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Terre littéraire en Afrique francophone
Sénégal (1) : le pays où l’on écrit français
Notes de voyage au Sénégal
mercredi 19 avril 2017
Après Éthiopie et Togo et Bénin, voici le Sénégal, pays d’Afrique francophone dont la littérature m’est familière depuis l’époque lointaine d’un projet pédagogique de « découverte de la culture africaine » intitulé « L’arbre à tchatche ». J’y ai fait deux séjours, en 2016, puis en 2019, pendant les vacances de Noël. Comme au Togo, dans certains villages, des familles doivent se contenter d’un repas par jour, tandis que des terres fertiles sont cédées aux entreprises chinoises, européennes ou françaises en échange d’investissements. Ce qui frappe, encore plus qu’au Mali, au Burkina-Faso, au Bénin et au Togo, c’est l’importance de la langue française. Le Sénégal est sans doute le pays d’Afrique francophone dont la littérature s’est développée en premier et en masse, en plus d’universités prolifiques pour l’histoire et la littérature, sans parler des nombreux chanteurs de renommée mondiale, cinéastes et autres artistes. Ce premier article contient quelques aperçus du peu que j’ai vu lors de ces courts voyages, puis une série d’articles proposeront un modeste précis de littérature sénégalaise, complété en 2019… En bas d’article, se trouve un lien vers mes photos sur Comboost. Les photos des 2 voyages sont mélangées, et ne respectent aucune chronologie. Il m’est impossible de les mettre dans l’ordre, elles se positionnent selon les numéros de fichiers, et ce serait un travail chronophage de changer manuellement chaque titre. Le lecteur indulgent se débrouillera avec ce puzzle ! Il y en a 250, dont 90 de 2019.
Plan de l’article
Prévarication et mégalomanie sont les mamelles de… devinez ?
Religions et tolérance
La Maison des esclaves : le mensonge devenu vérité
Francophonie et francophilie
Le Sine Saloum
Senegal Gothic
Article 2 : Littérature sénégalaise
Prévarication et mégalomanie sont les mamelles de… devinez ?
Cet article est écrit à l’occasion d’un voyage en 2016 dans la région du Sine Saloum, avec visite express de Dakar, puis de l’île de Gorée, puis d’un second séjour en 2019 dans le sud-est du pays, avec randonnées et bivouac dans le pays de la modeste population bedik, voyage légèrement décevant à cause du temps de trajet en avion puis sur des routes interminables pour ne passer finalement que trois jours sur place. Je n’en dirai pas grand-chose, pour insister plutôt sur les aspects positifs et la littérature sénégalaise. Il est rare que je sois déçu par les voyages organisés que j’achète. En général les petites agences de voyage dont j’utilise les services choisissent de bonnes agences locales, mais là ce fut un raté en ce qui concerne le voyage de 2016, avec un réceptif local incompétent, pourtant avec une agence dont j’ai déjà consommé près de vingt voyages. Il y eut surtout un accident traumatisant, pneu plus que lisse éclaté à vive allure sur l’autoroute de l’aéroport ; nous aurions pu y laisser la peau, mais des pneus éclatés, il y en a des truellées qui jonchent les routes au Sénégal… Cela n’empêche pas qu’il y eut dans ce voyage instructif de belles découvertes, et finalement plus que lors du second voyage qu’on ne peut pas considérer comme raté, mais dont j’estime que l’agence a tort de vouloir le faire tenir de force dans le lit de Procuste de la taille 8 jours. Bref… Ces détails ne seront guère sensibles dans cet article, rassurez-vous.
De Dakar parcouru à la japonaise, je retiens quelques flashs. L’Aéroport international Léopold-Sédar-Senghor était une belle foire d’empoigne quasiment dans la ville, et les escrocs en tous genres guettaient les touristes dès la sortie pour les « aider » à changer de l’argent ou autres entourloupes. Deux personnes de notre groupe en furent victimes, avec un gros doute sur la complicité de notre réceptif. Il est remplacé lors de mon 2e voyage par l’Aéroport international Blaise-Diagne, situé à 50 km au sud de Dakar, dont la construction fut une jolie saga-pagaille à l’africaine. Dans l’article de Wikipédia vous trouverez une citation du Monde évoquant un « hub », ce qui fait bien rire quand on voir la chose, certes bien plus satisfaisant que le précédent, avec moins d’emmerdeurs, mais c’est pour l’instant un tout petit aéroport !
Non loin de l’ancien aéroport, au nord de la capitale, s’élèvent les « Mamelles », deux collines brillant par leur élégance. La moins haute est couronnée par le monument de la Renaissance africaine, qui constitue comme son nom l’indique, un vibrant hommage à une Afrique démocratique, libre et indépendante. En effet, après que le sculpteur sénégalais Ousmane Sow se fut retiré de l’affaire, le président démocratiquement élu et réélu entre 2000 et 2012 Abdoulaye Wade, en a fait son ubuesque symbole de son moi aussi pharaonique que cette statue conçue par un sculpteur roumain et construite (ou plutôt coulée) par une entreprise nord-coréenne, deux pays spécialisés dans la sculpture stalinienne. On lira avec profit cet article du journal suisse Le Temps [1], dans lequel le sculpteur Virgil Magherusan explique comment il s’est fait spolier : « Ce qui frappe Virgil, c’est surtout l’enlaidissement de son modèle originel. À partir d’une première étape à 50 centimètres, le sculpteur aurait dû concevoir un agrandissement à 5 mètres avec une révision des proportions pour que, de loin, la statue ne paraisse pas difforme. Apparemment, ce sont les ateliers nord-coréens qui ont pris en charge ces étapes intermédiaires. Il n’y a rien de culturel dans cet objet. » Ousmane Sow en ajoute une couche : « À défaut d’être empereur comme Bokassa, le président veut ainsi laisser une image de lui. C’est terrible. Je ne sais pas si vous avez remarqué, tous les dictateurs font construire des statues qui désignent un point inconnu. Comme cette horreur sur les Mamelles. Elle regarde l’Amérique. Quand on veut parler de Renaissance africaine, on peut imaginer un autre geste que de pointer l’Amérique. Avec ce qui se passe, de toute manière, j’aurais choisi un autre terme que « renaissance ». Parler de « renaissance » quand l’Afrique va tellement mal, c’est se moquer du monde. » Est-il besoin d’en rajouter ? Précision intéressante, ledit Abdoulaye Wade s’est arrogé 35 % des droits d’auteur de ce chancre, qu’heureusement personne ne visite plus, ce qui est dommage car il y a un ascenseur pour grimper en haut, et être à l’intérieur est finalement la seule façon à Dakar d’être sûr de ne pas voir ce truc. On verra en ville ici ou là d’autres statues, mais Ousmane Sow n’y est guère présent [2]. Vous trouverez un historique de cette statue dans la B.D. Yékini, Le roi des arènes. Un autre détail amusant à Dakar, c’est la présence de publicités sur les plaques de rues, comme celle-ci :
Nos amis les socialistes français qui nous ont rétabli la pub commerciale sur toutes les radios publiques en rougissent de jalousie, et songent déjà à la publicité pour les préservatifs Durex qui pourrait s’étaler sous une plaque de rue « Avenue du Général-de-Gaulle » ! Ou bien à une pub de la Société générale sur une plaque de rue au nom de Jérôme Kerviel ! J’ai aussi photographié une pub pour des pommes italiennes : et vive le développement durable ! La Cathédrale du Souvenir africain de Dakar est un monument intéressant laissé par la colonisation. Les sculptures d’anges de Anna Quinquaud qui rythment la façade sont noires, contrairement à la plupart des Jésus et des Maries que j’ai pu voir dans les crèches ou dans les églises lors de ce voyage. La fresque de la coupole est superbe, et mérite sans doute mieux que l’appréciation du Guide du Routard : « Christ musclé comme un top model ». Mais je n’ai trouvé sur Internet aucune information sur cette fresque.
Religions et tolérance
À propos de religions, le Sénégal impressionne, dans ce contexte de fascisme islamique, par la coexistence pacifique apparente entre minorité chrétienne (moins de 5 % de la population) et majorité musulmane. Cela fait du Sénégal un des derniers pays de la région où l’on puisse travailler ou voyager à peu près normalement. Je m’étonne d’ailleurs qu’en parallèle aux missions de déradicalisation et aux opérations militaires coûteuses, on ne consacre pas des études de sociologie à ce particularisme, pour essayer, je dis bien essayer, de dégager des « recettes » qui permettent d’éviter la nazification de l’islam. Dans un domaine tout autre, ayant passé la majeure partie de ma carrière à enseigner en Seine-Saint-Denis dans des établissements publics, je m’étonne qu’on n’ait pas missionné des chercheurs pour enquêter auprès des familles qui, à milieu social équivalent, parviennent à faire bosser leurs gosses, quand d’autres en font des dealers, alors qu’ils fréquentent les mêmes établissements et vivent dans les mêmes quartiers. Quelques éléments explicatifs, à titre d’hypothèse prudente. L’islam sénégalais n’est ni sunnite, ni chiite, ce qui l’éloigne des ferments de l’islamo-fascisme. Les deux confréries – Tijaniyya et Mouridisme – font partie des confréries soufies, ce qui endigue les éléments mortifères de l’islam oriental [3] De plus, la composante animiste, qui imprègne aussi bien l’islam que le christianisme, contribue à souder ces deux religions, ainsi que les nombreux mariages interconfessionnels et interethniques. Les chrétiens d’ailleurs, ne le sont que depuis qu’un de leurs ancêtres, sans doute musulman, s’est converti sous l’influence du colonialisme européen. La colonisation islamique par les Almoravides a pour elle l’avantage de l’ancienneté (XIe siècle). Le seul risque pour l’instant est, comme dans beaucoup de pays voisins, l’influence de l’Arabie Saoudite dans le financement de mosquées ou d’études de jeunes gens qui reviennent au pays vêtus de préjugés et de qamis. Heureusement, le Sénégal est pour l’instant autant colonisé par la Chine ou par la Corée du Nord que par l’Arabie Saoudite. Les jeunes filles, voire les fillettes dont la tête est encapuchonnée sont en nombre limité, comme vous pourrez le constater en visionnant mes photos, et il ne semble pas pour l’instant que s’exerce une quelconque pression sur les nombreuses femmes qui exhibent les bombes nucléaires de leurs nichons et de leurs fesses. Notre guide en 2016 avait autour de ses deux poignets et de ses doigts une collection impressionnante de bracelets, bagues & médailles mélangeant les trois traditions, plus les cauris et les couleurs du Sénégal. Dans une école que j’ai visitée, il y avait quelques fillettes encapuchonnées, mais tous les élèves braillaient « Petit papa Noël » quand nous sommes passés devant l’école ! Les gens ont parfois deux prénoms, comme Léopold Sédar Senghor, l’un chrétien (et il arrive même qu’un musulman porte un prénom chrétien, m’a-t-on dit ; j’ignore la culture religieuse d’origine de Boubacar Boris Diop, mais il aborde cette question dans cet article), l’autre sérère (car Senghor est natif de la petite ville de Joal, désormais liée à Fadiouth). On rencontre d’ailleurs au Sénégal des jeunes gens qui portent allègrement des prénoms de nos grands-parents ! Dans un village bedik, j’ai rencontré un Jean-Pierre parmi les adultes, mais un Gustave et un Jean-Quelque Chose parmi les enfants. Voir dans Le Docker noir une explication sur le prénom chrétien porté par un musulman. Quand j’ai eu l’occasion, cependant, de me mêler brièvement à une messe de noël dans un village chrétien (église de Palmarin), je me suis demandé si dans quelques années, je n’aurais pas la nostalgie de cet heureux temps. Eh oui, moi qui ai eu la chance de visiter le Mali ou la Syrie d’avant, j’ai du mal à croire au bonheur en ces temps troublés ; mais peut-être sortira-t-on un jour de ce fascisme religieux, comme on est sorti des fascismes athées du XXe siècle ? Voici une photo prise sur le bâtiment (presbytère) situé à droite de cette église de Palmarin, d’une sorte de gargouille qui rappelle les sculptures de chapiteaux romans.
En tout cas une jolie petite sculpture comme ça en passant. Pour terminer sur un couac, je vous renvoie à un article du Monde Diplomatique paru en janvier 2017 : « Trafics d’influence en Afrique », d’Anne-Cécile Robert. Je recopie ici le message de notre ami et fidèle lecteur Érico Lusso [4] Cet article d’Anne-Cécile Robert évoque les investissements de plus en plus importants de l’Arabie Saoudite au Sénégal qui en contrepartie de cette aide économique à un « pays frère » y développe le wahhabisme. Autre contrepartie : en « Mai 2015 », « sollicité par Riyad, le Sénégal décide de « déployer en terre sainte d’Arabie Saoudite un contingent de 2100 hommes » dans le but de « participer à la stabilisation de la région » et de « garantir la sécurité des lieux saints de l’islam » ». Pour traduire les propos de la journaliste, explique Erico Lusso, il s’agit d’aller tuer de méchants chiites au Yémen. C’est une première historique pour un pays africain, même si on ignore à l’heure actuelle si c’est bien un contingent de cet ordre-là qui est parti et à quelles opérations sont conviés ces soldats sénégalais. Y a-t-il là aussi 5 % de chrétiens, ou Riyad a-t-elle demandé que ces bataillons soient « purifiés » ? On ne sait pas grand-chose de ce conflit pourtant meurtrier, voire désormais aussi meurtrier que la Syrie, mais qui ne concerne ni Poutine ni aucun acteur occidental, n’intéresse aucun apprenti djihadiste puisqu’on y massacre déjà parfaitement du chiite – massacre totalement dépénalisé. Bref…, conclut Erico, dans combien de temps une succursale sénégalaise de Boko Haram ? Les liens avec l’Arabie Saoudite ont un autre intérêt, selon Anne-Cécile Robert : « Pour Dakar, il pourrait également s’agir de contrebalancer le poids, traditionnellement grand, des confréries dans la vie politique et sociale du pays. « On observe, face à un islam noir de tradition syncrétique (par exemple les confréries soufies ou mourides), des luttes d’influence entre les mouvements wahhabites, salafistes et chiites, note l’économiste Philippe Hugon. L’Arabie saoudite apporte son aide financière et développe le wahhabisme dans les pays ou zones à dominante musulmane. » Les confréries soufies transcendent les divisions ethniques, et à l’instar des mariages interethniques voire interconfessionnels, constitueraient un ferment d’unité nationale contre l’islamisme radical. Les présidents sénégalais ont d’ailleurs montré l’exemple, comme Abdoulaye Wade marié à la franc-comtoise Viviane Wade, Abdou Diouf marié à une libano-sénégalaise dont je n’ai pas trouvé la religion, sans parler de Senghor, dont l’épouse Colette Senghor est décédée en novembre 2019. Pourvu que ça dure !
La Maison des esclaves : le mensonge devenu vérité
Sur l’île de Gorée, j’ai bien sûr visité la soi-disant « Maison des esclaves », où l’actuel orateur qui succède à l’inventeur de cette imposture, Boubacar Joseph Ndiaye, persiste à dévider de sa voix ronflante le fil de ses légendes dorées selon lesquelles des myriades d’esclaves auraient défilé sous la « porte du voyage sans retour » (à lire en faisait vibrer les r) qui donne sur des récifs inaccessibles, où lesdits esclaves auraient été chargés sur des navires, plutôt que de passer par l’anse située à deux-cents mètres. Et les prétendus cachots des femmes, des hommes, des enfants et des récalcitrants, qui n’étaient en fait que des magasins pour l’arachide, l’or et l’ivoire dont la signare Anna Colas Pépin qui possédait cette maison faisait commerce… Cette mystification est un cas d’école, car elle a été démasquée il y a vingt ans, en 1997, mais c’était trop tard, car l’Unesco, le pape Jean-Paul II, Danielle Mitterrand, Nelson Mandela et tutti quanti s’étaient laissé piéger, et n’ont jamais eu l’honnêteté de reconnaître leur erreur ! Et même depuis ce temps, faute d’un autre lieu symbolique en Afrique, par paresse intellectuelle, ou tout simplement parce que l’endroit est facilement accessible et pittoresque pour les photos souvenir, de nombreuses personnalités, mais aussi les tour-opérateurs étasuniens persistent à entretenir le « Gorée business » comme l’a dénoncé Jean-Luc Angrand. Eh bien non, ce n’est pas de Gorée, et surtout pas de cette maison-là, que sont partis les millions d’esclaves noirs d’Afrique de l’Ouest ! C’est plutôt de Saint-Louis, au Sénégal, et de la Côte des Esclaves, au Togo et au Bénin ! Belle illustration du célèbre conte d’Amadou Hampâté Bâ « Le mensonge devenu vérité » ! Dans le même genre de fake places, voyez la prétendue maison de Juliette à Vérone.
Francophonie et francophilie
La pratique de la langue française est remarquable au Sénégal. Voici une enseigne de magasin manuscrite, avec accent sur les É et points sur les I (voir cet article). Je suppose qu’en wolof, ces signes doivent avoir du sens (bien que cette langue soit pratiquée surtout à l’oral) ; mais ce qui est épatant dans ce pays d’Afrique francophone, c’est de constater à quel point la langue française est respectée, à l’oral comme à l’écrit. J’ai lu des affichages publics ou privés de longs textes impeccablement orthographiés, dans une syntaxe irréprochable… (Vous en verrez une parmi mes photos). La source de cette prééminence du Sénégal dans la francophonie en Afrique francophone est peut-être à trouver dans la particularité du statut des « indigènes citoyens français » des quatre communes (Saint-Louis, Gorée, Rufisque et Dakar) au sein de l’indigénat, qui a permis à un plus grand nombre d’étudiants sénégalais que d’aucun autre pays de la région de poursuivre des études prestigieuses en France, ce qui a eu pour conséquence de valoriser la langue française, jusqu’au fait notable que l’écrivain Léopold Sédar Senghor soit devenu le premier président du Sénégal indépendant.
Le Sine Saloum
Le pays reste pauvre, même si cette pauvreté est moins prégnante qu’à Madagascar par exemple, parce que des échanges commerciaux notamment avec la Chine mais aussi avec la France et d’autres pays prodiguent des infrastructures (routes, écoles), en échange de droits de pêche et de terres. On voit encore beaucoup sur les routes de transport chevalin, bovin, voire asinin, cohabitant avec les véhicules à moteurs. Une incroyable autoroute à quatre voies au tarif prohibitif relie Dakar au nouvel aéroport, tandis qu’en décembre 2016, Alstom décocoricroche le contrat du futur réseau de train sur le même parcours… Et mon voyage de 2019 m’a permis de constater que contrairement au Togo et au Bénin, des routes modernes et bien entretenues s’enfonçaient jusqu’à la frontière de l’est. De nombreux dos d’âne, sans parler des ovins, équidés et bovins, et les enfants courant après des ballons, limitent la vitesse, et durant mon séjour, notre excellent chauffeur aux pectoraux d’acier ne percuta qu’une seule chèvre, un exploit ! Comme je vous le disais ci-dessus, ma visite du Sine Saloum ne m’a pas apporté un grand plaisir. Le site est patrimonialisé par l’Unesco, certes, mais cela m’a rappelé la partie transsibérienne de mon voyage en Russie, en remplaçant les kilomètres de bouleaux de la taïga par des orgies de palétuviers ornés d’huîtres que l’on déguste bouillies après avoir accumulé des tertres de leurs coquilles ainsi que d’autres coquillages, comme sur l’île aux coquillages de Joal-Fadiouth. Le classement Unesco n’a pas amené des hordes de touristes, nous étions bien les seuls à caboter dans le vaste estuaire. J’ai d’ailleurs trouvé cela dangereux, une des causes du ratage de ce voyage, car notre pirogue où nous étions entassés à 15 personnes, ne contenait ni rames, ni moteur de secours. Et nous avons remarqué que nos piroguiers jetaient sans vergogne les détritus dans l’eau classée patrimoine mondial… sans doute pas une publicité, car on n’a pas envie que cette mangrove connaisse le destin cloaquesque de la baie d’Halong. Tout le Sénégal n’est d’ailleurs, à l’instar de Paris, qu’une gigantesque poubelle, et jusque dans les villages bedik de l’est, les péquenauds jettent papiers & emballages à même le sol, sans aucun souci de l’environnement. Il est vrai que ces villages semblent abandonnés des autorités ; on y voit par exemple des lampadaires solaires plutôt récents mais hors d’usage et pas entretenus, sans doute dus à quelque éphémère munificence électorale. Mon précédent voyage étant le Japon, un des pays les plus propres du monde, le contraste fut rude ! En janvier 2020, une initiative est prise pour instaurer une journée de nettoyage citoyen. Lire cet article du Monde : « Au Sénégal, l’État compte sur les citoyens pour nettoyer les rues ». L’auteur de l’article oublie de préciser le nom de cette pratique populaire au Rwanda : l’Umuganda. J’en parle à la fin de cet article.
Cela dit, dès qu’on accoste et qu’on visite un village, les gens sont sympathiques, et l’on a vite un gamin souriant à chaque main ; l’hystérie anti-pédophile occidentale n’a pas encore fait son œuvre ; et ils ne sont pas encore trop pourris par le tourisme, à vous assaillir de demandes de « cadeau », « stylo », « bonbon », etc. Parmi les 7 villages bedik, seul le village d’Iwol est chouïa pourri par le tourisme, et le chef local, ancien instituteur, enchaîne les laïus à longueur de journée ; les femmes demandent une contrepartie pour se laisser photographier, etc. On découvre également une des plus remarquable variété en arbres qu’il m’ait été donné d’admirer. Cela va du pommier de Sodome, espèce invasive à laquelle on prête un tas de vertus comme celle de l’accouchement sans douleurs, et dont les fruits servent de ballons de foot aux enfants, au caïlcédrat à l’écorce ridée, plusieurs variétés de manguiers, corossolier (dont les feuilles vendues au prix de l’or en boutiques bio seraient la panacée contre le cancer), anacardier (qui fournit la précieuse noix de cajou et une goûteuse confiture), tamarinier, fromager (kapokier, à ne pas confondre avec le faux-kapokier, Bombax costatum), rônier, filao, figuier étrangleur enlaçant à mort son palmier victime (belle métaphore du mariage !) ; flamboyant avec ses longs haricots secs qui servent de maracas, bougainvilliers, neem (margousier), etc. Vous trouverez des informations dans cet article de Planète Sénégal.
Ce fromager géant de Missirah (au sud de Toubacouta) est un des plus beaux arbres que j’aie jamais vus. Les guides s’amusent à isoler des figures zoomorphes improbables, mais n’osent guère voir le superbe yoni qui orne son côté nord (photo ci-dessus). Cela nous rappelle les pratiques rituelles sur les sépultures arboricoles dont il sera question ci-dessous dans le roman de Cheikh Amidou Kane. Bon, ne croyez pas que j’oublie le baobab : à tout seigneur tout honneur ! Il y en a de sublimes, et en quantité phénoménale. On remarque la même pratique que j’avais observée au Mali, des plaques d’écorce sont arrachées en bas du tronc, apparemment pour confectionner des cordes, ce qui serait devenu inutile avec le progrès. Et les pains de singe qui pendent comme des décorations de Noël, fournissent leur délicieuse gomme à sucer ou à boire en décoction. Pour la faune du Sénégal, on voit, ou plutôt on entend des chacals, des hyènes, babouins, singes verts, et l’on admire les hautes termitières comme on en voit partout, mais aussi les termitières champignons, que je ne crois pas avoir vues ailleurs que dans l’est du Sénégal lors de mon 2e voyage. On enjambe parfois des rivières de fourmis dangereuses. Au Siné-Saloum, je me suis contenté des jolis crabes violonistes, et de tas d’oiseaux dont je vous épargne les noms (Les multicolores Coraciidae (rollier d’Abyssinie ou à longs brins ?), que j’ai vu aussi en Afrique australe ; le choucador à longue queue, aigrettes, pélicans, hérons et petits patapons…)
Le pays bedik
J’ignore pour quelle raison les petites agences de voyage ont mis à leur catalogue ce « trek » improbable au sein de cette minorité ethnique bedik, d’ailleurs mêlée de villages peuls, non loin de la frontière malienne et guinéenne. Sans doute parce qu’avec 581 m d’altitude, on y trouve le point culminant du Sénégal, ce qui permet d’activer de beaux points de vue. Même si l’ensemble du séjour m’a déçu, il n’est pas inutile de se confronter à cette misère antédiluvienne. Comme le contact improbable avec les Mikea de Madagascar, ces rencontres poussent à la réflexion. Les 7 villages qui constituent ce peuple, n’ont ni eau courante ni électricité. Des pompes à eau d’ailleurs fort efficaces ont été offertes par différents États, et le long de la route, dans tout le pays, on remarque des panneaux signalant telle opération humanitaire menée par la France, la Belgique, le Japon, les États-Unis, le Canada, etc. Au village d’Andiel, bedik donc plutôt chrétien, l’une des deux pompes était offerte par l’Arabie Saoudite, ce qui m’a étonné. Les téléphones mobiles semblent la seule concession à la modernité, avec quelques rares motos. Téléphones alimentés aux batteries solaires, cela va sans dire. J’ignore si les locaux ont Internet sur leurs smartphones, et dans quelles conditions. J’ai oublié de poser la question. Mais ce qui m’a frappé, c’est que les femmes continuent ce sport immémorial d’abattre rythmiquement le pilon dans le mortier, ce qui fait des photos si pittoresques et m’attriste pour elles. Comment se fait-il que certains hommes paradent en moto, alors que les villages ne se sont toujours pas cotisés pour un moulin je ne veux pas dire électrique, mais mécanique. Il existe des moulins à grains mécaniques depuis le XVIIe siècle, et les Africaines continuent à passer la moitié de leur temps à pilonner dans des mortiers ? Vraiment, Sarkozy est un sale type d’avoir parlé, je cite, de « l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles » ! (discours de Dakar, cf. infra) Lors de notre passage éclair au Siné-Saloum en 2019, nous visitâmes un centre d’éducation féminine à Sokone, jumelé avec un club d’Yssingeaux : le Centre de Promotion Féminine N’Deff Leng, créé par une franco-sénégalaise qui a fait le choix de retourner au pays, comme le protagoniste de Ô pays, mon beau peuple ! La peinture exposée peut sembler désespérante, mais elle montre bien là où en est la condition féminine, et à partir de quoi ces femmes doivent se battre.
Les activités dans ces villages sont rudimentaires, et pourraient laisser croire que les hommes sont des fainéants et que seules les femmes travaillent, impression que j’ai aussi eue lors d’anciens voyages au Mali et au Burkina-Faso. Même pour grimper à la cime des immenses tamariniers cueillir les gousses de tamarin, ce sont des jeunes filles qui exercent ce métier risqué ! Mais c’est la saison sèche, les vacances, et peut-être que si l’on visitait le pays aux autres saisons, l’on y verrait des hommes affairés aux cultures. Certaines scènes dans ces villages étaient affligeantes, dans un autre sens que les activités chronophages et datées que constituent l’apprentissage médiéval du coran ou la corvée du pilon et du mortier. Dès le matin, nous croisions dans les villages chrétiens, des hommes et même des femmes bourré(e)s au vin de palme, voire à la bière en canettes (alors que dans aucun des villages traversés, nous ne vîmes le moindre commerce, la moindre épicerie) Ah tiens puisqu’on en est au chapitre alcool, rendons hommage à la bière locale la Gazelle, qui se limite à 4,2° mais se vend surtout en bouteilles de 63 cl, ainsi que la Flag, connue dans toute l’Afrique de l’Ouest, qui culmine à 5,2 si ma mémoire est bonne. L’électricité ne sert aucunement à moudre le maïs ou le fonio, mais aux téléphones ou aux enceintes pour que les jeunes déambulent en écoutant de la musique, comme dans nos « quartiers ». On joue au football, et les enfants s’amusent diablement avec des roues de bicyclettes ou des élastiques. Dans un seul des villages peuls ou bediks que nous traversâmes, j’ai vu un seul artisan, un forgeron, à la forge la plus rudimentaire que j’aie jamais vue (bien pire qu’au Burkina-Faso où la forge de bronze est une tradition). Ce vieil homme handicapé ne semble pas devoir laisser de successeur, et je ne crois pas qu’on lui commande d’autres outils traditionnels que la hache. Les bassines, cuillers, bouilloires et autres outils, sont en plastique chinois ou en calebasses locales. Point de tisserand, point de maréchal-ferrant, point de menuisier, point de sabotier, point de couturier.
On a beau encenser le sens de la collectivité des Africains opposé à notre égoïsme occidental, ce que je constate sur place, et que je vérifie, dénoncé dans les œuvres d’Ousmane Sembène, c’est l’absence d’organisation collective, qui voue désespérément tous les jeunes à l’immigration. Et puis avec ça, vous avez la persistance de pratiques comme les cérémonies d’initiation, vers l’âge de 15 ans, avec circoncision pour les mâles du pays. Palpitant ! Et la polygamie, dont on oublie toujours de rappeler, même quand on la critique, que même pour la majorité des hommes, c’est une pratique capitaliste qui prive de sexualité les plus pauvres, car un homme qui accapare avec son fric 4 femmes, en prive 3 mecs pauvres… (enfin peut-être pas pour longtemps s’il épouse la 3e à soixante ans !)
Senegal Gothic
À l’instar des arbres, hommes (et femmes), ne sont pas dégueu, et seraient davantage ma tasse de thé que les Malgaches ! En parlant de thé, on en fait d’excellent, au terme d’une cérémonie dite ataya digne d’Aladin (voir la photo de vignette de l’article). Le thé mousseux est servi en trois rasades dignes de Shéhé. Le premier thé est « amer comme la mort » ; le deuxième, « doux comme la vie », et le 3e « sucré comme l’amour », ben dame ! L’architecture est peu attrayante. Des briques d’adobe améliorées sont fabriquées avec d’ingénieux moules à parpaings permettant d’optimiser la matière première. Dans le centre et l’est, les cases rondes aux toits de chaumes sont rudimentaires, mais proposent parfois un ingénieux système de galeries pourtournantes qui rappelle vaguement les temples japonais, sauf que c’est à l’usage des gallinacés !
Dans certains villages côtiers, le sable est mêlé aux coquillages, soit entiers, soit concassés. Cela est traditionnel, certes, mais point trop pittoresque. Gorée, entièrement occidentalisée, l’est davantage (on y relève quand même une maison en pierre volcanique). Au village de Toubacouta, j’ai trouvé de quoi faire mon devoir de vacances (mes élèves n’auront eu aucun mal à faire mieux !). En effet, au terme d’une séquence sur les réécritures, j’avais demandé à mes élèves de Première L de réaliser une parodie du célèbre tableau American Gothic de Grant Wood. En passant devant une case au toit de paille conique, je me suis dit que je tenais mon affaire, et voilà mon Senegal Gothic ! Mon excellent guide à la langue fleurie, Theodore Waly Sarr (que j’ai d’ailleurs retrouvé avec plaisir, mais comme guide principal, lors du second voyage), s’y est prêté avec enthousiasme, et il est flanqué de l’épouse du boulanger du village, qui s’est fait prier en l’absence de l’autorisation du mari, puis voyant qu’il ne s’agissait que d’une photo et que cela avait l’air d’amuser ces toubabs et ce guide, a fini par accepter de poser avec son enfant, ce qui constitue sans doute un rappel du fameux monument de la Renaissance africaine (cf. début de l’article). La fourche présente dans le tableau original, est remplacée par une hache traditionnelle… Hache dont je fis d’ailleurs l’acquisition d’un exemplaire fort rustique en 2019 au village bedik d’Andiel, auprès du vieux forgeron handicapé qui travaille avec une soufflerie fort artisanale constituée par un mécanisme de vélo bricolé par un Espagnol de passage, paraît-il ! Theo a expérimenté le truc pédagogique d’utiliser son profil tourné à gauche pour symboliser la carte du Sénégal, le nez désignant la presqu’île du Cap-Vert, la bouche la Gambie ; le front la grande côte, etc.
Ici se termine le 1er article. Continuez avec Sénégal (2) Littérature sénégalaise.
– Lire directement nos autres articles sur Le Docker noir, sur Les Bouts de bois de Dieu (1960) et sur Xala (1973), Ô pays, mon beau peuple ! (1957), Le Mandat (film de 1968) et Niiwam (1987), d’Ousmane Sembène, ainsi que l’article sur les contes et poèmes de Birago Diop.
– Quant à l’homosexualité au Sénégal, elle est censée ne pas exister, et seule l’homophobie prolifère. En mai 2018, un article de Hamidou Anne pour le journal Le Monde à l’occasion de la parution du roman De purs hommes, de l’écrivain sénégalais Mohamed Mbougar Sarr (éd. Philippe Rey et Jimsaan) fait un point terrifiant sur la question.
Voir en ligne : Mes photographies du Sénégal sur Comboost
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[1] Serait-il sarcastique de se demander pourquoi les médias français – pour la plupart aux mains d’industriels œuvrant au Sénégal – restent fort polis sur le sujet ?
[2] J’ai suffisamment dit (voir cet article) ce que je pense de la nullité de la présence de la sculpture moderne en France, pour être légitime à la critiquer dans les pays où elle est critiquable…
[3] Lire à ce propos un article du Monde sur Serigne Abdoul Aziz Sy, qui à l’âge de 89 ans entame une carrière de « guide spirituel des tidjanes » suite à la mort de son frère, et fait la morale au pouvoir temporel.
[4] Il s’agit en fait de mon « gorge profonde », qui me tient informé sur les dossiers ignorés des médias : il s’agit d’un ami ruthénois d’Essobal Lenoir, du nom d’Erico Lusso. Le « Erico Lusso » !