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Critique musicale altersexuelle

Les concertos brandebourgeois de Jean-Sébastien Bach

Par l’ensemble Prometheus 21, le 13/12/2010

dimanche 15 mai 2011

Moi qui suis au choix un branque, un naze, une truffe en musique, m’autoriserez-vous une critique musicale qui devrait à l’œil plus qu’à l’oreille ? Et après tout, les aveugles vont bien au cinéma ! J’entends sur France Musique dimanche que l’intégrale des 6 concertos brandebourgeois serait jouée lundi 13 décembre 2010 aux Bouffes du Nord, à deux pas de chez moi, par l’ensemble Prometheus 21 (diffusion sur France Musique à 12h30 les 5, 6 et 7 janvier 2011). J’y vais, je prends mon pied, et je me dis soudain que j’ai torché des tripotées de critiques littéraires, une poignée de cinématographiques, mais aucune musicale… Voici donc une première mondiale : la première critique musicale altersexuelle de l’histoire de l’humanité ! (et aussi une dernière mondiale, promis, juré, je le ferai plus !)

Moi qui suis au choix un branque, un naze, une truffe en musique, m’autoriserez-vous une critique musicale qui devrait à l’œil plus qu’à l’oreille ? Et après tout, les aveugles vont bien au cinéma ! J’entends sur France Musique dimanche que l’intégrale des 6 concertos brandebourgeois serait jouée lundi 13 décembre 2010 aux Bouffes du Nord, à deux pas de chez moi, par l’ensemble Prometheus 21. J’y vais, je prends mon pied, et je me dis soudain que j’ai torché des tripotées de critiques littéraires, une poignée de cinématographiques, mais aucune musicale… Voici donc une première mondiale : la première critique musicale altersexuelle de l’histoire de l’humanité ! (et aussi une dernière mondiale, promis, juré, je le ferai plus !) L’enregistrement de ce concert a été diffusé sur France Musique à 12h30 les 6 et 7 janvier 2011, dans l’émission « Concert de midi et demi » de Judith Chaîne. Attention, en cliquant sur ce lien Internet d’un service public, vous subirez une publicité pour une chaîne de fast-food ou autre (ça change et ça clignote tout le temps). Tout va à vau l’eau, ma bonne dame ! Il n’y a plus guère que sur Altersexualite.com que l’on ne subit aucune pub, et pour m’en remercier, un lecteur sur 50000 achète un de mes livres… Merci à tous ! Il avait été annoncé que ce concert serait diffusé sur 3 jours, du 5 au 7, mais finalement, cela s’est fait sur deux jours, sans le n°1, sur choix des musiciens selon la présentatrice.

Je propose de m’accompagner à des amis qui crèchent non loin, mais ils sont pris, les bougres, soi-disant pour le baptême d’une petite rebeue. Je dis baptême, mais je me comprends, enfin quoi, grailler, pendant que la culture braille à deux pas, a-t-on idée ? Bon, la copine, palestinienne, va encore m’engueuler, parce que j’ai écrit « rebeue ». Elle déteste, mais moi j’aime ce mot, qu’y puis-je ? Quand elle s’énerve, je sors mon arme secrète, je la traite d’agent du Mossad ! C’est quoi ce délire ? Revenons à nos moutons bachiques, les bergers ne sont pas loin. Or donc, galvanisé par une journée de cours plutôt positive, pendant laquelle j’ai essayé un sujet de bac gonflé dont je m’illusionne, ne l’ayant pas encore corrigé, qu’il a donné satisfaction, je tente ma chance pour ce prometteur Prometheus. Selon Internet, il restait des places au balcon. J’arrive dix minutes avant la représentation, m’attendant à trouver des grappes de mélomanes prêts à revendre une place laissée vacante par quelque enrhumé. Mais je ne vois rien et m’inquiète auprès du caissier. Vous reste-t-il une place, par hasard ? Mais bien sûr. 23 €. Je regarde le billet à tarif unique, et au lieu de « amphithéâtre », apparaît le mot magique : « parterre ». Un fort joli garçon, deux noires luisant dans les orbites, la moustache en croche et les sourcils comme des soupirs, m’installe au 2e rang. Cinq personnes se serrent sur un banc au confort fruste où n’auraient pas tenu trois Américains. Le concert commence, avec l’annonce du bouleversement du programme, interversion du 5e et du 3e concertos, de part et d’autre de l’entracte, pour que le clavecin, soliste du 5, puisse être installé plus commodément au centre de la scène. Après l’entracte, l’un des co-chefs signale une autre erreur du programme, l’oubli des deux flûtistes. Flûte ! Quel couac ! Il les nomme, et l’un des deux s’installera à ses côtés, devant le clavecin, pour ce concerto à trois solistes. Hélas, lorsque arrive le grand moment du solo de clavecin – tunnel unique en son genre parmi les 6 brandebourgeois – le co-chef et soliste s’écarte sur le côté, mais, balourd, le flûtiste oublié se venge en demeurant planté en plein milieu, devant la frêle claveciniste. C’est là que votre serviteur s’extasie : non seulement il a une place au parterre, deuxième rang, mais légèrement du côté gauche, et le balourd flûtiste ne l’empêche pas d’admirer la finesse nippone du martèlement du solo de clavier. Ceux qui avaient leur place au milieu ont dû planter des épingles dans une poupée vaudoue de flûtiste !

Le concerto n° 2 qui ouvrait le concert présente la forme orchestrale la plus vaste, avec le 1 qui le closait, permettant aux 21 instrumentistes de se réunir sur scène. 21 musiciens – pointures – pour 23 euros, et vive le mécénat ! Je reviens donc au n°2. Le programme aguiche avec une « trompette dont la partie dans le registre suraigu est vertigineuse », mais en guise de trompette, un cor, et de vertige, point d’autre qu’un corniste à bouc point trop laid, qui passe son temps à vidanger la salive de la tuyauterie de son instrument pendant que ses camarades meublent le concerto. C’est tout le plaisir de VOIR un concert pour les ignares que nous sommes ; on en apprend en tous sens. Mais même si je suis une truffe, je ne prends pas encore des cors pour des trompettes ; est-ce le programme qui est erroné, le trompettiste était-il enrhumé, ou bien s’agit-il d’une version alternative connue des seuls puristes, qui fasse se rhabiller Maurice André ? Le programme indique « instruments d’époque », mais signale un certain « David Guerrier » à la trompette et au cor… Je suppose donc que cette version, plus fruste, serait la bonne. N’empêche, je n’ai pas retrouvé les bêlements bréliens auxquels je suis habitué… Le 6e concerto permet ensuite à mon ignorance de découvrir les instruments aristocratiques et baroques anciens que sont la viole de gambe et ce que le programme appelle « continuo », qui est en réalité une violone, en l’occurrence une espèce de contrebasse plus petite et sans pied, qui se joue comme la viole en tenant l’archet par-dessous, d’un air nonchalant et aristocratique, et non par-dessus, telle une pauvresse essayant de maintenir dans les plis de sa robe les marrons et les noix glanés sur le chemin du château. Mes oreilles de bûcheron n’ont pas saisi la spécificité de cet instrument. J’ai pu comprendre par l’œil que « viole de gambe » signifie « de jambe », parce qu’elle s’y cale amoureusement, comme un enfant, ou un amoureux au coin du feu.

Le programme proclame que ce n° 6 « se conclut sur une gigue au dynamisme irrésistible », à laquelle pourtant a résisté mon esgourde ensablée. J’admire au passage le ballet muet des appariteurs, qui dans la pénombre entre les concertos, changent la place des pupitres, évacuent ou véhiculent les sièges, y compris trois sièges superposés qui rehaussent à hauteur idoine l’artiste à la bizarre violine. Ils sont trois, parfois accompagnés de deux musiciens pour le changement le plus ardu, ne se percutent pas, n’hésitent pas et enchaînent leurs gestes précis comme une chorégraphie classique et non baroque. Quelle école de rigueur que la musique ! Entre le 5 et le 4, il faut, sous les yeux des spectateurs, repositionner le clavecin, superbe instrument orné d’une nature morte avec putti, à sa place modeste d’accompagnateur. Qu’à cela ne tienne, deux fins athlètes vous empoignent cette masse délicate et pesante comme ils feraient d’une coryphée, un à chaque bout, et sans hésitation, non pas vous le tirent, mais le soulèvent, le déplacent et le reposent au bon endroit marqué d’un ruban. Combien ça peut peser, un clavecin ?

Au reste, je me suis toujours étonné qu’on nomme « baroque » la musique dite pourtant classique du XVIIIe siècle (ces brandebourgeois datent de 1720 ; Bach a composé entre 1700 et 1750, date de sa mort). En effet, la même année paraissait Les lettres persanes, et Montesquieu, en littérature, ce n’est pas le baroque, ni le mouvement qui le suit, le classicisme, mais les Lumières ! J’ai du mal à m’imaginer Montesquieu et Rousseau (qui pourtant fut aussi musicien) s’extasiant sur des violes de gambe et des clavecins ; j’ai du mal à m’imaginer ce fossé entre Bach et Mozart, que six années à peine séparent. Ces frontières entre mouvements culturels sont plus arbitraires en tout cas que celles qui séparent les mouvements d’un concerto. Il est vrai que notre oreille est habituée à entendre ces musiques transcrites pour instruments modernes, et notre moderne « piano » sur lequel on nous joue Mozart, Beethoven et pourquoi pas Bach, Bach n’en connut l’ancêtre « piano-forte » que quelques années avant sa mort, et Beethoven n’en connut pas même toutes les octaves. C’est ainsi que nos Lumières nous paraissent plus lumineux qu’ils ne sont, alors que si l’on appliquait en littérature les mêmes frontières qu’en musique, Cyrano de Bergerac nous semblerait sur la même planète que Swift et le Voltaire de Micromégas. N’est-ce pas finalement un simple progrès technique, le passage du clavecin au piano, donc du seul staccato à la possibilité du legato, qui conditionne le passage du baroque aux Lumières, en musique, sans passer par la prétendue période « classique » qu’a connue la littérature ? Quand on y regarde de plus près, Dom Juan, Racine et La Fontaine sont plus baroques qu’on ne le prétend, comme l’a montré naguère Eugène Green et son Théâtre de la Sapience, avec leur travail sur la déclamation baroque.

Où en étions-nous ? Le n°3, d’une sobre élégance, avec son alignement crescendo, pour l’œil et pour l’oreille, de trois violons, trois altos et trois violoncelles, plus le fameux « continuo » qui défie la finesse de mon ouïe. Ce qu’il y a de bien quand on est assis au concert, au 2e rang de l’orchestre d’une salle intimiste et popu comme les Bouffes du Nord, c’est qu’on voit tout, qu’on peut saisir la logique d’une orchestration sans qu’un réalisateur plan-plan ne vous castre l’orchestre d’un gros plan frustrant. Les regards amoureux ou inquiets de Raphaël Pidoux, élégant quadragénaire à la crinière grise, qui guette constamment son complice co-directeur, Jean-Marc Phillips-Varjabedian, tandis que les notes virevoltent telles des alouettes, de cour en jardin, de violoncelles en violons, arbitrées par le continuo…
Après l’entracte, c’est donc le 5, avec cet incroyable solo de clavecin. Le premier concerto pour clavier et orchestre de l’histoire de la musique. Passons sur le balourd flûtiste, qui n’a pas démérité, non moins que le virtuose violoniste-chef. Anecdote savoureuse, il a fallu envoyer un musicien chercher la claveciniste, Kei Ueyama, qui s’était trop décontractée pendant l’entracte, avant cette épreuve. Le concerto n°4 nous permet d’apprécier derechef notre flûtiste préféré, à la flûte à bec, épaulé d’un confrère auquel il ne parvient pas à voler la vedette, étant côté à côte ! La flûte, c’est donc un concerto « pastoral » ; on s’attend à voir débouler Sancho Pança, partageant la pitance d’un généreux berger. De bergères, je n’en vois point, mais je suis partial sans doute. À côté du flûtiste, c’est maintenant le violoncelliste-chef qui en tire une tronche : il n’a point le beau rôle, juste quelques coups d’archet cachectiques, tandis que le mastard à la contrebasse épie et copie ses gestes derrière lui, sans qu’il puisse se retourner pour le foudroyer du regard. On clôt en miroir (par rapport à l’ouverture sur le n° 2) et en fanfare sur le n°1, trois hautbois pour le prix d’un, plus un beau basson d’époque en bois clair ornementé, joué par un beau jeune blond pulpeux qui s’éclate enfin dans cette kermesse des instruments à vents, un peu comme un cycliste en danseuse donnant ses derniers coups de pédale au Tourmalet. Les mimiques inspirées des musiciens classiques sont impayables, mais quoi, ça danse, cette musique !

Tout le monde salue, il n’y a pas de bis malgré l’enthousiasme du public, qui n’a sans doute pas souvent l’occasion d’avaler d’un coup, et dans d’aussi belles conditions, les 6 concertos. Difficile d’imaginer un bis, surtout après un concert aussi long (2h30), et aussi bon marché, par une telle brochette de musiciens de haut niveau, fondus dans l’anonymat d’un orchestre épisodique.

Le programme des Bouffes signale, fin février prochain, l’immense Gustav Leonhardt dans un concert de clavecin solo, toujours pour le même prix (mais à partager en un !). Immense, dis-je, car cet octogénaire qui enregistrait déjà au début des années 1950, était un nom gravé dans le marbre de mon adolescence mélomane amateure. Le disque, je me rappelle, un double album dans un coffret rose (à moins que marron ?), je me le passais en boucle, rêvant de percer le mystère pour moi opaque de la musique. Immense, il est, donc, puisque de l’enfance, comme immense fut et demeure le pré de derrière la maison de ma grand-mère que je ne franchissais pas sans bottes et au fond duquel les coucous fleurissaient comme fleurirent les fougères peu après le Big Bang. Hélas, le jardin de grand-mère a rétréci comme mon enfance a rétréci, mais le grand Gustav Leonhardt, a-t-il rétréci ? C’est ce que je tâcherai de vérifier le 28 février 2011 ! En parlant de Leonhardt, ne trouve-t-on pas, à côté de sa version de l’infernale cadence du 5, une version par Glenn Gould, au piano ? N’est-ce pas la réponse à mon interrogation sur la trompette de tout à l’heure ? Bach, on s’en arrange comme on peut. N’est pas Beckett qui veut, Beckett qui interdisait que l’on changeât une virgule à la poussière de ses mises en scène des années 50 !

Ayant séjourné à la campagne, je retrouve ledit disque, sous coffret rose et non marron, laissé chez papa, maman, qui ont encore un phono. Eh bien, cet enregistrement sur instruments d’époque de 1976, une référence, fait entendre une trompette au registre suraigu, ma mémoire ne me trompait point. Et la gigue est bien dansante, et le « continuo » s’entend parfaitement, miracle de la prise de son ! À noter que les instruments d’époque datent pour la plupart du XVIIIe, mais qu’il y a une « violine » de 1570 ! D’autres sont crédités du XXe, ce sont des réfections. Cela me rappelle ce paradoxe, on va dire héraclitéen : si sur un violon d’origine de grande facture, on change au fil des siècles progressivement toutes les pièces sans exception, cet instrument est-il toujours signé de son facteur et de son siècle ? Bref, je réécouterai le concert enregistré, pour tâcher de comprendre si mon oreille a été trompée par mes yeux, ou si la captation sonore du concert s’est faite au détriment de l’audition sur place ?
Effectivement, j’ai bien retrouvé, à l’audition de l’enregistrement sur France Musique, la gigue perdue et la trompette suraiguë. Étais-je trop concentré sur la vue, pas assez sur l’ouïe ? L’enregistrement était à mon avis imparfait en ce qui concerne les vents, inaudibles au fond de l’orchestre (sauf les solistes), d’où, peut-être, la décision de ne pas diffuser le concerto n°1 ? L’émission m’a frustré : j’avais l’impression d’écouter un disque. L’œuvre a été présentée, certes, mais pas cette interprétation précise. Les deux chefs ont été nommés certes, mais c’est à peine si les autres solistes l’ont été, du bout des lèvres ! Quel dommage que ce concert unique n’ait pas donné lieu à une interview des instrumentistes. J’airais aimé qu’ils s’expriment sur leurs instruments d’époque, sur la difficulté de travailler une œuvre et un instrument pour un concert unique, que l’on demande leur avis aux spectateurs… Il est vrai que cette station est perpétuellement accusée de céder au « blabla », comme s’il n’existait pas des robinets à musique, comme FIP ou Radio Classique… il est difficile de contenter tout le monde et son père !

Merci, mes amis, d’être arrivés à la coda, je ne vous le ferai plus, je retourne à mes bouquins !

Je propose de m’accompagner à des amis qui crèchent non loin, mais ils sont pris, les bougres, soi-disant pour le baptême d’une petite rebeue. Je dis baptême, mais je me comprends, enfin quoi, grailler, pendant que la culture braille à deux pas, a-t-on idée ? Bon, la copine, palestinienne, va encore m’engueuler, parce que j’ai écrit « rebeue ». Elle déteste, mais moi j’aime ce mot, qu’y puis-je ? Quand elle s’énerve, je sors mon arme secrète, je la traite d’agent du Mossad ! C’est quoi ce délire ? Revenons à nos moutons bachiques, les bergers ne sont pas loin. Or donc, galvanisé par une journée de cours plutôt positive, pendant laquelle j’ai essayé un sujet de bac gonflé dont je m’illusionne, ne l’ayant pas encore corrigé, qu’il a donné satisfaction, je tente ma chance pour ce prometteur Prometheus. Selon Internet, il restait des places au balcon. J’arrive dix minutes avant la représentation, m’attendant à trouver des grappes de mélomanes prêts à revendre une place laissée vacante par quelque enrhumé. Mais je ne vois rien et m’inquiète auprès du caissier. Vous reste-t-il une place, par hasard ? Mais bien sûr. 23 €. Je regarde le billet à tarif unique, et au lieu de « amphithéâtre », apparaît le mot magique : « parterre ». Un fort joli garçon, deux noires luisant dans les orbites, la moustache en croche et les sourcils comme des soupirs, m’installe au 2e rang. Cinq personnes se serrent sur un banc au confort fruste où n’auraient pas tenu trois Américains. Le concert commence, avec l’annonce du bouleversement du programme, interversion du 5e et du 3e concertos, de part et d’autre de l’entracte, pour que le clavecin, soliste du 5, puisse être installé plus commodément au centre de la scène. Après l’entracte, l’un des co-chefs signale une autre erreur du programme, l’oubli des deux flûtistes. Flûte ! Quel couac ! Il les nomme, et l’un des deux s’installera à ses côtés, devant le clavecin, pour ce concerto à trois solistes. Hélas, lorsque arrive le grand moment du solo de clavecin – tunnel unique en son genre parmi les 6 brandebourgeois – le co-chef et soliste s’écarte sur le côté, mais, balourd, le flûtiste oublié se venge en demeurant planté en plein milieu, devant la frêle claveciniste. C’est là que votre serviteur s’extasie : non seulement il a une place au parterre, deuxième rang, mais légèrement du côté gauche, et le balourd flûtiste ne l’empêche pas d’admirer la finesse nippone du martèlement du solo de clavier. Ceux qui avaient leur place au milieu ont dû planter des épingles dans une poupée vaudoue de flûtiste !

Le concerto n° 2 qui ouvrait le concert présente la forme orchestrale la plus vaste, avec le 1 qui le closait, permettant aux 21 instrumentistes de se réunir sur scène. 21 musiciens – pointures – pour 23 euros, et vive le mécénat ! Je reviens donc au n°2. Le programme aguiche avec une « trompette dont la partie dans le registre suraigu est vertigineuse », mais en guise de trompette, un cor, et de vertige, point d’autre qu’un corniste à bouc point trop laid, qui passe son temps à vidanger la salive de la tuyauterie de son instrument pendant que ses camarades meublent le concerto. C’est tout le plaisir de VOIR un concert pour les ignares que nous sommes ; on en apprend en tous sens. Mais même si je suis une truffe, je ne prends pas encore des cors pour des trompettes ; est-ce le programme qui est erroné, le trompettiste était-il enrhumé, ou bien s’agit-il d’une version alternative connue des seuls puristes, qui fasse se rhabiller Maurice André ? Le programme indique « instruments d’époque », mais signale un certain « David Guerrier » à la trompette et au cor… Je suppose donc que cette version, plus fruste, serait la bonne. N’empêche, je n’ai pas retrouvé les bêlements bréliens auxquels je suis habitué… Le 6e concerto permet ensuite à mon ignorance de découvrir les instruments aristocratiques et baroques anciens que sont la viole de gambe et ce que le programme appelle « continuo », qui est en réalité une violone, en l’occurrence une espèce de contrebasse plus petite et sans pied, qui se joue comme la viole en tenant l’archet par-dessous, d’un air nonchalant et aristocratique, et non par-dessus, telle une pauvresse essayant de maintenir dans les plis de sa robe les marrons et les noix glanés sur le chemin du château. Mes oreilles de bûcheron n’ont pas saisi la spécificité de cet instrument. J’ai pu comprendre par l’œil que « viole de gambe » signifie « de jambe », parce qu’elle s’y cale amoureusement, comme un enfant, ou un amoureux au coin du feu.

Le programme proclame que ce n° 6 « se conclut sur une gigue au dynamisme irrésistible », à laquelle pourtant a résisté mon esgourde ensablée. J’admire au passage le ballet muet des appariteurs, qui dans la pénombre entre les concertos, changent la place des pupitres, évacuent ou véhiculent les sièges, y compris trois sièges superposés qui rehaussent à hauteur idoine l’artiste à la bizarre violine. Ils sont trois, parfois accompagnés de deux musiciens pour le changement le plus ardu, ne se percutent pas, n’hésitent pas et enchaînent leurs gestes précis comme une chorégraphie classique et non baroque. Quelle école de rigueur que la musique ! Entre le 5 et le 4, il faut, sous les yeux des spectateurs, repositionner le clavecin, superbe instrument orné d’une nature morte avec putti, à sa place modeste d’accompagnateur. Qu’à cela ne tienne, deux fins athlètes vous empoignent cette masse délicate et pesante comme ils feraient d’une coryphée, un à chaque bout, et sans hésitation, non pas vous le tirent, mais le soulèvent, le déplacent et le reposent au bon endroit marqué d’un ruban. Combien ça peut peser, un clavecin ?

Au reste, je me suis toujours étonné qu’on nomme « baroque » la musique dite pourtant classique du XVIIIe siècle (ces brandebourgeois datent de 1720 ; Bach a composé entre 1700 et 1750, date de sa mort). En effet, la même année paraissait Les lettres persanes, et Montesquieu, en littérature, ce n’est pas le baroque, ni le mouvement qui le suit, le classicisme, mais les Lumières ! J’ai du mal à m’imaginer Montesquieu et Rousseau (qui pourtant fut aussi musicien) s’extasiant sur des violes de gambe et des clavecins ; j’ai du mal à m’imaginer ce fossé entre Bach et Mozart, que six années à peine séparent. Ces frontières entre mouvements culturels sont plus arbitraires en tout cas que celles qui séparent les mouvements d’un concerto. Il est vrai que notre oreille est habituée à entendre ces musiques transcrites pour instruments modernes, et notre moderne « piano » sur lequel on nous joue Mozart, Beethoven et pourquoi pas Bach, Bach n’en connut l’ancêtre « piano-forte » que quelques années avant sa mort, et Beethoven n’en connut pas même toutes les octaves. C’est ainsi que nos Lumières nous paraissent plus lumineux qu’ils ne sont, alors que si l’on appliquait en littérature les mêmes frontières qu’en musique, Cyrano de Bergerac nous semblerait sur la même planète que Swift et le Voltaire de Micromégas. N’est-ce pas finalement un simple progrès technique, le passage du clavecin au piano, donc du seul staccato à la possibilité du legato, qui conditionne le passage du baroque aux Lumières, en musique, sans passer par la prétendue période « classique » qu’a connue la littérature ? Quand on y regarde de plus près, Dom Juan, Racine et La Fontaine sont plus baroques qu’on ne le prétend, comme l’a montré naguère Eugène Green et son Théâtre de la Sapience, avec leur travail sur la déclamation baroque.

Où en étions-nous ? Le n°3, d’une sobre élégance, avec son alignement crescendo, pour l’œil et pour l’oreille, de trois violons, trois altos et trois violoncelles, plus le fameux « continuo » qui défie la finesse de mon ouïe. Ce qu’il y a de bien quand on est assis au concert, au 2e rang de l’orchestre d’une salle intimiste et popu comme les Bouffes du Nord, c’est qu’on voit tout, qu’on peut saisir la logique d’une orchestration sans qu’un réalisateur plan-plan ne vous castre l’orchestre d’un gros plan frustrant. Les regards amoureux ou inquiets de Raphaël Pidoux, élégant quadragénaire à la crinière grise, qui guette constamment son complice co-directeur, Jean-Marc Phillips-Varjabedian, tandis que les notes virevoltent telles des alouettes, de cour en jardin, de violoncelles en violons, arbitrées par le continuo…
Après l’entracte, c’est donc le 5, avec cet incroyable solo de clavecin. Le premier concerto pour clavier et orchestre de l’histoire de la musique. Passons sur le balourd flûtiste, qui n’a pas démérité, non moins que le virtuose violoniste-chef. Anecdote savoureuse, il a fallu envoyer un musicien chercher la claveciniste, Kei Ueyama, qui s’était trop décontractée pendant l’entracte, avant cette épreuve. Le concerto n°4 nous permet d’apprécier derechef notre flûtiste préféré, à la flûte à bec, épaulé d’un confrère auquel il ne parvient pas à voler la vedette, étant côté à côte ! La flûte, c’est donc un concerto « pastoral » ; on s’attend à voir débouler Sancho Pança, partageant la pitance d’un généreux berger. De bergères, je n’en vois point, mais je suis partial sans doute. À côté du flûtiste, c’est maintenant le violoncelliste-chef qui en tire une tronche : il n’a point le beau rôle, juste quelques coups d’archet cachectiques, tandis que le mastard à la contrebasse épie et copie ses gestes derrière lui, sans qu’il puisse se retourner pour le foudroyer du regard. On clôt en miroir (par rapport à l’ouverture sur le n° 2) et en fanfare sur le n°1, trois hautbois pour le prix d’un, plus un beau basson d’époque en bois clair ornementé, joué par un beau jeune blond pulpeux qui s’éclate enfin dans cette kermesse des instruments à vents, un peu comme un cycliste en danseuse donnant ses derniers coups de pédale au Tourmalet. Les mimiques inspirées des musiciens classiques sont impayables, mais quoi, ça danse, cette musique !

Tout le monde salue, il n’y a pas de bis malgré l’enthousiasme du public, qui n’a sans doute pas souvent l’occasion d’avaler d’un coup, et dans d’aussi belles conditions, les 6 concertos. Difficile d’imaginer un bis, surtout après un concert aussi long (2h30), et aussi bon marché, par une telle brochette de musiciens de haut niveau, fondus dans l’anonymat d’un orchestre épisodique.

Le programme des Bouffes signale, fin février prochain, l’immense Gustav Leonhardt dans un concert de clavecin solo, toujours pour le même prix (mais à partager en un !). Immense, dis-je, car cet octogénaire qui enregistrait déjà au début des années 1950, était un nom gravé dans le marbre de mon adolescence mélomane amateure. Le disque, je me rappelle, un double album dans un coffret rose (à moins que marron ?), je me le passais en boucle, rêvant de percer le mystère pour moi opaque de la musique. Immense, il est, donc, puisque de l’enfance, comme immense fut et demeure le pré de derrière la maison de ma grand-mère que je ne franchissais pas sans bottes et au fond duquel les coucous fleurissaient comme fleurirent les fougères peu après le Big Bang. Hélas, le jardin de grand-mère a rétréci comme mon enfance a rétréci, mais le grand Gustav Leonhardt, a-t-il rétréci ? C’est ce que je tâcherai de vérifier le 28 février 2011 ! En parlant de Leonhardt, ne trouve-t-on pas, à côté de sa version de l’infernale cadence du 5, une version par Glenn Gould, au piano ? N’est-ce pas la réponse à mon interrogation sur la trompette de tout à l’heure ? Bach, on s’en arrange comme on peut. N’est pas Beckett qui veut, Beckett qui interdisait que l’on changeât une virgule à la poussière de ses mises en scène des années 50 !

Ayant séjourné à la campagne, je retrouve ledit disque, sous coffret rose et non marron, laissé chez papa, maman, qui ont encore un phono. Eh bien, cet enregistrement sur instruments d’époque de 1976, une référence, fait entendre une trompette au registre suraigu, ma mémoire ne me trompait point. Et la gigue est bien dansante, et le « continuo » s’entend parfaitement, miracle de la prise de son ! À noter que les instruments d’époque datent pour la plupart du XVIIIe, mais qu’il y a une « violine » de 1570 ! D’autres sont crédités du XXe, ce sont des réfections. Cela me rappelle ce paradoxe, on va dire héraclitéen : si sur un violon d’origine de grande facture, on change au fil des siècles progressivement toutes les pièces sans exception, cet instrument est-il toujours signé de son facteur et de son siècle ? Bref, je réécouterai le concert enregistré, pour tâcher de comprendre si mon oreille a été trompée par mes yeux, ou si la captation sonore du concert s’est faite au détriment de l’audition sur place ?
Effectivement, j’ai bien retrouvé, à l’audition de l’enregistrement sur France Musique, la gigue perdue et la trompette suraiguë. Étais-je trop concentré sur la vue, pas assez sur l’ouïe ? L’enregistrement était à mon avis imparfait en ce qui concerne les vents, inaudibles au fond de l’orchestre (sauf les solistes), d’où, peut-être, la décision de ne pas diffuser le concerto n°1 ? L’émission m’a frustré : j’avais l’impression d’écouter un disque. L’œuvre a été présentée, certes, mais pas cette interprétation précise. Les deux chefs ont été nommés certes, mais c’est à peine si les autres solistes l’ont été, du bout des lèvres ! Quel dommage que ce concert unique n’ait pas donné lieu à une interview des instrumentistes. J’airais aimé qu’ils s’expriment sur leurs instruments d’époque, sur la difficulté de travailler une œuvre et un instrument pour un concert unique, que l’on demande leur avis aux spectateurs… Il est vrai que cette station est perpétuellement accusée de céder au « blabla », comme s’il n’existait pas des robinets à musique, comme FIP ou Radio Classique… il est difficile de contenter tout le monde et son père !

Merci, mes amis, d’être arrivés à la coda, je ne vous le ferai plus, je retourne à mes bouquins !

 Nouvelle première mondiale : voici une non-critique musicale sur un Concert-clystère, puis une première critique de disque, sur l’album La verVe et la Joie, de Nicolas Bacchus.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Diffusion de ce concert sur le site de France Musique


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En vignette, photo d’un tableau anonyme, chipée sans vergogne sur Wikicommons.