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Sans sermon ni bons sentiments

Entrevue de Maryvonne Rippert

Auteure de Différents

dimanche 22 avril 2007

J’ai voulu traiter de l’exclusion et du sentiment de solitude d’êtres qui se sentent en décalage. De ceux qui ne sont pas compris et dont le sort, selon les époques, peut devenir tragique. C’est pourquoi je traite non seulement de l’homosexualité mais de la marginalité des tziganes. Il se trouve que les homosexuels et les tziganes ont été persécutés pendant la dernière guerre, et que parfois ils étaient dans les mêmes camps, parias des parias…

 Lionel Labosse, pour altersexualite.com : merci d’avoir accepté de répondre à notre entrevue. Pouvez-vous répondre pour commencer à notre critique de votre ouvrage ?
 Le livre Différents est récent, je n’ai pas encore été critiquée, mais j’espère bien l’être très bientôt !

 Présentez-vous en quelques mots. Combien de livres avez-vous publié en littérature jeunesse / adultes ? Quels genres ?
 Je m’appelle Maryvonne Rippert, je suis auteur jeunesse depuis une dizaine d’années, j’écris de la fiction pour les enfants à partir de 7 ans, mais j’aime surtout m’adresser aux ados. D’habitude, j’écris du « fantastique ». Différents est mon premier roman psychologique.

 Que pouvez-vous nous dire au sujet de l’altersexualité de vos personnages ou de l’intrigue ?
 J’ai voulu traiter de l’exclusion et du sentiment de solitude d’êtres qui se sentent en décalage. De ceux qui ne sont pas compris et dont le sort, selon les époques, peut devenir tragique. C’est pourquoi je traite non seulement de l’homosexualité mais de la marginalité des tziganes. Il se trouve que les homosexuels et les tziganes ont été persécutés pendant la dernière guerre, et que parfois ils étaient dans les mêmes camps, parias des parias…

 À quelle classe d’âge votre livre s’adresse-t-il ? S’adresse-t-il plutôt aux écoliers, collégiens, lycéens ?
 Je dirai qu’il s’adresse aux jeunes à partir de la 4e, mais j’ai vu des enfants plus jeunes qui « accrochaient ».

 Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire un livre qui aborde — de près ou de loin — les questions altersexuelles ?
 J’ai voulu parler d’amitié, d’amitié entre êtres différents. Moi-même, à l’adolescence, j’ai eu des amis homos dont je n’ai compris que plus tard la souffrance et la solitude. Certains en sont morts. Ce livre leur est dédié, d’ailleurs. Beaucoup de filles ont de bons copains homos : l’enjeu séduction passe au second plan, et une vraie complicité se crée. C’est souvent par un bon copain homo qu’une fille comprend mieux les hommes, car cette amitié n’a rien à voir avec celle que l’on peut développer entre filles. Il y a un échange qui se crée, là, où chacun aborde sans tabou des sujets qui posent question.

 Accepteriez-vous qu’on qualifie votre livre de roman « gai » ? ou roman « LGBT » ? (etc.)
 Pas franchement. C’est surtout un bouquin humaniste.

 Votre position d’auteur, est-elle militante ? Vous inscrivez-vous dans la perspective de faire évoluer les mentalités, de banaliser l’altersexualité ? Préférez-vous raconter des histoires qui vous touchent et toucheront vos lecteurs ?
 Faire évoluer les mentalités : évidemment. Toute forme d’exclusion me révolte. Et bien sûr, comme tout auteur jeunesse, mon désir est de faire bouger mes jeunes lecteurs, sans sermon ni bons sentiments.

 Pensez-vous que l’on puisse aborder tous les thèmes en littérature jeunesse ? Qu’est-ce qui est selon vous tabou ?
 J’aimerais pouvoir aborder tous les thèmes qui me touchent en littérature jeunesse. Ce n’est pas malheureusement possible. Tout simplement parce que les éditeurs ont une idée parfois fausse de ce qui va intéresser ou pas le jeune lecteur. On a oublié qu’avant Harry Potter, les éditeurs n’auraient jamais cru que les histoires de sorciers pourraient plaire autant aux enfants passé la maternelle ! Selon moi, le tabou sur l’homosexualité est en train de tomber, mais d’autres demeurent : la religion et ses excès, la politique en dehors de ses extrêmes, et… la drogue, dans sa consommation quotidienne, ou comme élément du cadre de vie des adolescents.

 Si l’on parle d’amour doit-on aussi parler de sexualité et de passage à l’acte sexuel selon l’âge auquel on s’adresse ? Vous imposez-vous des limites ? Lesquelles ?
 Selon l’âge des héros, oui, bien sûr, il peut y avoir passage à l’acte. Cela dépend de l’histoire. Comme dans les films : il faut que la scène soit justifiée. J’ai un souci constant du lecteur, je ne veux pas l’égarer dans ce qui n’est pas le sujet de mon livre. Et puis, les scènes d’amour, je les écris comme une fille. C’est sûr qu’on n’a pas les mêmes mots pour exprimer le désir.

 Comment à votre avis peut-on parler d’amour en général et d’amour homosexuel en particulier ? Est-ce délicat ? Quelles sont les difficultés ?
 L’amour en littérature pour le lecteur est une projection de ses propres ressentis : il faut donner à voir, un peu, indiquer les sentiments, mais ne pas trop en dire, l’imaginaire du lecteur, si j’ose dire, remplira les vides ! N’étant pas moi-même homosexuelle, j’ai abordé le sujet vu par ma jeune héroïne, qui a un dur chemin d’amitié à parcourir pour comprendre Will son ami homosexuel. Elle parle donc en fille, ressent en fille. J’ai fait valider mon texte par un ami homo, car je ne voulais pas véhiculer malgré moi des stéréotypes. Mais encore une fois, mon sujet était avant tout « la différence » et les dégâts de l’incompréhension, de l’ostracisme et du racisme.

 Vous inspirez-vous d’autres auteurs ou de grandes figures du panthéon altersexuel ?
 Oh, vous savez, moi, j’ai mis un temps fou à l’adolescence à comprendre que Gide était homosexuel !

 Quelles sont vos références en littérature générale, en littérature jeunesse, ou dans votre domaine éditorial ?
 J’aime Albert Cohen, Camus, Fred Vargas, Terry Pratchett, Marie-Aude Murail, Louis Sachar, etc.

 Quelle est votre implication personnelle, la part d’autobiographie dans votre roman ?
 J’ai écrit ce livre en pensant à ces deux copains de lycée morts de ne pas avoir été acceptés. L’un à 25 ans, suicidé, et l’autre un peu plus tard. Il était adressé aussi à d’autres amis homosexuels qui bien heureusement sont vivants et je l’espère, heureux. Je me suis souvenu de mes questionnements de jeunes filles pour créer Agathe, ma jeune héroïne, ainsi que de l’observation de mes ados et de leurs copains.

 Évoquer l’altersexualité, cela vous renvoie-t-il à votre propre parcours ? À vos propres interrogations sur les désirs et la vie ? À une vision du monde et des relations humaines ?
 Bien sûr ! C’est pour cela que mon livre à un double thème : l’homosexualité, et les tziganes. La persécution des tziganes continue, je voulais alerter les jeunes sur ce scandale. De même qu’ils ont des jeunes homos dans leurs classes, il leur arrive aussi de côtoyer des jeunes tziganes, pas bien propres, misérables et tellement différents qu’ils ne passent pas inaperçus, eux…

 Quelles difficultés particulières avez-vous rencontrées dans l’écriture de votre livre ? Comment a-t-il été accueilli par les éditeurs, auprès de la presse (générale, spécialisée jeunesse, gaie et lesbienne), auprès du milieu scolaire ?
 Je voulais parler d’homosexualité, d’amitié et de la persécution des tziganes et des homos pendant la guerre et de nos jours. À un moment, j’ai été coincée pour relier tout ça. Je ne connaissais pas le monde tzigane, et je ne voulais pas dire de bêtises. Mon éditeur l’a pris avec enthousiasme. La presse parle peu des ouvrages jeunesse, le livre est sorti récemment, je ne suis pas encore critiquée.

 Selon vous, que doit apporter aux jeunes lecteurs le fait d’aborder une question altersexuelle ?
 Une ouverture d’esprit, le respect, une prise de conscience. Certains amis homosexuels regrettent que j’aie fait douter mon héros sur ses orientations (homo)sexuelles. Pourtant, tout le monde, selon les rencontres peut éprouver du désir pour telle ou telle personne. C’est humain. Je voulais surtout faire passer le message que quelle que soit son inclination, il ne fallait pas jouer avec les sentiments de l’autre.

 Quels sont vos projets ?
 Un livre sur les filles qui se voilent. Peut-être.

 À noter : Différents est lauréat du concours Narisomé édition 2007. Voir notre brève.

Propos recueillis par Lionel Labosse.


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