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« Un sujet très tabou, c’est la politique »

Entrevue d’Arthur Ténor

Auteur de À mort l’innocent !

vendredi 20 juin 2008

Merci beaucoup à Arthur Ténor de nous avoir accordé cette entrevue à l’occasion de la sélection de son roman À mort l’innocent ! pour le prix des Incorruptibles 2008/09, niveau 5e/4e. « Aujourd’hui, plus que jamais, dès qu’on aborde un sujet un peu délicat, les réactions sont de plus en plus vives, voire violentes. Je ne suis pas sûr que notre époque soit plus libre ou libérée que celle qui a suivi 1968, et ce jusqu’aux années 1980. La peur grandit… ça fait même peur (aux esprits libres). »

 Lionel Labosse, pour le Collectif HomoEdu / altersexualite.com : merci d’avoir accepté de répondre à notre entrevue. Présentez-vous en quelques mots. Combien de livres avez-vous publié ? À quelle classe d’âge vos livres s’adressent-ils ?
 Je suis un explorateur de l’Imaginaire, c’est pourquoi j’ai écrit des récits dans un peu tous les genres et pour diverses tranches d’âges. Mes romans s’adressent à la jeunesse qui, comme chacun sait, va de 7 à 77 ans. J’ai publié environ soixante-dix titres, aucun en littérature générale. Quant à la BD, je dis pourquoi pas ? si un jour l’opportunité se présente.

 Que pouvez-vous nous dire au sujet de l’altersexualité de vos personnages ou de l’intrigue ?
 Seul l’instituteur est homosexuel. C’est un homme sensible, moderne (rappelons que nous sommes au début des années 1960), cultivé… libre, dans son cœur du moins. Je ne dissocie pas les particularités de ce héros, car au fond, il n’en a aucune, sinon celle d’être un innocent sur lequel s’abat la bêtise mariée à la méchanceté.

 À quelle classe d’âge votre livre À mort l’innocent ! s’adresse-t-il ?
 Contrairement à ce que la couverture peut laisser penser, il n’est pas adapté à un lectorat d’enfants de primaire, ou alors très mûrs. Je le destinerais plutôt à des jeunes de 13 ans et plus. La raison tient essentiellement dans la « dureté » émotionnelle de l’histoire (surtout la fin).

 Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire un livre qui aborde — de près ou de loin — les questions altersexuelles ?
 À la vérité, ce n’est pas l’homosexualité du héros qui a induit ce roman, mais le thème de l’innocence. La même année, j’ai écrit À mort l’innocent ! et Né maudit (sur les enfants de la honte, martyrisés à la sortie de la Seconde Guerre mondiale), alors que je suis un romancier de l’aventure et du plaisir de s’évader dans l’imaginaire. Ces sujets m’ont touché, c’est pourquoi j’ai eu envie d’en parler.

 Votre position d’auteur est-elle militante ? Vous inscrivez-vous dans la perspective de faire évoluer les mentalités, de banaliser l’altersexualité ? Préférez-vous raconter des histoires qui vous touchent et toucheront vos lecteurs ?
 J’avoue ne pas être un militant, ou alors un militant du bonheur. À ces questions sur le « pourquoi ces livres ? », je réponds en expliquant que je suis assez émotif. Ma corde sensible vibre facilement, parfois très fort sur certains sujets. Par exemple, quand je vois un reportage télévisé sur le massacre des dauphins ou des baleines, ça me suffoque d’indignation. Comme tout un chacun, lorsqu’on assiste à un événement choquant, on éprouve le besoin de raconter ce qu’on a vu et d’exprimer ce qu’on a ressenti. Je suis écrivain, l’écriture est ma parole, c’est ainsi que j’exprime mes indignations, mais aussi mes espoirs. Pour les baleines, ça a donné Les messagères des abysses. Pour À mort l’innocent !, si je me souviens bien, l’envie (le besoin) d’écrire ce livre est venue d’un fait divers épouvantable, où un jeune homme avait été très grièvement brûlé par une bande d’abrutis homophobes.

 Pensez-vous que l’on puisse aborder tous les thèmes en littérature jeunesse ? Qu’est-ce qui est tabou selon vous ?
 Sur le principe, on devrait pouvoir aborder tous les thèmes (c’est le signe d’une société évoluée, selon moi) en sachant faire preuve de responsabilité. Gudule par exemple a écrit un roman très sensible sur l’usage du préservatif (L’amour en chaussettes) Thème délicat qu’elle a su aborder de manière explicite, mais avec assez de subtilité pour ne pas tomber sous le coup de la loi de 1949. Il faut quand même reconnaître qu’il devient de plus en plus difficile d’être « subversif ». Le seul fait de prononcer un mot suffit parfois à recevoir des lettres d’indignation. On m’a par exemple reproché un jour d’avoir fait « l’apologie du suicide » dans un roman où, bien au contraire, mon héroïne adolescente se reconstruit et échappe à la mort. Mais le seul fait d’aborder ce thème avait provoqué une crise de crétinerie aiguë chez des gens que je soupçonne d’être un peu trop idéologisés.
La notion de tabou est très floue. Certains éditeurs sont terriblement frileux et ne veulent pas publier sur des sujets « choquants ». Même les mots les plus anodins suscitent parfois des paranoïas incroyables. Une petite anecdote : un auteur jeunesse m’a raconté avoir été censuré par son éditeur sur le nom d’une boîte de pâtée pour chats, qu’une brave mamie ouvrait dans sa cuisine. C’était dans un roman pour enfants de 8 ans. Ce nom impie ? « Gai minou ». Les bras vous en tombent. Mais qu’on se rassure, on trouve des éditeurs moins « inquiets ». Un sujet très tabou, c’est la politique. Finalement davantage que la sexualité, ai-je l’impression.

 Si l’on parle d’amour doit-on aussi parler de sexualité et de passage à l’acte sexuel selon l’âge auquel on s’adresse ? Vous imposez-vous des limites ? Lesquelles ?
 La catégorie jeunesse impose par force, ou simplement par sens des responsabilités, de nombreuses limites. Pour un auteur jeunesse (pour moi, en tout cas) il est hors de question de heurter des convictions (religieuses, par exemple) ou de faire faire des cauchemars à mes lecteurs. Cela dit, il faut aussi leur montrer le monde tel qu’il est et savoir les aider à surmonter leurs propres angoisses, dont celles touchant à la sexualité.
Il ne faut pas oublier qu’un enfant (jusqu’à la maturité qu’on pourrait situer entre 15 et 20 ans), n’aborde pas le monde avec le même recul qu’un adulte forcément aguerri par les expériences de la vie. Je ne suis pas psychologue, mais il me semble que décrire un acte sexuel, par exemple, ne serait pas forcément rendre service à un jeune que « la chose » effraie déjà assez comme ça.

 Comment à votre avis peut-on parler d’amour en général et d’amour homosexuel en particulier ? Est-ce délicat ? Quelles sont les difficultés ?
 Je reconnais que c’est délicat. Dans mon premier roman d’héroic fantasy, (Voyage extraordinaire au royaume des 7 Tours), je décris une scène d’amour entre mon héros et… une elfe. C’est très explicite dans les préliminaires, les allusions tendres, l’effeuillage… puis je laisse au lecteur le soin d’imaginer la suite. Et pourtant ce livre s’adresse, en principe, aux plus de 15 ans. Pourquoi cette autocensure ? Parce que je suis convaincu que plus « hot », ça ne serait pas passé chez l’éditeur, et encore moins pour le public. Et puis au fond, ce n’était pas utile.
Je dois souligner par ailleurs, qu’aujourd’hui, plus que jamais, dès qu’on aborde un sujet un peu délicat, les réactions sont de plus en plus vives, voire violentes. Je ne suis pas sûr que notre époque soit plus libre ou libérée que celle qui a suivi 1968, et ce jusqu’aux années 1980. La peur grandit… ça fait même peur (aux esprits libres).

 Évoquer l’altersexualité, cela vous renvoie-t-il à votre propre parcours ? À vos propres interrogations sur les désirs et la vie ? À une vision du monde et des relations humaines ?
 Aux deux premières questions, je réponds négativement. En revanche, à une vision de l’humanité, absolument. Lorsqu’on crée une telle histoire (assez proche de la réalité finalement) avec des personnages, bons ou mauvais, qui pourraient exister réellement, on ne peut faire autrement qu’y glisser sa vision du monde. Qu’on puisse accuser et condamner un homme sans aucune preuve, simplement parce qu’il paraît différent ou parce que la rumeur publique affirme que… quand on y réfléchit un minimum, ça fait froid dans le dos. D’autant qu’on voit ça tous les jours ! Ou alors c’est de la méchanceté, une perversion reposant sur le plaisir de faire ou de faire faire le mal. Pour la combattre, c’est une autre affaire où la tolérance et la faiblesse n’ont pas leur place.
Le problème avec la méchanceté pure, c’est qu’elle sait très bien se cacher, jusqu’à même se nicher derrière les meilleures intentions. C’est ce que j’évoque dans mon livre, lorsqu’un docte personnage, le notable du village et sage de service, sème malicieusement le doute dans les esprits simples par une savante démonstration et ainsi arme le bras de lanceurs de cailloux. Il y aurait tant à dire sur ce sujet, alors qu’un peu de cœur permettrait de tout comprendre en une fraction de seconde…

 Comment votre livre a-t-il été accueilli par les éditeurs, auprès de la presse (générale, spécialisée jeunesse, gaie et lesbienne), auprès du milieu scolaire ?
 Les retours dont je dispose me montrent que ce n’est pas l’aspect homosexuel qui frappe ou intéresse les lecteurs. On présente le livre comme une utile leçon de tolérance, sans évoquer le moins du monde l’altersexualité. Côté scolaires, enseignants notamment, l’accueil est très bon et je trouve ça plutôt rassurant.

 Selon vous, que doit apporter aux jeunes lecteurs le fait d’aborder une question altersexuelle ?
 Qu’en fin de compte, il n’y a pas de « question » à se poser sur ce sujet, pas plus qu’on s’en pose sur les goûts et les préférences dans les choix de vie de n’importe quel individu. Par exemple, pourquoi devrait-on se poser plus de questions sur un couple homosexuel que sur un autre qui ne veut pas d’enfant alors que la « norme sociale » l’exige ? Pour moi, tant qu’on se posera des questions sur l’homosexualité, c’est qu’elle constituera un problème et que l’humanité (l’humanisme) a encore du chemin à faire. Tel homme politique est homosexuel, est-ce que ça présente un quelconque intérêt pour juger de ses compétences, de son honnêteté, de sa grandeur d’âme ? Et si c’est un prof ? Ou un écrivain… jeunesse ? Ça change quoi à son œuvre ?

 Avez-vous un site ? Comment faire, qui contacter si l’on souhaite que vous interveniez dans une classe ?
 Le plus simple pour contacter est de se rendre sur mon blog. Il y a tout ce qu’il faut pour cela. Merci de m’avoir donné la possibilité de m’exprimer sur votre site.

Arthur Ténor

Propos recueillis par Lionel Labosse en juin 2008.


Voir en ligne : Site d’Arthur Ténor


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