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Psychodrame au collège, pour les 4e/3e

Baignade interdite, de Christophe Renault

Éditions Petit à petit, collection « Lignes de vie », 2009, 204 p, 10 €

mercredi 24 mars 2010

Suzy et Malo sont deux camarades de classe de troisième dans un collège de Bretagne. Suzy est sculpturale ; Malo est fort honoré d’être son copain de classe, sauf que le désir de la donzelle se précisant, le contraint au coming out. Elle se montrera très tolérante, comme finalement toute sa petite famille ; hélas, le reste du monde se révélera d’une homophobie pour le moins caricaturale. Voici donc le récit à la truelle du combat d’un garçon pour affirmer sa différence alors même qu’à aucun moment il ne songe tout simplement à la vivre, cette différence. Malgré des qualités d’humour, ce roman est à mon sens une nouvelle démonstration qu’on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments. On dirait plutôt un téléfilm de commande dont le cahier des charges demanderait toutes les trois minutes une alternance de psychodrame et de gag.

Résumé

Malo est on ne peut mieux avec la belle Suzy, courtisée aussi par Mehdi, lequel vit dans un foyer. Surprenant un échange de mots entre les 3 élèves, le prof, Monsieur Brume, s’empêtre dans une plaisanterie stupide, aggravée d’une homophobie plus maladroite que viscérale (p. 13). La situation du garçon se complique par le fait que le terrible CPE du lycée vit en couple avec sa mère, divorcée, et que, à cause de l’intolérance digne d’un pays totalitaire qui semble régner dans ce coin perdu de la Bretagne, il lui faut absolument cacher cette liaison, de même que son attirance pour les garçons. Le jour où Suzy lui fait du rentre-dedans, il trouve un moyen humoristique de lui dire la vérité, dans un dialogue en petit-indien : « Parce que, moi, mettre kiki dans squaw trouver ça bizarre… […] — Tu veux dire que, toi, préférer mettre kiki dans petit guerrier… ? » (p. 34). Cet « aveu » renforce leur amitié, et Malo devient pour Suzy un « bouclier » contre les assauts des garçons (p. 37). Mais malgré cet appui de poids, Malo se met à développer une sorte de paranoïa qui ne semble, du moins au départ, justifiée par aucun acte homophobe autre que de vagues plaisanteries ou remarques : « Pourquoi me faudrait-il un jour passer aux aveux ? […] Quel crime avais-je commis ? » (p. 45). Lorenzo, oncle de Suzy âgé d’à peine vingt ans, s’installe brusquement chez ses parents pour une raison mystérieuse mais liée à « des ennuis » (p. 48). Suzy présente à Malo cet oncle comme gay, et il le trouve sexy : « un ondoiement de désir me poussa au frisson » (p. 49). Et alors ? Eh bien, rien ! Malo préfère continuer à se lamenter à longueur de page sur des plaisanteries familiales, certes idiotes, concernant Lorenzo, qui lui donne des cours particuliers. La suite du roman sera constituée d’une mayonnaise d’homophobie montée artificiellement à partir d’un enchaînement invraisemblable de menus faits et de maladresses des trois personnages principaux, auxquels s’ajoute le récit de l’agression homophobe d’une grande sauvagerie vécue par Lorenzo, plus en fil rouge, l’apparition inopinée d’un « phoque » (sic) sur la plage, qui permet là encore le déchaînement d’une violence et d’une intolérance chez les indigènes de cette contrée barbare que semble être la Bretagne.

Mon avis

Commençons par une qualité du livre, son humour, basé à moitié sur des calembours (« le pire vient prendre la place du père » (p. 20)), à moitié sur des plaisanteries que l’on trouvera de plus ou moins bon goût (ex : la mère de Malo étant plantureuse, et son compagnon une armoire à glace, la sœur du narrateur prétend qu’ils étaient faits pour se rencontrer « Autant que le Clemenceau dans la rade de Brest » (p. 22). Mis à part cela, ce roman, le premier chez cet éditeur à aborder de front la problématique altersexuelle [1], me semble retarder de dix ans, comme si on avait soudain regretté de n’avoir rien au catalogue sur ce sujet à la mode, et commandé à un auteur spécialisé dans les « sujets » (l’anorexie, l’obésité…), un gentil roman pour combattre à la kalachnikov les préjugés homophobes, comme le suggère l’épigraphe [2]. L’invraisemblance des situations m’a mis mal à l’aise. La violence est outrée, alors même que le personnage bénéficie d’un entourage fort et tolérant, apte à endiguer l’homophobie de façade (le C.P.E., une sœur sportive bien dans sa peau, la fille la plus sexy et la plus populaire de la classe…).
L’histoire de Lorenzo est encore plus invraisemblable : il s’agit de la reprise de l’Affaire Sébastien Nouchet, dont on sait d’une part qu’elle est plus compliquée qu’il ne paraissait à première vue, puisqu’elle a abouti à un non-lieu, et d’autre part ce fait divers extrême est à ma connaissance unique en France (il y a bien sûr chaque année plusieurs crimes homophobes, mais il y a aussi un grand nombre de crimes liés à l’hétérosexualité, et cela ne doit pas nous pousser à voir en chacun de nos voisins un sauvage prêt à nous immoler par le feu au moindre signe d’homosexualité !). Or l’auteur, pour renforcer le pathétique de son récit, n’hésite pas à faire de l’une des victimes un tout jeune homme sexy de vingt ans, et surtout, à ajouter une deuxième tentative d’assassinat par immolation, comme si la police ni personne n’avait rien fait suite au premier attentat. Je trouve d’un fort mauvais goût, sous le couvert d’une fiction, de présenter au public adolescent une image aussi négative de la situation de l’homosexualité en France. On songe à une célèbre affaire de mythomanie et de désinformation que j’ai étudiée sous le titre de « juke-box de l’indignation ». La cause de l’homosexualité n’a rien à gagner à l’instrumentalisation de faits divers, même sous le masque d’une fiction. Et tout le reste du récit relève de l’exagération et de l’invraisemblable. Dans les dernières pages, le narrateur est en colère, et casse le bras de sa sœur sans le faire exprès, le pauvre chéri ; mais au lieu de la secourir, il la laisse seule, et il fait immédiatement une fugue, en demandant à qui de l’aider ? Mais à son prof principal, bien sûr, lequel s’empresse d’accéder à son désir le plus naturellement du monde… Pour en finir avec ce roman, si l’une de ses qualités fort appréciable est de parler librement de sexualité dans ses premières pages, on regrette qu’au lieu de prendre par la main son personnage et de le mener plus loin sur cette voie, en lui faisant connaître un premier amour et un passage à l’acte, ce qui dédramatiserait la situation pour le jeune lecteur, il ait choisi de le cantonner dans un cercle vicieux de paranoïa et d’actes homophobes dont il est impossible de démêler lequel est l’œuf et lequel la poule, tant le personnage se complait dans la victimisation. Quant à cette histoire de phoque échoué sur la plage, qu’on me permette de la trouver au mieux inutile, au pire de mauvais goût. L’auteur n’explicite jamais quel rapport il établit entre un phoque et un homosexuel. Sans doute laisse-t-il son jeune public pouffer tout seul de cette plaisanterie digne de celle du maladroit M. Brume… On s’en veut d’accabler un roman « gentil » basé sur de bonnes intentions, bourré d’humour et bien écrit, mais décidément, cela fait longtemps qu’on a bien mieux en magasin !
Un détail enfin : le roman est suivi d’une cinquantaine de pages de « bandes-annonces » de six autres livres de la même collection. Ne serait-il pas plus écolo de se contenter de renvoyer les amateurs sur un site ?

 Lire l’avis de Jean-Yves. Pour le coup, nous ne sommes pas du tout d’accord… on se croirait dans Télérama !

Lionel Labosse


Voir en ligne : Présentation du livre sur le site de l’éditeur


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[1Mais nous avons déjà chroniqué deux excellents ouvrages de Dorothée Piatek.

[2Le titre de l’article de présentation du livre sur le site de l’éditeur est révélateur : « Difficile d’avouer son homosexualité à 14 ans ». Comment peut-on encore, en 2010, présenter la question homosexuelle d’une façon aussi maladroite pour des ados ?