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Disciple de Rodin & de Maillol
L’Installation de Gustav Vigeland à Oslo
Un sculpteur indissociable de sa ville
samedi 5 août 2023, par
Il y a une dizaine d’années peut-être, j’avais vu par hasard des photos de l’Installation de Vigeland, dans le Frognerparken à Oslo, ce qui avait attisé ma curiosité. J’avais dès lors inscrit la Norvège dans mes destinations prochaines. Cela a mis du temps, mais mon désir est comblé en complément d’un voyage organisé dans le Nord de la Norvège, que j’ai augmenté de deux nuits à Oslo, ce qui est trop court. La ville m’est sortie par les trous de nez pour des raisons que j’expliquerai dans l’article principal, mais en ce qui concerne Gustav Vigeland, je n’ai pas été déçu, et le pauvre est bien innocent des évolutions futures de la ville qu’il a marquée de son sceau autant que Mme Annie Dingo a marqué de son sot notre ville de Paris !
J’ai un faible pour les villes qui portent l’empreinte d’un artiste, que ce soit un urbaniste, un architecte ou un sculpteur. Pour l’instant j’en connais 4, Prague avec le sculpteur David Černý, Barcelone avec l’architecte Antoni Gaudi, et Paris, quand même, avec le préfet Georges Eugène Haussmann. Si vous en connaissez d’autres qui puissent entrer dans cette catégorie, je suis preneur ! L’emprunte de Vigeland semble plus circonscrite que celle des autres, car ses sculptures sont cantonnées au Frognerparken ; mais au-delà de ces sculptures, sa présence est palpable non seulement au nouveau Musée national de l’Art, de l’Architecture et du Design, où il jouxte son compatriote artiste le plus illustre, Edvard Munch, mais aussi dans toute la ville où sont disséminées des sculptures pour la plupart en bronze, marquées par son influence [1]. J’ajouterai une sorte d’hommage que j’avais remarqué en Islande l’an dernier (voir ma photo dans l’article), un monolithe plus modeste avec un entrelacement de parties de corps humains.
Il existe d’autres sculptures de Vigeland en Norvège en dehors de la capitale, mais semble-t-il nulle part ailleurs, même pas dans un pays scandinave. Il est vrai qu’un monolithe de 200 tonnes c’est quand même moins gonflé qu’un plug anal, et Paul McCarthy est un immense artiste révélateur de notre ère progressiste & du Paris écolo-bobo. C’est un exemple sans doute unique au monde d’ensemble sculptural dû à un seul artiste, digne des temples d’Inde comme par exemple le temple Jain Ranakpur (voir mon article) dû à une tripotée d’artistes. Il n’est pas encore inscrit au patrimoine mondial, à l’instar du temple Ranakpur (qui n’a pas encore d’article en français sur Wikipédia), et n’a droit qu’à une poignée d’articles superficiels en français. Je vais donc ajouter celui-ci, qui sera tout aussi superficiel que les autres car je ne suis pas historien d’art, mais peut-être juste un peu plus fourni et contribuera modestement à la renommée de l’artiste.
Gustav Vigeland (1869-1943) est natif de Mandal, la ville la plus méridionale de la Norvège. Wikipédia nous apprend que « Son enfance fut malheureuse à cause d’un père dont le comportement à l’égard de ses enfants était austère et dur : il le fouettait le Vendredi saint pour lui faire éprouver les souffrances du Christ. À l’âge de quinze ans, il part à Oslo pour servir d’apprenti à un sculpteur sur bois professionnel ». Le père en outre devint alcoolique et les parents se séparèrent. Je n’en sais pas plus, mais l’absence de Dieu dans son œuvre apparemment païenne et l’exaltation d’une parentalité heureuse avec une ribambelle de bambins joviaux est peut-être une tentative de résilience si tant est que ce raccourci de son enfance soit significatif.
Sa propre vie amoureuse & familiale a été un peu perturbée, mais dans la ligne habituelle des artistes, disons qu’une jeune modèle prend la place de la précédente. Il a eu 2 enfants, mais ne les éleva pas car il avait entamé une nouvelle liaison avant la naissance du 2e, ce qui ne se fait pas entre gens bien nés, enfin moi je dis ça comme ça. Bref, son œuvre vaut sans doute mieux que sa vie, et puis les articles sur lui évoquent une sorte de duplicité avec les nazis à la fin de sa vie (il est mort en 1943). Je veux bien en ce qui concerne les faits biographiques, mais faute d’une monographie disponible en langue française (on trouve seulement trace d’une brochure d’exposition au musée Rodin en 1981), il est difficile de faire la part de la calomnie et du point Godwin. Quand au fait que son œuvre plaisait aux nazis parce que ce n’était pas de l’art dégénéré, alors là c’est du wokisme à l’état pur, qui me convainc autant que si l’on me disait qu’il ne faudrait pas manger de côte de bœuf parce que les nazis aimaient ça !
Dans sa jeunesse il a parcouru l’Europe, et a notamment découvert Rodin. Il aurait visité son atelier mais sans le rencontrer. Il a été aussi influencé par Aristide Maillol. Les premières salles du musée exposent des œuvres de jeunesse inspirées de Rodin, notamment de sa Porte de l’Enfer. Le Musée national de l’Art, de l’Architecture et du Design présente aussi une grande porte de la même inspiration, en bronze, qui reprend le motif des pendus. Un groupe intitulé Accursed (1891) a changé de titre pour ne pas imposer une interprétation religieuse. Son 1er titre était Caïn fuyant avec sa famille. Son Enfer était plutôt métaphysique que religieux. Il n’avait pas encore trouvé son style. Viennent ensuite les sculptures les plus érotiques, dont on pourrait identifier les visages, dans une veine réaliste. C’est avec un monument au mathématicien Niels Henrik Abel, aujourd’hui exposé dans le parc du palais royal, qu’il trouve son style symbolique. Il ne s’agit pas de représenter un homme illustre en habit, mais comme une allégorie du génie, donc à poil ! On devrait lui commander une statue de Chibritte !
Son style évolue alors vers une conception synthétique de la plastique humaine, détachée de la mimèsis. S’il recourait à des modèles, c’était en fin de course, pour affiner la posture corporelle plutôt que de réaliser un portrait ressemblant.
Lors de mon séjour de 3 jours à Oslo (en fait de dimanche 18 h à mardi 15 h en présence utile dans la ville), j’ai visité 3 fois le parc. Une fois le dimanche soir au coucher (tardif) du soleil en parcourant la ville depuis mon hôtel (situé dans le centre), une fois le lundi soir au coucher du soleil sous une pluie toute norvégienne, ce qui explique l’allure d’une poignée de photos. J’étais absolument seul dans le « vieux parc solitaire et glacé » comme dirait Verlaine, ces statues étaient toutes à moi et si j’avais été un pervers pétromane, j’aurais pu me livrer à des choses zosées (comme dirait Zazie) sur ces innocentes statues ! (Non, je plaisante, mais ça me fait penser à un vieux dessin de Sempé ou de je ne sais plus qui, montrant un homme qui passe derrière une statue pour en contempler les fesses !) Et la 3e fois c’est le mardi matin. J’ai visité le musée Vigeland (côté sud) avant une dernière visite complète du parc, qui abrite des statues isolées et même un groupe que j’avais ratés lors de mes premières visites, et j’en ai sans doute raté d’autres, dont celle de Vigeland soi-même, il faut le faire ! J’ai même visité en contrebas du pont une placette ronde avec les statues de bébés que j’avais également ratée, au milieu desquelles trône un fœtus, tête en bas ! On a vraiment tout le cycle de la vie !
En parlant de Verlaine, « Ah ! les beaux jours de bonheur indicible / Où nous joignions nos bouches ! » ne nous ramène-t-il pas à cette statue de granit, une de celles qui entoure le monolithe ? À ceci près qu’il n’y a pas de baiser, juste le front & le nez sont accolés. J’ai envie de détourner le terme héraldique « affrontés ».
Mais j’oublie de présenter le parc. Il se situe à 2 km de la gare qui est le point central de la ville, dans un quartier résidentiel de jolies maisons bourgeoises ; il est desservi par le tramway 12 et le bus 20, voire un chouia au Nord par la station de métro Majorstuen, commune aux 5 lignes qui passent toutes par la gare. Il y a des portes monumentales à l’entrée Est du parc (côté centre) mais elles sont là pour la déco, le parc est ouvert 24h/24. J’ai même trouvé trace dans les archives du monde d’avant d’une activité de drague gay dans les endroits touffus, mais hélas je n’ai strictement rien vu sur place ! L’Installation commence à disons 150 m de l’entrée, avec successivement le pont flanqué de statues en bronze (façon rambarde d’Angkor Thom), et les statues de bébés en contrebas du pont côté Sud ; la fontaine et son bassin entourée de groupes en bronze de forme bizarre associant des êtres humains perchés sur des sortes d’arbustes, le tout étant flanqué d’une frise de bas-reliefs sur les quatre côtés ; puis vous avez le monolithe au centre d’un plateau surélevé qui constitue le plus spectaculaire socle pour une des statues les plus colossales jamais faite de main d’homme (disons « cheiropoïète » !). Ce socle propose 12 rangées en étoile de 3 groupes en granit, soit 36 statues un peu plus grandes que nature. Après le plateau on redescend vers un petit cadran solaire avec signes du zodiaque (donc on retrouve le nombre 12) ; enfin on remonte vers la sculpture en pierre de la Roue de la vie, sur le haut de la butte qui ferme le parc à l’Ouest. Le parc contient d’autres sculptures qui ont été ajoutées après la mort de l’artiste.
J’ai été un peu étonné au début par la vision brute des statues dans le parc. La nudité des enfants est quelque peu désarçonnante dans ce contexte où les cercles complotistes ont enfourché le cheval de bataille de la pédophilie avec certains excès qui vous feraient voir des pédophiles partout. Nonobstant, le contexte des statues avec des bébés ou enfants n’est évidemment jamais sexuel. Même celles avec uniquement des adultes d’ailleurs, nous y reviendrons. Il faut remettre cela dans le contexte de la vogue du nudisme dans les pays germaniques au tournant du siècle, qui était un mouvement familial hygiéniste de vie saine en harmonie avec la nature. J’en profite pour signaler une étude de l’Ifop publiée en 2019 qui montre la baisse de tolérance à l’égard des seins nus, sous le double effet du féminisme misandre & de l’islamisation de la société.
Le guide du Routard conseille à juste titre de visiter d’abord le parc pour ne pas « déflorer la découverte de cet artiste par des considérations trop techniques ». Chaque spectateur aura son interprétation des statues, à confronter avec celle du voisin, et si je vous donne la mienne, je ne cherche pas à l’imposer. Bien sûr il vaut mieux aller sur place pour faire le tour des statues plutôt que de se contenter de photos, à moins qu’il existe un site de réalité virtuelle qui puisse vous fournir cette impression sans sortir de chez vous !
Si la sexualité est présente, c’est avec une grande discrétion. Les deux statues qui évoquent le plus crument la sexualité sont présentées uniquement au musée. Il s’agit d’une part d’un jeune couple enlacé. Leurs bas-ventres sont accolés alors qu’ils se contemplent, ou plutôt l’homme contemple la femme, c’est lui qui la manipule ; mais si l’on regarde de près (pas très visible sur la photo) le sexe de l’homme est au repos, évidemment (le contraire aurait fait de cette statue un repoussoir !)
D’autre part vous avez un couple dont l’homme est agenouillé aux pieds de la femme, son crâne contre le sexe de la femme, et la main de celle-ci sur le côté du crâne de l’homme. La position est sexuelle, mais la version que l’on retrouve dans le parc sous la forme d’un bas-relief désexualise la posture, car la femme se détourne de l’homme et tend la main vers l’enfant assis derrière. Qu’a voulu signifier Vigeland ? Que la sexualité conjugale est tournée vers la procréation ? Que l’homme désire la femme, mais que la femme désire la maternité ? Si l’on sait qu’il a été privé de ses enfants par sa première épouse parce qu’il l’a trompée avec un modèle, on a peut-être une clé d’interprétation.
Beaucoup de ces statues réunissent un homme ou une femme et un ou des enfants, et ceci à des âges divers, jusqu’à l’état de squelette en ce qui concerne les bas-reliefs qui entourent la fontaine. Je ne crois pas en avoir vu avec les deux parents et un enfant (en dehors du bas-relief commenté ci-dessus), ce qui est étonnant, mais renvoie forcément à l’histoire personnelle du sculpteur, que ce soit avec ses parents ou avec ses enfants. À l’écart tout au nord du parc se trouve un groupe intitulé « Slekten » (La Famille), qui représente plutôt une sorte de tribu, donc toujours pas un couple avec un ou des enfants. Vous en avez un descriptif sur un excellent site « Statues Quo » consacré aux « sculptures insolites, sympas, drôles ou étonnantes à travers le monde ». Le groupe n’a été fondu que plus de 40 ans après la mort de l’auteur. Le même site vous propose un amusant exercice pratique à propos d’une des statues les plus étonnantes, les deux jeunes femmes qui se tiennent renversées, les mollets joints. C’est d’ailleurs une piste d’interprétation importante, celle des activités de gymnase au sens grec ancien (Le mot « gymnase » vient du grec γυμνός / gumnos, « nu »), qui d’ailleurs a inspiré les mouvements naturistes du XIXe & XXe siècle tels qu’ils sont évoqués dans cet article : « Le naturisme : une voie alternative d’éducation intégrale (XIXe-XXe siècle) » de Sylvain Villaret dont voici un extrait : « Les années 1920 sont ainsi marquées par la volonté partagée dans les milieux naturistes européens de réformer l’humanité et de remplacer la « culture de mort » par celle de la vie voire, pour les adeptes de la nudité complète, par la libre culture. Pour atteindre cet enjeu supérieur, un moyen est désormais privilégié : la création de centres naturistes conçus comme des foyers essentiels d’éducation intégrale, sollicitant toutes les dimensions de l’individu. Il convient plus que jamais d’éduquer la population à un nouveau système de valeurs et de donner à voir des contre-modèles.
En France, cela se traduit par la florescence d’organisations naturistes visant à fédérer des centres sur tout l’espace national. Dans ces structures, la place faite à l’éducation physique et aux sports est centrale. Pour cause, les séances de gymnastiques et de sports sont conçues comme le moyen d’incorporer les valeurs naturistes, d’initier à la nudité mais aussi d’attirer un large public. À Physiopolis, centre implanté en 1927 dans la banlieue parisienne, des équipes sportives naturistes sont constituées. Elles défient régulièrement celles des grands clubs parisiens. Mais l’œuvre éducative naturiste ne s’arrête pas là. Les leçons sont adaptées en fonction des différents publics : hommes, femmes, enfants. Elles sont complétées par des conférences, des discussions. Les sujets les plus larges sont abordés : hygiène, santé mais aussi esthétique, arts, sciences morales, spiritualité. »
Le petit film de 1930 qui suit peut faire comprendre la philosophie qui préside aux sculptures de Vigeland. Voyez aussi ce court film en anglais de 1932.
Les enfants de Vigeland ne sont pas scotchés devant des écrans avec un coca d’une main & une tartine de Nutella de l’autre, mais ça joue, ça bouge, ça court dans tous les sens (donc comme dans les centres naturistes hygiénistes des années 1930), ça exerce son corps à s’approprier le monde, quand ça n’est pas protégé par les parents. Je ne vais pas remettre toutes les photos ici, mais une de mes préférées est celle des deux garçons qui se chamaillent ou s’amusent avec leur père (enfin peut-être leur oncle ou un ignoble pédophile, chacun verra midi à sa porte !) Celle des deux garçons joyeux les bras en l’air est très appréciée ; vous en trouverez une autre version au Musée national de l’Art, de l’Architecture et du Design. Le fait que cette installation soit présentée dans un parc arboré n’est-il pas une invitation à imiter en famille les poses des statues en exerçant son corps aux alentours, dans un environnement sain ?
J’ai aussi apprécié un bas-relief représentant des enfants jouant avec un loup. Là aussi, chacun verra midi à sa porte. Apologie d’une éducation libre laissant l’enfant jouer avec le feu ? Au contraire, avertissement de suivre les recommandations de nos gouvernements si philanthropes qui recommandent d’enfermer les enfants avec une muselière pour qu’ils ne courent aucun risque et n’en fasse pas courir à leurs grands-parents si fragiles ? Ne pas les laisser naître serait peut-être la solution, mais globalement l’œuvre de Vigeland ne me semble pas une apologie de la contraception ni de l’avortement !
Une des statues les plus étranges représente un homme très puissant qui tient une femme derrière ses épaules, sur son dos, en une sorte d’exercice gymnique d’époque. Ce n’est pas vraiment une position du Kamasutra, mais son sexe se pose tellement là qu’on remarque une patine révélatrice sur la pierre, comme si des mains s’y attardaient à la nuit tombée (ou même en plein jour, quand il y a de la gêne, y a pas de plaisir !) à la façon de la Tombe de Victor Noir ou de bien d’autres statues par le monde, dont on imagine qu’elles rendent vigueur ou fécondité perdues ! Les sexes masculins sont stylisés mais d’une taille réaliste, ce qui s’oppose à l’habitude des petits pénis des statues grecques.
On peut donner toutes les interprétations possibles & imaginables à ces statues. Au centre du pont de chaque côté se trouve un cercle de bronze, avec côté Nord un homme qui semble, selon votre humeur, se livrer à une activité gymnique, se débattre avec la roue du destin ou quoi encore ? C’est une de mes photos nocturnes.
J’ai parlé d’absence de Dieu, mais il faudrait nuancer. D’une part au musée une vitrine impossible à photographier sans se voir en reflet montre des petites statues représentant des scènes des Sagas légendaires islandaises, non reprises dans le parc. D’autre part, une série de 4 grandes statues de plâtre reprises en granite dans le parc (et même une agenouillée en bronze) montrent des hommes ou femmes aux prises avec un lézard géant, ce qui est sans doute un avatar de la lutte de Jacob et l’ange, à comparer avec le chef-d’œuvre de Jacob Epstein à voir dans cet article. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais en ce qui me concerne, c’est comme la statue d’Epstein, j’ai l’impression qu’on lutte un peu mollement, comme si on se laissait séduire ? Que dire de la femme installée sur les bois d’un renne ? On la trouve en statue de plâtre au musée, et en bas-relief autour de la fontaine. Cela fait penser à un culte païen.
Le musée Vigeland vous accueille au Sud du parc, dans un superbe bâtiment carré organisé autour d’une cour. La visite vous prendra une heure à peu près, et c’est très bien organisé, très pédagogique, avec de brefs cartons en anglais qui vous font comprendre l’essentiel. Des installations contemporaines complètent l’exposition permanente, que l’on appréciera selon ses goûts. J’en ai photographié un exemple. Ce bâtiment lui avait été octroyé par la mairie d’Oslo en échange de la promesse de léguer son œuvre à la ville, et elle a été gagnante ! On peut d’ailleurs admirer des radiateurs qui semblent d’époque ! (photo) Une salle particulièrement nous explique sa méthode de travail avec des exemples de moules. Le cas de sa sculpture la plus célèbre, L’Enfant furieux (Sinnataggen) est révélateur. Tout part d’un dessin exécuté à Londres en 1901. En 1911, Vigeland le retrouve et en fait un plâtre, puis en 1928, il passe à la confection de la sculpture finale, avec d’abord un mannequin en fer forgé, métal et bois pour empêcher l’argile de couler, puis un moule sur l’argile, avec des plaques de métal qui délimitent les parties du moule ; cela permet une copie en plâtre, et enfin on va passer du plâtre au bronze. Tout cela est réalisé par des artisans sous la direction du maître, comme il est d’usage dans les ateliers de sculpture. Un autre exemple montre un groupe de deux vieillards d’abord réalisés en plâtre par le maître, puis reproduits dans le granite par des artisans, avec un système mécanique de report de mesures et de repères.
C’est également de cette façon qu’a été réalisé le monolithe, peut-être la plus grande sculpture monolithique jamais réalisée par UN artiste. Certes on a l’obélisque de la concorde, mais c’est un bloc taillé et gravé, et sans doute par plusieurs artisans, à la limite de la notion de « sculpture ». Je pense aux grands mâts-totems de Colombie britannique du musée du Quai Branly, le mât Kaîget par exemple (entré au Musée de l’Homme en 1939, donc sans doute inconnu de Vigeland, mais peut-être a-t-il pu voir d’autres réalisations du même genre). On pense évidemment aussi aux Moaï de l’Île de Pâques, bien moins volumineux et relativement plus frustes.
Un panneau montre la réalisation & l’acheminement du bloc de plusieurs centaines de tonnes de granite depuis une carrière de Halden en Norvège (proche d’Oslo). L’article de Wikipédia en anglais dit 1927, mais l’article ci-dessus parle de 1922, en tout cas un monolithe de plusieurs centaines de tonnes semble avoir été transféré par bateau et sans grues, et ceci jusqu’au parc, l’emplacement du monolithe se trouvant à plus de 1 km de l’accès le plus proche au fjord (mais qui n’était peut-être pas utilisable pour décharger un caillou de centaines de tonnes).
Je vais tenter d’évaluer le poids du caillou brut livré en 1922 (ou 27). Si je prends la dimension indiquée dans l’article ci-dessus, 2,5 m x 2,5 m x 17 m, le granite ayant une densité de 2.75 g/cm3, soit 2750 kg / m3, cela nous donne 106.25 m3, multiplié par 2750 = 292 tonnes pour le caillou brut. À peine ai-je fini ce calcul qui me laisse en sueur, que je tombe enfin sur un article génial en anglais qui raconte par le menu l’épopée de ce monolithe. Et le poids du caillou brut est évalué à… 280 tonnes ! Bon, tout dépend de la qualité du filon, je suppose.
La monolithe sculpté fait 14,12 m de haut. Le paiement & la livraison sur des barges ont mis des années, ce qui explique l’écart entre 1922 et 27. Quoi qu’il en soit, 3 maçons ont eu la lourde tâche de transcrire sur ce bloc brut les trois tronçons en plâtre exposés dans la grande salle du musée. Ils ont fait cela à l’abri d’une tour de bois chauffée dont vous avez la photo dans le document ci-dessus. Ils ont mis plus de 14 ans (de 1929 à 1944) à reporter les 121 figures. Les trois tailleurs de pierre recrutés par Vigeland étaient un Suédois, Nils Jönsson, un Danois, Karl Kjær et un Norvégien, Ivar Broe. L’article nous apprend que le Suédois & le Norvégien sont morts prématurément de silicose, après avoir avalé tant de poussière de granite. Sur un autre site, pour ceux qui comme moi lisent couramment le norvégien, vous trouverez d’autres photos du transport qui expliquent le chaînon manquant, entre le fjord & le parc, sur des rails, et le basculement final. Là, le chiffre est 266 tonnes !
Je vous laisse apprécier l’œuvre & en tirer votre interprétation. Peut-être plus tragique que certains groupes assez amusants ? En tout cas cet empilement d’humains pointés vers le ciel vous touchera d’une façon ou d’une autre, à moins que vous préfériez Jeff Koons !
Il faudrait dire un mot des nombreuses grilles en fer forgé, qui sont aussi l’œuvre de Vigeland, réalisées sous sa direction par des forgerons. Là aussi elles représentent des hommes, des femmes ou même des enfants. Il y en a une avec des bébés que j’ai photographiée au musée mais pas retrouvée dans le parc. C’est une prouesse, et les cheveux et les poils pubiens sont réalisés avec des sections plus minces ! J’avoue être passé en vitesse devant les portes d’entrée, mon temps étant compté ; j’ai même raté la statue représentant le maître, située pourtant sur l’allée d’accès entre la grille & le pont ! Je vais être obligé d’y retourner, alors que j’ai juré de ne plus mettre les pieds dans cette putain de ville digne d’Annie Dingo ! À l’extérieur du musée, une statue de jeunesse en granit emblématique de l’artiste a été je pense reproduite car elle ne fait pas partie de l’installation. Il s’agit d’un homme qui berce une femme recroquevillée entre ses bras.
– Lire un article en français sur l’œuvre de Vigeland et un autre article sur l’Installation.
– Lire Voyage en Norvège (2/2), Du Cap Nord à Oslo.
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Voir en ligne : Photos des œuvres de Gustav Vigeland
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[1] Pour ses autres sculptures dans la capitale, voir ce site.