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Scoop Altersexualite.com : Marie-Aude Murail est transgenre !

Entrevue de Marie-Aude Murail par Emmanuel Ménard.

Auteure de Oh Boy ! et de Maïté Coiffure.

samedi 7 avril 2007

Cette entrevue recueillie par Emmanuel Ménard est extraite de son excellent ouvrage Parler d’homosexualité (Éditions de La Martinière, 2002). Merci aux auteurs et à l’éditeur pour nous avoir autorisés à la reprendre, en espérant que ces propos décoiffants vous donneront envie de dévorer d’autres romans de Marie-Aude Murail, par exemple Maïté Coiffure, Simple, et Vive la République !

J’ai écrit une soixantaine de romans, essentiellement en littérature jeunesse. Si Oh boy ! est le premier à aborder de front l’homosexualité, c’est un thème qui peut, entre les lignes, se lire dans la majeure partie de mes textes.

Dans Oh boy !, trois jeunes orphelins, dont un surdoué de 14 ans atteint de leucémie, se mettent en tête de se trouver une famille d’accueil en évitant surtout d’être séparés. Pour la juge des tutelles et l’assistante sociale, c’est le début d’un sacré casse-tête, puisqu’elles doivent trancher entre la demi-sœur des orphelins, pour le moins antipathique, et leur demi-frère, Barthélemy, nettement plus sympathique, mais résolument irresponsable. Et homosexuel, pour tout compliquer.

Ce roman connaît un franc succès, puisqu’il a été couronné de dix-neuf prix littéraires décernés par des jurys de jeunes lecteurs. J’ai toujours été attirée et intéressée par l’homosexualité : j’ai eu de nombreux amis homosexuels, j’ai moi-même eu des coups de foudre féminins. Depuis l’enfance, j’ai l’impression d’être un homme à l’intérieur d’un corps de femme, un homme qui aimerait les hommes puisqu’en fait ma libido me porte tout de même vers eux. Pendant plusieurs années, j’ai été très masculine dans mon habillement et mon comportement. Mais je me ressentais comme un homosexuel et pas comme son équivalent féminin. Mon premier livre, qui n’était pas de la littérature jeunesse, traitait de ce problème précis. Le fait d’écrire est en soi un acte militant. Alors bien sûr, pour moi, Oh boy ! est un roman totalement militant, en l’occurrence contre l’homophobie, notamment celle des jeunes qui affichent un rejet instinctif des homos de crainte d’être eux-mêmes « mal identifiés », et dont l’insulte favorite est de traiter quelqu’un de pédé.

Je suis régulièrement confrontée à mes lecteurs, j’interviens dans des classes chaque semaine à la demande d’enseignants. Sur les milliers de jeunes que j’ai eu l’occasion de rencontrer au sujet de Oh boy !, je ne me rappelle aucune réaction négative. Ah si, une seule réticence, celle d’une dame d’un certain âge qui m’a dit avoir regretté « la rechute du garçon à la fin ». J’ai cru qu’elle me parlait de Siméon, le leucémique. Mais non, il s’agissait de Bart qui, de fait, ne « guérit pas de son homosexualité » ! Pour être honnête, je sens que parfois les adultes sont troublés non par Bart, mais par le médecin cancérologue qui soigne Siméon et tombe amoureux de Bart. J’ai volontairement créé un homo respectable et respecté en contrepoint à Bart, instable et un peu « folle » (et je l’ai appelé Mauvoisin parce que mon voisin est peut-être homo mais je n’en sais rien). C’est ce personnage-là, à la fois référence et hors-norme, qui dérange. Les jeunes, eux, aiment carrément le personnage de Bart. Ils ont parfois joué devant moi ou filmé des sketches dans lesquels ils interprétaient Bart. Certains m’ont glissé un mot pour me dire qu’ils étaient « comme Bart ». L’un d’eux l’avait même indiqué dans sa fiche de lecture… Les enseignants m’ont d’ailleurs affirmé que Oh boy ! avait été bénéfique car il avait, selon leur expression, « libéré une parole ». L’homophobie que l’on peut prêter aux adolescents apparaît donc plus comme une question de méconnaissance ou d’imitation de ce qu’ils peuvent voir ou entendre autour d’eux que comme une attitude réfléchie ; par le dialogue, on peut la surmonter et la désamorcer.

Pour autant, Barthélemy n’est pas un personnage parfait. Pour moi, un roman jeunesse est forcément un roman d’apprentissage. Dans Oh boy !, c’était Barthélemy qui devait évoluer au cours du livre. Je ne voulais pas en faire un gentil garçon. Il est égoïste, cynique, immature. Mais j’adore ce personnage, je l’ai vu « grandir », j’en ai été amoureuse, comme d’ailleurs nombre de mes lectrices. Il m’arrive de relire le livre en ne regardant que les passages où il apparaît.

Il est vrai que les personnages homos sont rares en littérature jeunesse, et que souvent, quand il y en a, c’est de façon démonstrative ou compatissante. On leur colle le sida comme une excuse. Moi, comme je le dis parfois narquoisement, j’ai fait de Bart un personnage gai et positif… À bien y réfléchir, ce n’est pas l’homosexualité qui est au coeur du roman, mais le sentiment fraternel, l’attachement de Bart pour sa fratrie qui le métamorphose.

 Lire un texte passionnant de Marie-Aude Murail sur la façon dont elle conçoit la littérature jeunesse : Cibles mouvantes.


Voir en ligne : Le site de Marie-Aude Murail


© Editions de la Martinière, 2002.