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Danseuse heureuse, pas heureuse ? pour lycéens et adultes

Mélody, de Sylvie Rancourt

Ego comme X, 2013 (1985 à 1989), 350 p., 19 €.

samedi 25 mai 2013

Bernard Joubert nous présente cette œuvre rare d’une facteur cheval de la BD, précurseur de la BD autobiographique à son corps défendant. Sylvie Rancourt fut danseuse de bar dans les années 1980 à Montréal. Elle se mit à dessiner son métier et sa vie – avec un décalage assumé par le fait que l’héroïne ne porte pas son nom, et qu’on ne sait rien de sa vie à part le fait qu’elle fut danseuse de bar – et vendit le tout par fascicules à ses clients ; le bouche à oreille fit ce qu’il put, et cela aboutit de l’autre côté de l’Atlantique dans le Larousse de la BD, sans que l’œuvre ait été éditée dans des conditions idéales. C’est chose faite, d’après ce que j’ai compris, pour la partie entièrement de la main de Sylvie Rancourt, car il y aurait eu subséquemment plusieurs épisodes de « préquelle » dessinés par Jacques Boivin. Ce qui choqua les ligues de vertu à l’époque est ce qui fait maintenant le charme de la BD, c’est-à-dire que ce métier, ni les quelques vagues expériences de « gaffe » qui l’accompagnent parfois ne sont pas présentés sous un jour glauque et repentant. Danser nue et exciter les clients est un gagne-pain comme un autre, qui paraît d’ailleurs tellement sain à côté de la vie de combines de Nick, le mari de Mélody, fainéant et minable salaud, qui vivote, de recel en trafic de drogues, en exploitant sa femme naïvement amoureuse.

Résumé

Dès le premier des 7 épisodes intitulé « Mélody à ses débuts », la pauvresse se crame avec son peigne-cul de mari Nick, qui envisage de vendre de la coke. Après avoir dit « Je ne veux pas que tu touches à ces choses-là », elle répond « J’espère » quand il promet que c’est en attendant de trouver « une bonne job » (sic, p. 29). Quantité d’autres québécismes ornent le récit, par exemple, p. 25 : « Pas très jasante, celle-là », ou les nombreuses occurrences de « être aux femmes », qui signifie « être lesbienne », de même que « être aux hommes » signifie « être gay ». Nick l’utilise pour refuser la proposition de Mélody de danser avec lui en couple érotique (p. 71). En attendant, Nick non seulement vend de la coke au club de Mélody, mais en plus c’est de la farine ! Celle-ci essaie la vraie, mais elle voit tous les hommes en cochons ! Les activités illégales de Nick, liées à la drogue ou au recel de braquages auxquels il participe parfois, seront la source de fréquents ennuis de Mélody. Perquisition parce que sa tante l’a dénoncée à la police, passage au tribunal parce que la police l’a trouvée en position d’une dose de poudre d’ailleurs frelatée qu’une cliente mécontente lui avait demandée de rendre à Nick, etc. Au tribunal, elle estime : « ils sont fous de martyriser les gens comme ça… On est tout de même dans un pays libre » (p. 147).
Ces clubs de danse doivent être moins interlopes qu’à Paris, car à part être mal vus, ils ne semblent pas ignorés de la population. Pour dépanner une copine, Mélody propose de la loger avec son mec. Nick fait la fine bouche : « Une fille d’accord, mais pas un gars avec elle » (p. 164). Cela se termine pourtant en plan à quatre le lendemain matin. Dans l’épisode 5, Nick trouve un boulot de concierge, mais continue les trafics de plus belle, et fait faire une part du boulot par Mélody. Elle demande d’éteindre la lumière pendant leurs rapports, et se rend compte qu’elle n’a plus autant envie de lui (p. 242). En même temps, elle se fait virer de son club. Elle ne trouve qu’un « club de gaffe », où les filles sont laides. Elle ne comprend pas au début ce que c’est, et nous non plus, mais cela vient vite : « gaffe » cela veut dire que les filles s’y prostituent un peu en plus de danser. Cela peut aller de rapports à la sauvette dans les toilettes à quelques rendez-vous à l’extérieur. Mélody tente de rompre avec Nick, en vain. Ce n’est pourtant pas qu’elle l’ait dans la peau, mais elle n’ose pas le larguer. Lors d’un jeu de cartes, Alex, un copain de Nick, parie qu’elle le tromperait avec lui. Il gagne, parce que lui sautant dessus, elle le trouve plus sensuel que son mari ! (p. 292). Un couple propose à Mélody d’être le cadeau d’anniversaire de la femme. Elle accepte de les suivre assez loin en banlieue, mais ça se passe mal, car ils tentent de lui imposer des rapports qui ne lui conviennent pas, et ne lui donnent pas un sou (c’est le seul cas dans le livre où Mélody semble s’adonner à quelque chose qui ressemble à de la prostitution, mais elle se débrouille fort mal). Elle arrive à s’enfuir, mais rentrée chez elle, tout ce qui intéresse Nick c’est qu’elle lui raconte le plan lesbien pour l’exciter : « Alors, raconte-moi… Elle avait un gros clitoris ? Tu y as goûté, dis ? » (p. 333). Le 7e épisode se termine en eau de boudin : Mélody se décide (enfin !) à larguer Nick suite à un plan foireux où il se fait inquiéter par la police, mais il réussit à nouveau à la racheter par les sentiments, et c’est le club qu’elle quitte. Si j’ai bien compris la préface, c’est sur cette fin décevante que se terminent les aventures de Mélody, parce que les épisodes suivants se concentreront sur ce qui précède ces mésaventures. On suppose que l’auteure a non seulement changé de métier, mais n’a pas persévéré dans le dessin. Dommage !

Mélody, de Sylvie Rancourt
Ego comme X, 2013. p. 161.

Mon avis

La naïveté du dessin est attendrissante. Un exemple inattendu est quand il s’agit de dessiner un client noir, p. 35. Cela fait penser aux acteurs qui se peignaient le visage de cirage pour faire les noirs aux débuts du cinéma, faute d’engager des acteurs noirs ! Les scènes de rapports sexuel sont peu nombreuses. On admire la simplicité avec laquelle est dessinée le plan à quatre non planifié entre Mélody, Nick, et le couple qu’ils hébergent (p. 172). Mélody semble y prendre goût à sa copine, mais le lesbianisme, même si elle le pratiquera de temps en temps, ne la tentera guère. C’est toujours des événements extérieurs qui la poussent, comme quand Louiselle, une nouvelle danseuse bien pourvue par la nature au niveau mammaire, rafle toute la clientèle. Du coup une copine lui propose de faire une danse érotique à deux, et l’expérience leur plaît, mais ça en reste là. Pour le reste, on apprécie cet autoportrait en fille facile et naïve qui ne se donne pas le beau rôle, ne cherche pas à se faire plaindre, mais montre par le dessin qu’elle n’est pas dupe de ceux qui tentent d’abuser d’elle. On suppose un caractère bien plus trempé que ce qu’une lecture au premier degré pourrait laisser croire. Cette BD est donc un Ovni intéressant du 9e art, une sorte d’équivalent des Mémoires d’une chanteuse allemande publiés jadis par Guillaume Apollinaire. Un livre qui évidemment n’a pas sa place dans l’enseignement. Je ne fais un article que pour ceux et celles qui chercheraient des bandes dessinées de qualité sur la sexualité, qui marquent des jalons dans l’histoire de cet art. J’ai (mal) numérisé une planche de la p. 161, qui donne un idée de l’originalité « naïve » de l’auteure, ici une vue de haut de l’intrusion de Louiselle aux grosses mamelles dans le club. Voir les choses de haut, c’est peut-être tout bonnement ce que permet cette BD…

 Dans le genre autobiographique, le même éditeur avait publié Journal (1), de Fabrice Neaud (1996).
 Reportage sur Sylvie Rancourt trente ans après.
 Reportages et entrevues vintage de Sylvie Rancourt dans les années 80.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Les toiles de Sylvie sur le blog de l’éditeur


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