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Roman bucolique pour les 5e / 4e
Rendez-vous sur le lac, de Cathy Ytak
La cabane sur le chien, 2003, 110 p., 7,5€.
jeudi 10 mai 2007
Marion la taiseuse, une fille franche et qui ne s’en laisse pas « comté » ! Un beau roman rural et urbain sur un personnage hors du commun, une jeune fille qui n’aime que la nature et ne parle que si elle a des choses intéressantes à dire. Amoureuse du Haut-Doubs, Marion découvrira pourquoi sa sœur l’a quitté pour Paris, et ne l’en aimera que mieux.
Résumé
« Moi, je m’en fiche, mais un jour, au lycée, un petit malin m’a lancé que je sentais la vache. Je lui ai répondu que c’était mieux que de sentir la game-boy » (p. 23). Cash ! Tout Marion est dans cette repartie : une fille franche et qui ne s’en laisse pas « comté » ! Taiseuse, et alors ? « Si les gens me parlaient de ce qui m’intéresse, je serais certainement plus loquace… » (p. 12). Marion adore sa combe, surtout quand la neige déboule ou que la glace couvre le lac de Saint-Point. Elle vit dans une ferme isolée, avec son père et sa mère. Elle déteste le lycée ; la forêt pour elle vaut tous les livres (p. 48) [1]. Elle a une copine, Aurélie, qui change de copain comme de piercing ; elle ne regarde la télé que pour Thalassa, mais ce dont elle ne se lasse pas, c’est de sa chère nature, faune, flore et paysage. Justement, elle fait la connaissance du « fils du sanglier » (non, non, ce n’est pas un roman zoophile, vous verrez !), Clément, passionné de nature comme elle. Grâce à eux, vous n’ignorerez plus rien de l’ellébore fétide, des trolles, des bostryches, des foulques macroules et autres oiseaux migrateurs. À propos, c’est dans sa combe que ce roman sobre mais efficace, taiseux comme son héroïne, prend tout son relief. Marion rejoint sa grande sœur Camille à Paris pour Noël. Elle déteste Paris, elle aurait préféré que Camille la rejoigne à la ferme, mais voilà, Camille lui révèle que sa colocataire est aussi son « amoureuse » (p. 52). C’est pour ça qu’elle a quitté le village : « Ils sont sympas quand tu leur ressembles, mais en réalité, ils ont peur de tout ce qui bouge. […] La différence, c’est qu’ici, à Paris, personne ne t’empêche de vivre ce que tu veux, et comme tu veux » (p. 60). C’est grâce aux conseils de sa sœur lesbienne (le mot est employé) que Marion d’une part se laissera aller aux sentiments qu’elle commence à éprouver pour Clément, mais aussi qu’elle prendra conscience de la pesanteur de certains regards. Ceux de sa mère par exemple, qui sentant Clément approcher de sa fille, se comporte « comme une mère-louve » (p. 76). D’un autre côté, sa grand-mère aussi semble craindre le regard de sa petite-fille quand elle lui annonce son remariage avec un veuf… Même dans le Haut-Doubs, quand la nature vous appelle, il y a parfois « le feu au lac » !
Mon avis
Le nom de plume en forme de palindrome que s’est choisi Cathy Ytak, dont l’entrevue nous révèle le passé militant, est-il déjà une discrète allusion au thème de l’inversion qui apparaît au milieu de ce roman ? En dépit de l’illustration de couverture naïve et de la fin conventionnelle, Rendez-vous sur le lac est un des meilleurs romans de notre sélection, à la fois pour ses qualités littéraires, l’originalité de son thème et l’utilisation habile du thème du lesbianisme, en contrepoint à la vision idyllique de la ruralité franc-comtoise. Par « fin conventionnelle », j’entends que dans tout roman de littérature jeunesse qui se respecte, un ado, à quinze ans, l’âge de consentement légal, tombe forcément amoureux. Le style est soutenu, riche en un vocabulaire régionaliste ou botanique vecteur efficace de poéticité, sans renoncer de loin en loin à un humour pince-sans-rire. Il n’y a pas besoin de grandes démonstrations ou d’ironie facile pour inspirer le goût de cette nature trop souvent absente de la littérature jeunesse. En effet, par la force des choses, les romans de notre sélection sont souvent écrits par des auteurs qui, à l’instar de Camille, ont dû fuir des contrées moins polluées mais où le contrôle social impose sa loi. Alors ils décrivent de préférence un milieu urbain. L’urbanité n’est pourtant pas forcément l’apanage des citadins… Malgré certaines réparties, Marion n’a pas recours à la violence ou aux écarts de langage pour imposer son caractère impétueux et sportif. Elle n’éprouve pas le besoin de se mesurer aux garçons, elle se contente de sélectionner les rares qui l’intéressent. Et si elle est décontenancée un moment par la révélation de Camille, c’est parce qu’elle est vexée qu’elle ne lui ait rien dit, ou qu’elle se rend compte qu’elle n’a pas d’amoureux, elle. Marion admire sa grand-mère une grand-mère qui ne fait pas seulement potiche fêlée. Mieux, c’est sa grand-mère qui l’incite à désobéir… Mine de rien, voici un roman tout en retenue, qui sans prendre la pose militante, fera un grand bien à ses lecteurs. Peut-être découvriront-ils qu’on ne peut pas aimer la nature sans aimer toute la nature. Peut-être, si elles peuvent lire ce livre dans leurs collèges de Pontarlier ou de Mouthe, les Camille de demain n’éprouveront-elles plus le besoin de fuir la province… et les Camille ou les Kamel de Clichy-sous-bois, qui sait, auront peut-être envie d’aller y guetter la foulque ou le chevreuil… Notons pour terminer que ce livre initialement publié en 2003 par J’ai lu, a été joliment réédité en 2008 par La cabane sur le chien, un éditeur à encourager. Et puis, c’est la première fois que le logo du label « Isidor » est carrément reproduit sur le livre, alors on est très fiers (et « trézému » itou) à altersexualite.com !
– Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».
– Lire, sur « Culture et Débats » le point de vue de Jean-Yves.
– Lire aussi 50 minutes avec toi, Les murs bleus, Rien que ta peau et L’ombre d’Adrien, de la même auteure. Découvrir la comparaison avec la couverture de la précédente édition, sur le site de Cathy Ytak, sans oublier notre entrevue avec Cathy Ytak.
Voir en ligne : Le site de Cathy Ytak
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[1] Signalons une erreur dans la citation de Montesquieu donnée par la prof de français : la citation exacte et complète serait plutôt : « L’étude a été pour moi le souverain remède contre les dégoûts de la vie, n’ayant jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture ne m’ait ôté. » (Mes pensées, œuvres complètes I, Bibliothèque de la Pléiade, p.975)