans les mêmes draps qu’un keum, mais il le fait alors avec plaisir et tendresse. À la manière d’un journaliste de TF1 un tantinet « relou », l’enquêteur ne s’en laisse pourtant pas conter : « Bon, on t’a cerné, Pascal… t’es juste l’héritier des archétypes patriarcaux méditerranéens tribaux… », ce en quoi il a raison : cette bisexualité vécue comme une évidence et préservée dans l’intimité, c’est la bisexualité méditerranéenne immémoriale, de Gilgamesh à Achille en passant par Hafez. Les épisodes reviennent volontiers sur l’ambiguïté sexuelle de notre héros. Par exemple, plaqué au début d’une aventure par Cindy qui a trouvé un mec « plus viril que lui », il sort dans un bar et se retrouve dans le lit d’un rugbyman musclé. Au matin, il croise Cindy sur le palier du gars, et en conclut : « Didier, il est pas plus viril que moi » !
Le reporteur nous donne l’occasion d’assister au spectacle des vestiaires d’un club de gym, où Pascal étale sa virilité triomphante, et donne une leçon d’endurance à un « islamiste de guerre ». Pascal semble avoir un compte à régler avec sa jeunesse rennaise, que ce soit au collège ou plus tard, ce qui nous rappelle les traumatismes évoqués par l’auteur dans Retour au collège. Un souvenir traumatique est la maîtresse d’école qui lui vantait l’idéal d’Alain Madelin, et qui lui présenta un jour son mari, alors qu’il s’apprêtait à lui déclarer son amour (à elle !). Brutal retrouve un certain « Pascal Futal », qui l’admirait à Rennes et tente de l’imiter à tout prix. Sous couvert de lui casser la baraque, il s’incruste dans une scène de drague, et propose « un peu de triolisme », mais la nana « cause tellement que ça fait un peu débander », de sorte que les deux Pascal tombent dans les bras l’un de l’autre, et que la fille hurle : « Des pédééééés ! ». Mais Pascal éconduit son fan, qui n’est qu’un imitateur. L’érotisme a ses limites : la scène de triolisme est écourtée par une vignette montrant les chaussures : « on peut pas tout montrer, c’est trop porno ». Pourtant, une autre histoire insiste plus lourdement : « Il est médicalement prouvé qu’au bout du 8e orgasme consécutif, un homme risque une attaque cardiaque. Pascal en est à son 16e de l’après-midi et tout va bien. Par contre, son liquide séminal présente une forte concentration de capsaïcine, la molécule du piment ».

Le mâle dominant (Tome 2)

Les pages de garde de ce tome 2 présentent un certain nombre de documents officiels assaisonnés à l’ironie du name dropping, dont ressort une lettre du « centre Arno Klarsfeld pour une enfance heureuse ». Plus loin, Pascal fréquentera les casinos « François Baroin ». Riad Sattouf ne perd pas une occasion de tailler une veste à certains apparatchiks de l’actuelle sarkozie, en imaginant ce qu’ils pourraient devenir après 20 ans de madelinisme ! Dans ce second tome, on voit l’ancêtre égyptien de Pascal, brisant déjà les cœurs des deux sexes. À l’instar de celui de Cléopâtre, son nez modèle une certaine vision du monde. Dans un autre épisode, on le retrouve dans l’atmosphère virile d’une prison où il est enfermé pour avoir répondu aux avances d’une pétasse, fille de l’homme le plus riche de France. Pascal ne profite pas de la situation pour baiser avec des mecs sous la contrainte — les amateurs de fantasmes malsains en seront pour leurs frais — au contraire, il échappe à sa manière innocente et virile aux tentatives de viol, et revisite le fantasme de la savonnette. Le directeur de la prison nous apprend que Pascal « a broyé la verge d’un détenu avec ses seuls fessiers » ! Quand il croise la route d’un couple, la jalousie l’étreint, mais ce n’est pas avec la fille uniquement qu’il copule !

Pascal Brutal : « Le mâle dominant »

Les valeurs de l’époque sont contradictoires : « Fidélité dans le couple… pas de sexe avant le mariage… Foi et respect des parents », mais aussi « habits destroy, alcool et cannabis » ! Dans une fête, Pascal met en émoi autant « les vagins des filles » que « tous les pénis présents » qui « se lèvent pour mieux voir le prédateur » et protègent Pascal, devenu « leur mâle dominant » ! Un couple de filles est brièvement évoqué : la cousine de Pascal, videuse, et l’animatrice du casino. Une « loi contre la représentation de la nudité » oblige Pascal à « se branler devant le programme télé », et il finit par fantasmer sur lui-même, dans une scène de sexe-fiction. Un chapitre joue de tous les dérivés du mot « viril », jusqu’à nommer le philosophe Paul Virilio ! Un gamin lance à notre héros un « défi de viriliance » ! Pascal fait tout pour se prouver qu’il est un homme à femmes, malheureusement « l’homosexualité est une fleur qui pousse sous l’autoroute de la vie de Pascal ». Pour se conformer à l’ultra-libéralisme ambiant, Pascal se force à consommer « encore des femmes car je ne suis pas un inverti » ! En Belgique, sous un régime « misandre », Pascal est victime de la gynarchie au pouvoir : réduit à l’état d’objet sexuel, il est obligé de revêtir une sorte de burka, une « tunique anti-virilité » ! En Bretagne, Pascal sauve un couple mixte d’une milice de protection de la « bretonnité ». La dernière planche est une série d’avertissements à la manière des paquets de cigarette : « vieillir tue », ou « une fellation non protégée prédispose au cancer de la gorge ».

En conclusion, une série roborative, où la libération sexuelle en vogue ne présume pas des progrès de la démocratie [1]. L’hypocrisie si l’on en croit l’auteur, a de beaux jours devant elle. Reste qu’il faut saluer le premier héros totalement bisexuel de la BD de langue française populaire, dans une série libre de ton, mais pas pornographique. Deux albums qu’on peut tout à fait, si l’on est courageux, assumer dans un C.D.I. de lycée, pour l’édification des clones de Pascal ! Quelques planches constitueront d’excellents supports pour expliciter des notions de narratologie.

 Ces deux ouvrages bénéficient du label « Isidor ».

Label Isidor HomoEdu

 Voir, du même auteur, La vie secrète des jeunes, Manuel du puceau, Ma circoncision, Retour au collège, et le tome 3 de Pascal Brutal.
 No sex in New York du même auteur (Dargaud, Poisson Pilote, 2004, réed. 2011) est à l’origine une chronique commanditée par Libération, qui se transforme en chronique d’un anti-séjour à New York où l’auteur rencontre surtout des Français et pas grand-chose d’exotique. Quelques remarques sur les particularités de l’amour à l’américaine, avec le franc-parler habituel de l’auteur. Plutôt pour les adultes, car les préoccupations ne sont pas celles d’adolescents.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Page officielle de Pascal Brutal sur MySpace


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[1Comme dans Le Meilleur des mondes, d’Aldous Huxley.