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Pourquoi les Japonaises aiment les histoires de garçons ?, pour collèges, lycées et éducateurs

« Homosexualité et manga : le yaoi », numéro 1 de la revue 10000 images

Éditions H, 2008, 192 p., 12 €

jeudi 1er septembre 2011

Il s’agit du numéro 1 de cette revue érudite et attrayante sur la bande dessinée japonaise. Les deux numéros suivants seront consacrés à Osamu Tezuka, et à « Le manga au féminin ». Malheureusement, la série semble s’être arrêtée là. Celui-ci est consacré au yaoi, ou « boy’s love », avec des articles d’intérêt varié selon qu’ils s’adressent aux fans lycéens ou aux amateurs plus âgés. Un ouvrage à proposer dans les C.D.I. pour contribuer à donner du sens aux lectures-plaisir de nos collégiens et lycéens, mais un ouvrage très utile aussi aux éducateurs, pour appréhender cette culture si différente de la nôtre, notamment dans le domaine de la sexualité.

Le 1er article « Une petite histoire du Yaoi » d’Hervé Brient, définit le genre. Le manga au sens moderne (voir l’article manga de Wikipédia pour en savoir plus) commence avec Rakuten Kitazawa, qui réalise « le premier véritable manga en 1905 ». Le yaoi serait « né dans le monde des dojinshi, c’est-à-dire celui du fanzinat et de l’autopublication ». Il consiste au départ à « parodi[er] les mangas à succès du moment en imaginant des relations homosexuelles plus ou moins explicites entre personnages de sexe masculin ». Le mot Yaoi serait un acronyme signifiant « pas de climax [dans la narration], pas de chute [au récit], pas de sens [à l’histoire] ». Le genre naît dans les années 1970, avec notamment Moto Hagio, qui publie 11-gatsu no Gymnasium, inspiré du film Les amitiés particulières, de Jean Delannoy. On apprend que paradoxalement, le terme de « boy’s love » utilisé au Japon (en alphabet latin, donc ?) n’a pas été repris aux États-Unis, par peur des connotations pédophiles, et que le terme « shonen ai », désuet au Japon, est au contraire utilisé à l’étranger. Il s’agit dans ce cas de relations platoniques entre « bishonen », c’est-à-dire jolis garçons un peu androgynes. Le yaoi est plus explicite, et plutôt dessiné par des femmes à destination d’un public féminin.
Selon un article de Peggy Sylvius, les yaoi sont publiés en France à partir des années 1990. On peut trouver un « Purity test » permettant de savoir à quel point on est « perverti » ! Il existe deux auteurs français de mangas : Algésiras, qui a publié chez Delcourt plusieurs volumes de la série Candélabres, ainsi que Kinu Sekigushi, qui s’adresse particulièrement au public gay. Internet permet la publication de nombreuses « fanfictions », parodies, parfois gay, de couples de fiction. Harry Potter est paraît-il le champion du genre. Le sous-genre de fanfictions « PWP » signifie « Plot ? What plot ? », ce qui suggère que « ce n’est qu’un prétexte à une histoire de fesses ». L’étape suivante est le roman inspiré des yaoi, dans le domaine de la fantasy. Un article consacré aux produits dérivés nous intéresse moins. On y apprend cependant qu’il existe des « pin-up » représentant de jeunes hommes.
Dans l’entretien avec Hisako Miyoshi, éditrice de mangas, on peut lire que « les hommes […] ne représentent pas encore 1 % de notre lectorat », ce qui ne semble pas le cas des autres éditeurs, puisque dans le dernier article, on lit que selon les libraires, les hommes constituent 25 à 30 % des lecteurs boy’s love (p. 142) !

Pourquoi les filles aiment-elles le yaoi ?

Cet article signé « Namtrac » est pour moi le plus éclairant. Il nous permet de comprendre l’étrangeté radicale des yaoi empreints de cette conception japonaise de la sexualité qui secoue le prunier de notre doxa occidentale. Que ce soit la question du viol, celle de l’inceste (entre frères), ou, pire, celle de la sexualité d’enfants prépubères ou tout juste pubères, il faut faire l’effort de comprendre la valeur cathartique de la représentation en œuvre dans le yaoi, surtout pour des femmes dont la sexualité est brimée par le mode de vie japonais. Pour le viol, l’inconcevable pour nous est de voir jouir la victime, or il faut tenir compte, selon Namtrac, de la « pornographie japonaise, où la femme ne doit pas être consentante dès le départ au risque d’être catégorisée comme traînée », et de l’économie du récit, où la femme finit par triompher : « Pourquoi un homme qui subirait les violences physiques de ses ennemis en sortirait-il plus fort, et l’héroïne de romance et de shojo rabaissée ? »
Le shota est le nom donné aux mangas qui représentent des relations sexuelles avec des enfants entre 8 et 15 ans en gros, soit entre eux, soit avec des hommes ou des femmes. Difficile à accepter en Occident, où l’on ne fait plus la différence entre réalité et fiction ! Il faut se figurer des filles jouissant de la représentation de garçons entre eux exactement comme en Occident, on connaît le goût d’hommes hétéros pour les images lesbiennes !
Mais Namtrac multiplie les approches : « les lectrices peuvent laisser libre cours à leur désir sans se soucier du réel, des problèmes de grossesse, de contraception, voire de ne « plus être bonne à marier » pour les lectrices japonaises. Pour elles, l’amour entre deux hommes signifie pas de mariage, pas d’enfants, pas de contraintes physiques, morales ou sociales, que du sexe pour le sexe, l’amour pour l’amour, en somme la liberté ». De plus, elles trouvent dans le yaoi « un autre modèle d’égalité (au moins théorique) dans le couple, les amants étant tous deux des hommes […]. Cette relation […] implique une honnêteté, une compréhension totale de l’autre, qui n’est plus autre, mais même ». Il y a aussi une « subversion de l’image même de l’homme dans un monde patriarcal », qui nous fait entrevoir la possibilité de catharsis. Et Namtrac de conclure : « [la raison] qui fait aimer le yaoi aux filles, est finalement la même que celle qui le fait détester aux garçons : il donne le pouvoir aux femmes ».

Le yaoi est-il gay ?

L’article « Le yaoi est-il gay ? » d’Hadrien de Bats poursuit l’analyse, par une intéressante étude chronologique de l’homosexualité au Japon, qui nous permet de réviser les connaissances acquises à la lecture de Une histoire de l’homosexualité, de Robert Aldrich. On apprend dans cette revue (le glossaire s’avère utile), l’existence de la notion de uke/seme, qui recoupe imparfaitement celles de passif/actif, bottom/top, ou encore réceptif/insertif que l’on trouve dans les différentes cultures mondiales. Ces termes sont empruntés au vocabulaire du sport, et correspondent aux idées de subir / attaquer. Je note par contre une phrase assez légère, faisant état de « beaucoup d’études récentes [qui] considèrent que le fait de mettre en scène l’homosexualité de façon dramatique résulte d’une homophobie inconsciente ». Bigre ! si de telles études abondaient, que n’en a-t-on cité au moins une ! On apprend cependant tout d’une controverse assez vaine ayant opposé dans les années 90 un artiste gay, Masaki Sato, à des mangaka, sous prétexte que le yaoi serait homophobe. On a droit également à une visite guidée des librairies spécialisées, qui apprend-on, proposent parfois un étage entier de boy’s love, sans compter, dans les sex-shops, les mangas gays, qui sont au boy’s love ce que le piment est au cornichon.

_ Parmi les mangas présentés, voici quelques titres qu’il faudrait regarder de plus près. Kaoru Uchida présente des personnages beaucoup plus musclés et poilus que la norme, avec des scènes plus suggestives, qui s’adressent donc au public gay. Shushushu Sakurai se caractérise à la fois par un érotisme exacerbé, et par son sens de l’humour. Il ne semble pas qu’elle soit encore adaptée en français. Ayano Yamane présente des « uke » intrigants, qui tiennent parfois un peu du « seme ». Gravitation, de Maki Murakami « us[e] de l’homosexualité sans forcément aider à son acceptation ». Love me tender de Kiki aurait un côté queer, « l’hétérocentrisme y étant brocardé de façon très drôle ».

 En plus des auteurs français de yaoi mentionnés dans l’article, je persiste à recommander la superbe série Le vent des dieux, de Patrick Cothias & Philippe Adamov / Thierry Gioux, parue chez Glénat en 16 tomes, de 1985 à 2004. J’ignore si elle a subi l’influence du manga et du yaoi, du moins à ses débuts, mais la vision de la sexualité qu’elle propose me semble fort intéressante.
 À propos non pas de yaoi, mais de mangas gays pornographiques (donc totalement interdits aux lecteurs de moins de 18 ans qui seraient en train de lire cet article, allez, on va se coucher !), Bernard Joubert, notre ami spécialiste de la censure mais aussi de la BD, m’apprend que d’après un collectionneur de mangas en version japonaise, plusieurs cases auraient été supprimées dans un ouvrage de Gengoroh Tagame traduit chez H&O (Tagame, c’est du porno gay SM très brutal). Ce sont des cases de flash-back où l’on découvre que le méchant de l’histoire est méchant parce qu’il a été violé par son père quand il était petit. Cette anecdote d’autocensure à la française est fort révélatrice de la faille qui sépare cette culture de la nôtre.

Lionel Labosse

P.S. Hervé Brient, directeur des éditions H, nous fournit quelques précisions suite à cet article :
1. À propos de cette phrase : « Malheureusement, la série semble s’être arrêtée là » : le numéro 1 est en cours de réécriture pour sortir à la rentrée dans une édition mise à jour, revue et augmentée [sortie depuis l’écriture de cet article]. De plus, un numéro consacré aux mangas culinaires va sortir à la fin de l’année, celui sur les mangas alternatifs étant prévu pour 2012. Disons que le rythme semestriel prévu à l’origine s’est transformé en une sortie par an.
2. Les Japonais n’ont pas l’obsession du syllabaire à utiliser, notamment le manga où katakana, hiragana, kanji et alphabet occidental se mélangent joyeusement, souvent en fonction de l’effet recherché. De ce fait, "boy’s love" / "boys love" peut se retrouver en anglais (à l’occidentale) ou en « engrish » à cause d’une retranscription à la fidélité parfois douteuse du terme anglais en katakana (ボーイズラブ, soit bōizu rabu en romanji). Et c’est aussi dans cet esprit, certes en ne songeant pas suffisamment à notre lectorat moins familiarisé avec le Japon, que nous ne nous attachons pas à ce point dans nos textes. Nous transformons systématiquement les termes anglais retranscrits en katakana en leur terme d’origine, cherchant ainsi à éviter la retranscription en romanji qui rend les textes plus lourds à lire et les termes plus difficilement compréhensibles. La lisibilité et l’immédiateté de la compréhension est une de mes volontés et ce, dès le début.


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