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Théâtre, sexe et politique, pour adultes et lycéens (très) avertis

Les Carnets d’un jeune homme, 1976-1981, de Philippe Caubère

Gallimard, Folio, 1999, 800 p., 9,9 €.

samedi 12 janvier 2008

J’avais mis de côté ce pavé de 800 pages acheté suite à la folle série des spectacles autobiographiques en désormais 8 épisodes de Philippe Caubère. Peur de retrouver en moins bien ce qui m’avait ébloui au théâtre. Eh bien ! pas du tout ! Comme l’auteur le dit lui-même je ne sais plus où, quand il cause, il fait rire, mais jamais quand il écrit. Certes, le texte est un peu décousu, c’est un fatras dont on rayerait bien dix pages par-ci, par-là, comme d’ailleurs le reconnaît Caubère — « Tout ça reste à écrire » (p. 386), lâche-t-il après tel passage superbe ! — mais à travers ce fatras, dès qu’on « entrouvre le rideau » (p. 555), quel « vaste et sombre espace, une cave aux cent ogives […] comme une langue énorme, à la surface de laquelle des bulles grasses éclatent » ! Des rêves, souvent pornographiques ; une conception mégalomaniaque du théâtre, d’un type qui ne nous la raconte pas, et avoue franchement « Ce que je voulais à dix-huit ans, moi, gens, je vais vous le dire : être beau, intelligent, aimé, adoré et acclamé, point à la ligne ! » (p. 439) ; des anecdotes autobiographiques, souvent pornographiques ; un soupçon de politique gauchiste d’un type qui, entre stalinisme et sexualité, n’a pas choisi le stalinisme ; quelques souvenirs précis de mise en scène, Dom Juan notamment, quelques poèmes qu’on nommerait aujourd’hui slam, le tout dans une langue incand/adolescente, à l’image de sa conception du personnage de Don Juan ; une langue qui ludionne allègrement sur l’échelle des registres, de l’imparfait du subjonctif le plus pur au plus crade argot…

Enfin, et ce n’est pas le moindre intérêt de ce pavé au poivre dans lequel on mordra à belles dents, cet hétéro altersexuel relate avec la plus savoureuse immodestie ses fantasmes homo. Bref, voilà une douzaine d’heures de lecture pour combler de Caubère mort le temps mort entre deux Caubère vivants. Je me bornerai à signaler les extraits les plus marquants, et leur éventuel intérêt pédagogique. Il est bien évident, vu les nombreuses pages porno, qu’on ne proposera pas cette lecture complète à des lycéens, sauf pour les passionnés de théâtre, en les avertissant clairement [1]. Le rêve serait que, quand il en aurait fini avec sa série de spectacles, Caubère présente pour les happy few la partie en-dessous de la ceinture de son moi, qui n’est pas la moins passionnante. Pour vous donner une idée, ce qu’il dit par exemple dans ses spectacles de la masturbation, qui fait déjà bondir quelques spectateurs qui se sont trompés d’endroit, n’est pas le centième de ce qu’il peut en écrire… pisse, merde, mort, rien ne manque, vous voilà avertis. Si vous avez peur d’être choqué, vous êtes prié de cesser de lire cet article à partir d’ici !

La vie, la mort

 Sa naissance peu romantique : « un bébé à moitié crevé, crachant ses bronches, et couvert de pustules » Sa grand-mère convainc ses parents de ne pas l’appeler Frédéric, mais Philippe, « comme Pétain » ! (p. 584).
 Beau passage autobiographique sur la mère : « Il faut dire surtout que mon enfance fut éclairée, que dis-je ? illuminée, nourrie, arrosée par une immense et folle passion : celle que je vouais à ma mère » (p. 102).
 Lorsqu’il est scolarisé (alternant avec de longs séjours solitaire ou en maison de repos, à cause d’une santé défaillante), il se plie à son corps défendant au conformisme macho, « lié à la mixité, qui, cette année-là, fut instaurée ». Il traite les profs « d’enculés, de tapettes, de salopes, assez bas pour qu’ils n’entendent pas, assez haut pour la galerie » (p. 137). Le mépris pour les filles est de rigueur : « on m’apprit que les filles étaient des êtres inférieurs qu’on avait pour devoir, pour mission même, de foutre à poil, de tripoter et d’« enculer » (p. 138). Amour impossible pour une fille « plate comme une limande » (p. 140).
 Suite à un mensonge, rupture de confiance avec sa mère : « J’apprenais à parler, à penser cadavre […] tu devenais toi-même une sorte de mère cadavre » (p. 147).
 Beau passage sur la maîtrise de l’art du jardinage par son père : « Bientôt du néant surgissaient des trésors » (p. 244 sq.).
 Un poème / slam sur la mort, où il se réjouit de ne pas mourir le premier : « Pourvu que ce soit toi mon amour » […] avec évocations érotiques : « Je me branlerai sur tes slips »… (p. 294).
 Autre poème sur « LES DENTS » : « Ma bouche est comme une plaie curée à vif, / le ventre raclé d’une avortée, / un sexe toujours ouvert et démusclé » (p. 350).
 À la mort de sa mère : « Après notre mort, notre corps devient des gaz ! Autrement dit, nous sommes condamnés à devenir une sorte de pet » (p. 535).

Le théâtre

 Sa toute première expérience, enfant : « On annonça en plein cours que je jouerais la Poissonnière, parce que j’étais celui de la classe qui ressemblait le plus à une fille. Cela souleva, bien sur, des tempêtes de ricanements agressifs » (p. 110). Cela se termine par un triomphe (p. 114).
 Deuxième triomphe, avec les Stances du Cid, à 16 ans (p. 124).
 Critique au vitriol d’une pièce de Michel Deutsch, mise en scène par Dominique Müller : « sinistres sires prétendant à l’art de la scène » (p. 35) ; deuxième salve p. 213 contre les mêmes « théâtreux verbeux qui brandissent Brecht, Marx, Mao et Meyerhold en petits opuscules qu’ils secouent de toutes leurs forces, en bons petits Chinois qu’ils sont ». D’ailleurs il avoue : « Nous qui faisons ce métier, il est étrange et paradoxal de voir à quel point le spectacle des autres nous emmerde ! » (p. 570).
 Trois passages sur Dom Juan de Molière, d’abord rêvé, puis mis en scène. À utiliser en textes complémentaires (« Texte et représentation », en classe de première) : p. 106 : « Je le vois tout sauf vieux et blasé », p. 159 et pp. 524 sq. : « il est évident […] que les deux thèmes essentiels sont le sexe et la politique » (p. 528).
 Fable allégorique sur « Ariane » (Mnouchkine), vue comme défricheuse, ouvreuse de clairières, d’éclaircies dans un monde sombre. Scène où elle accepte qu’il monte Dom Juan : p. 518.
 Savoureuse séance de « training physique » inspirée du « Living theater » : « il fallait chercher à faire sortir le son de son ventre, du dos, ou d’un pied […]. Je jure que je fus plusieurs fois persuadé de sentir ma fesse gauche pousser un cri guttural » (p. 444).
 Importance de la mémoire pour l’acteur : « je ne parle pas de la mémoire mécanique qui est une ficelle technique […]. Bien au contraire, pour moi qui n’ai pas une mémoire mécanique particulièrement développée, la difficulté où je suis de retenir certains textes m’oblige, pour parvenir à les mémoriser, à en saisir d’abord tout le sens, à associer une image, un souvenir, à chaque mot et donc, à les enrichir d’une espèce de terreau qui favorisera plus tard l’éclosion de ces graines que, poussé par la peur de ne pas me souvenir, je ne cesse d’y jeter » (p. 203 à 205).
 Profession de foi (p. 242) : « Mais d’abord que le public sente la présence d’un être humain qui lui parle de lui. Qu’il le fasse avec la plus grande intelligence, la plus grande générosité, le plus grand talent possible, certes, mais que ça reste simple, en rapport avec notre vie de tous les jours, grave, drôle et dégagé des conventions terrorisantes ».
 Il préfère « acteur » à « comédien » : « c’est comme tracteur, ou chiropracteur […] c’est plus beau, ça brille plus. Ça fait pauvre mais fier » (p. 576).
 Les dernières pages sont consacrées, à partir de ses premières improvisations (p. 663), à son projet de spectacle « joué par moi tout seul » ; « jouer le monde entier, avec soi au milieu » (p. 665). On commence à reconnaître le spectacle actuel à partir de l’impro sur Ariane, p. 735. Cela aboutit à « Mieux qu’un livre. Un livre vivant, qui bouge et qui respire. Un livre dont je suis à la fois les mots et les pages, le sujet et l’interprète » (p. 768).

Philippe Caubère Claudine

Le sexe

 Premier d’une série de rêves érotiques altersexuels : « Les queues durcissent dans les jeans serrés, et les chattes s’ouvrent sous les robes, comme des mangues fendues à coups de machettes » (p. 29).
 Festival onirique : nécro / uro / copro / zoophile, avec un âne mort (p. 67).
 Ondinisme, dans l’enfance et pendant son mariage : « Mon mariage, […] nos pisses délicieuses l’un sur l’autre, sont issus tout droit de l’enfance » (p. 121). Érotisme sadique sur les photos de camps de concentration (p. 122). « La sexualité commençait à m’apparaître en pleine lumière, terrorisante, incompréhensible, interdite » (p. 124).
 Comment il apprend, en deux étapes, à se masturber : « acculé à cette forme d’amour par une morale qui m’interdisait tout contact sexuel, et par une terreur exercée par tous : père, mère, surveillants généraux, directeurs de maisons d’enfants, proviseurs, maîtresses, monitrices, et, au bout du compte, moi-même » (p. 157). « Je passais par tous les phantasmes, des plus homos aux plus hétéros, des plus sadiques aux plus masochistes, des plus sales aux plus compliqués (p. 158).
 Et voilà ces fantasmes homos : « À genoux dans la terre, le nez fiché en plein champignons, il me tendra son cul et j’irai dans sa merde […]. Ma queue à femmes, j’irai la lui mettre, la lui fourrer, à cet homme-là, et lui déclencher au fond des tripes de terribles douleurs » (p. 184). « Je ne pensais qu’aux femmes ou plutôt qu’aux vulves, mais parfois des bites excitantes et des culs velus traversaient mon univers mental […]. Je prenais les bites dans ma bouche et les suçais bien à fond, jusqu’au bout, sans complexe, tétant leur foutre divin […] » (p. 256).
 Le lien est fait entre masturbation et échec scolaire. Comment la masturbation lui fait haïr ses parents, qui tentent de le dissuader par les arguments à la mode de l’époque (ça mène à l’impuissance…) : « Tout ce qui me tombait sous la main, journaux, publicités, romans qui, de près ou de loin, évoquait le coït m’accompagnait dans des branlettes d’une sauvagerie incroyable » (p. 254). Cela l’amène à un déchaînement fantasmatique : « mes phantasmes m’avaient déjà amené si loin que si une femme m’était tombée sous la main, je crois bien que je l’aurais étripée dans l’espoir d’en tirer toute la volupté possible […] Je m’arrachais la queue en imaginant que je plongeais dans cette viande chaude, que je m’en pourléchais, que je m’y vautrais nu, que j’y larguais mon sperme, ma pisse, me répandais par litres dans ce creuset mou et brûlant » (p. 255).
 Fiasco de sa première tentative de dépucelage : malgré « [s]a bite, après neuf ans de branlettes sauvages […] dure, très dure » (p. 447), il est persuadé d’être impuissant comme a prédit son père. Puis, possédant tour à tour deux femmes, il considère la première comme « femme-femme », la seconde comme « femme-homme, celle avec qui l’on se branle, avec qui on fait des choses sales », qui « me renvoyait à mon désir informulé d’homosexualité ou tout au moins, à mon désir inconscient d’être une femme » (p. 449).
 Longue série d’évocations pas vraiment politiquement correctes de prostituées : « la putain me branle, me suce et me tâte les couilles plus ou moins habilement, suivant que c’est une femme ou que c’est un homme déguisé en femme. […] Est-ce là, le vice ? » (p. 183). Voir aussi « RUE SAINT-DENIS », p. 362, et « BOIS DE VINCENNES », p. 393 : « Elles prennent / la purée dans la bouche, / la recrachent et se rincent / la gueule à l’alcool ».
 Même chose pour le cinéma porno : « Le ballet mécanique mais toujours surprenant, toujours amusant (au contraire de ce qu’il est convenu d’en dire), des sexes les uns dans les autres » (p. 529).
 « Prends la purée de mes reins qui me quitte par accès comme si je toussais des couilles » (p. 403).
 Un savoureux « DIALOGUE OBSCENE » : « Je te salue, con fangeux, obscure alvéole, entrée velue […] Tu restes toujours un peu ouvert, comme si, de jour comme de nuit, un doigt gardait un rideau entrouvert et qu’en toi une espèce d’œil guettait » (p. 414) / « peut-être que je suis ouverte, mais toi tu es fermé […] ce que tu me brandis sous le nez […] n’est qu’un bout d’intestin qui te sort des poils » (p.416). Le premier extrait est à rapprocher de celui sur le théâtre déjà cité ci-dessus : « Parfois, du doigt, j’entrouvre le rideau » (p. 555).

Voilà, en souhaitant que ces quelques en-cas vous allèchent…

Lionel Labosse


Voir en ligne : Site de Philippe Caubère


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[1Dans le même genre (sexe, théâtre et politique), il y a l’immense Au plus noir de la nuit d’André Brink.