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En littérature, on ne « doit » rien du tout !

Entrevue de Cathy Ytak

Auteure de Rendez-vous sur le lac.

dimanche 29 avril 2007

Paradoxalement, quand on aborde la sexualité, on parle souvent de souffrance, de difficulté, de doute... Mais rarement de plaisir ! J’ai donc envie, dans mes livres, que la sexualité puisse être joyeuse, libérée, porteuse de bonheur et de plaisir. En un mot : déculpabilisée. On dit toujours que le malheur provoque l’empathie du lecteur... Mais pourquoi pas le bonheur ?

 Lionel Labosse pour altersexualite.com : Merci d’avoir accepté de répondre à notre entrevue. Présentez-vous en quelques mots. Combien de livres avez-vous publié en littérature jeunesse / adultes ?
 Je m’appelle Cathy Ytak, j’ai 43 ans, j’ai publié une quinzaine de livres jeunesse et adultes, des essais, romans, albums, etc. Deux de mes romans « adultes » ont finalement été publiés dans des collections « jeunesse » (ados / jeunes adultes). Je suis également traductrice du catalan.

 Que pouvez-vous nous dire au sujet de l’altersexualité de vos personnages ou de l’intrigue ?
 Je suis toujours très attentive à ce que les histoires d’amour, dans mes romans, ne soient pas montrées comme des « normes », mais comme des histoires qui n’appartiennent qu’à celles ou ceux qui les vivent. Dans un de mes romans jeunesse, on comprend que l’une des adultes vit une relation amoureuse avec deux hommes en même temps. Dans un autre, c’est une personne âgée qui tombe amoureuse, etc.

 À quelle classe d’âge vos livres s’adressent-ils ?
 Il y en a pour tous les âges ! Celui qui parle le plus ouvertement de lesbianisme est un livre pour les 9-13 ans.

 Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire un livre qui aborde - de près ou de loin - les questions altersexuelles ?
 J’avais envie d’écrire un livre sur une jeune ado qui vit dans un village isolé en montagne, parce que j’en avais assez de voir que la plupart des romans jeunesse se passent en ville, dans des cités, etc. C’est le point de départ du roman Rendez-vous sur le lac. Ce roman est centré sur la vie d’une ado qui découvre l’amour et qui découvre aussi, accessoirement, que sa sœur (qui vit désormais en ville), est lesbienne. Le personnage de la sœur est arrivé très vite, sans que je l’aie « programmé ». Peut-être parce que je me suis demandé : est-ce que j’aurais été heureuse, moi, adolescente et jeune adulte, dans ce village ? et que ma réponse a été : non, je serais partie, mais j’aurais été heureuse ailleurs…

 Accepteriez-vous qu’on qualifie votre livre de roman « gai » ? ou roman « LGBT » ?
 Dans le cas de Rendez-vous sur le lac, non, parce que ça n’est pas le sujet du livre. La relation de cette ado et de sa sœur lesbienne ne prend que trois chapitres sur une vingtaine… C’est pourtant celui qui a fait le plus couler d’encre !! Mais j’accepterai volontiers qu’on le dise si un jour j’en fais le thème central d’un roman.

 Votre position d’auteur est-elle militante ? Vous inscrivez-vous dans la perspective de faire évoluer les mentalités, de banaliser l’altersexualité ?
 J’ai milité un temps, en animant des émissions gays et lesbiennes sur Radio Libertaire. J’ai aussi écrit sur « l’amour libre ». Mais je ne me considère pas comme écrivaine militante. J’ai surtout été irritée, énervée, par tous ces romans (autant adulte que jeunesse d’ailleurs) qui parlent de pédés et de gouines, qui semblent sympas au premier abord, mais qui trimballent avec eux un discours moralisateur terrible, et ça me met en rage. Avec, toujours, la fin tragique : l’homo qui se suicide
(ou qui se rachète et devient hétéro…) On retrouve la même chose pour tout ce qui concerne la sexualité. On se situe toujours dans ce « bien / mal », « péché / pas péché ». Paradoxalement, quand on aborde la sexualité, on parle souvent de souffrance, de difficulté, de doute… Mais rarement de plaisir ! Je me souviens d’un débat dans une librairie, sur un livre parlant des lesbiennes, un petit papy qui me disait : « Ah non, je ne vais pas venir vous écouter, j’ai déjà assez de problèmes comme ça ! » J’ai donc envie, dans mes livres, que la sexualité puisse être joyeuse, libérée, porteuse de bonheur et de plaisir. En un mot : déculpabilisée. On dit toujours que le malheur provoque l’empathie du lecteur… Mais pourquoi pas le bonheur ?

 Pensez-vous que l’on puisse aborder tous les thèmes en littérature jeunesse ? Qu’est-ce qui est selon vous tabou ? Pensez-vous que la loi du 16 juillet 1949 doit être revue ou supprimée ?
 Les lois qui tendent à museler la parole doivent toutes être supprimées !! Je pense qu’on peut tout aborder en littérature jeunesse, à condition qu’on ne perde jamais de vue l’âge du lecteur auquel on s’adresse. Pour moi, ce qui devrait être tabou, c’est de montrer qu’il n’y a qu’une seule sexualité heureuse : celle d’un homme et d’une femme mariés, de même religion, de même âge et de même couleur de peau, dans la position du missionnaire, la lumière éteinte, et le tout bien sûr dans le seul but de faire plein de petits hétéros…

 Si l’on parle d’amour doit-on aussi parler de sexualité et de passage à l’acte sexuel selon l’âge auquel on s’adresse ? Vous imposez-vous des limites ? Lesquelles ?
 En littérature, on ne « doit » rien du tout ! On fait comme on le sent. Pour ma part, je ne m’impose rien, je ne me refuse rien. Je ressens la description d’une relation sexuelle, pour des gamins de sept ou huit ans, comme hors contexte par exemple, parce qu’il me semble qu’ils ne sont pas concernés. En revanche, la masturbation, le plaisir qu’on se donne, oui, on peut en parler à cet âge-là.

 Comment à votre avis peut-on parler d’amour en général et d’amour homosexuel en particulier ? Est-ce délicat ? Quelles sont les difficultés ?
 Le pire, je crois, est de se dire : « Ah, là, je vais aborder un sujet tabou… je vais donc prendre des pincettes, je vais faire attention à ne pas choquer, etc. ! » Là, on a toutes les chances de faire un truc boiteux, moralisateur, etc. Dans mes romans, on est (on naît ?) hétéro comme on est lesbienne, par exemple, et il n’y a pas de quoi fouetter un chat.

 Vous inspirez-vous d’autres auteurs ou de grandes figures du panthéon altersexuel ?
 Non. En fait, j’écris sans doute ce que j’aurais aimé lire, plus jeune !

 Quelle est votre implication personnelle, la part d’autobiographie
dans votre roman ?

 Dans Rendez-vous sur le lac, c’est un peu compliqué… J’ai projeté sur l’héroïne la vie que j’aurais aimé avoir, et sur celle de sa sœur, la vie que j’aurais eue si j’avais été à sa place… C’est-à-dire que, lorsque j’étais enfant / ado, j’aurais aimé vivre dans un village isolé, en montagne, comme cette adolescente qui tombe amoureuse d’un petit gars du coin. Mais j’aurais peut-être dû finalement, comme sa s∫ur, partir à Paris pour vivre librement ma sexualité, au moins au début !

 Évoquer l’altersexualité, cela vous renvoie-t-il à votre propre parcours ? À vos propres interrogations sur les désirs et la vie ?
 Bien sûr ! D’autant plus que je suis bisexuelle, et que les bis rencontrent parfois des réactions très marquées de la part des « vraies » lesbiennes ou des « vrais » hétéros, et qu’elles ont encore plus de mal à trouver leur place. Et que cela pousse très vite, non seulement à s’interroger sur ses désirs, mais à s’interroger sur sa propre identité. Je crois que, de par ma vie, j’ai été confrontée très vite à l’absence de repères précis. Je ne trouve jamais la « case » où je dois être… Bref, j’ai toujours le cul entre deux chaises. Plutôt que de me morfondre, c’est aujourd’hui dans cet « entre-deux » que je me sens le mieux.

 Quelles difficultés particulières avez-vous rencontrées dans l’écriture de votre livre ?
 Aucune difficulté particulière ! « Rendez-vous sur le lac » est un livre que je portais en moi depuis très longtemps, mais que je n’osais pas « donner » au public. Pas du tout à cause de la sœur lesbienne, mais parce qu’il parle d’un pays que j’aime (le Haut-Doubs), et que c’est une partie très intime de ma vie.

 Comment vos lecteurs ont-ils accueilli ce livre ? Comment a-t-il été
accueilli par les éditeurs, la presse, le milieu scolaire ?

 Ce petit roman a été publié par « J’ai Lu Jeunesse », qui n’existe malheureusement plus. Le directeur de cette maison, Pierre Jaskarzec, était un éditeur merveilleux : ouvert à tout, disponible, respectueux. J’aimais beaucoup travailler pour lui. Quand je lui ai dit qu’il y aurait une lesbienne dans mon prochain livre, il m’a dit : « Pas de problème ! » J’ai trouvé ça bien que ça puisse s’insérer dans une collection dite « grand public », dans un livre qu’on peut trouver en hypermarché ou dans les gares. Ce livre a été très bien reçu par les enfants et jeunes ados qui l’ont lu en classe, quand leur prof a bien voulu le leur faire lire ! Il y a eu des réticences très fortes et très variées de la part du corps enseignant (et des absences totales de réticences aussi). Ainsi, une institutrice de CE2 / CM1 l’a fait lire à ses élèves (alors que c’est un livre qui s’adresse plutôt à des 6ème/5ème), et leur a parlé librement (et très joliment) de sexualité, etc. De l’autre côté, il y a un prof de 4e qui m’a dit que cette histoire de lesbienne était « déplacée » dans un livre qui parlait de ruralité !!! En fait, les profs focalisaient beaucoup sur cette histoire de lesbiennes (parfois de manière heureuse, parfois moins). Mais je n’ai pas rencontré ces mêmes réticences chez les ados. Cela dit, encore une fois, ça n’est pas le sujet principal du roman. Les médias aussi, ont « pointé du doigt » ces trois chapitres ! J’ai été interviewée dans un journal télévisé sur France 3, et le présentateur s’étonnait de voir que l’on parle si librement d’homosexualité dans un livre jeunesse… Cela dit, il avait très bien lu le livre, et c’était aussi chaleureux que positif !

 Selon vous, que doit apporter aux jeunes lecteurs le fait d’aborder une question altersexuelle ?
 Je pense que lorsque j’interviens dans une classe pour parler de Rendez-vous sur le lac, par exemple, il y a toujours au moins deux ou trois élèves qui vont se sentir concernés au premier plan. Si pour eux, et rien que pour eux, je peux dire : « On peut vivre heureux, même quand on n’est pas dans la « norme », je serai satisfaite. Si en plus, pour tous les autres, je peux dire : « Laissez vivre vos copains, vos copines comme ils en ont envie, et laissez-les aimer comme ils aiment », je serai encore plus satisfaite ! Et si pour les enseignants, les parents, je peux dire : « Ne prenez pas vos enfants pour des cons et respectez leurs désirs », alors, là, ça sera gagné !! Je crois que j’ai une approche « positive » des choses. J’essaie, autant que possible, de casser cette morale judéo-islamo-chrétienne qui empoisonne tant nos vies (d’autant plus que nous n’en avons pas toujours conscience).

 Quels sont vos projets ?
 Je trouve que la sexualité est de plus en plus présente dans les livres jeunesse, surtout pour dénoncer les abus ; inceste, pédophilie, violence sexuelle, etc. Bien sûr, il est nécessaire d’aborder ces sujets, mais de fait, on parle toujours très peu de plaisir… Or la société devient de plus en plus puritaine, il faut tout cacher, tout taire. J’ai envie, dans mes prochains livres, de parler du corps en tant qu’instrument de plaisir. Ce plaisir-là n’a pas besoin de normes pour exister, mais il a besoin de liberté pour s’épanouir. Mais ce ne sont que des idées, et je ne sais pas la forme qu’elles prendront.

 Avez-vous un site ? Comment faire, qui contacter si l’on souhaite que vous interveniez dans une classe ?
 J’ai un site. Pour me contacter, on peut m’envoyer un mail.Pour les interventions dans les classes, je demande à être rémunérée selon les tarifs de la Charte des Auteurs et Illustrateurs pour la jeunesse.

 Lire aussi de la même auteure, Rien que ta peau, L’ombre d’Adrien et Les murs bleus, sélectionné pour le prix des Incorruptibles 2007-2008. À cette occasion, Cathy Ytak a créé un blog spécifique.

Propos recueillis par Lionel Labosse le 1er novembre 2005.


Voir en ligne : Le site de Cathy Ytak


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