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Abus sexuel, à partir de la 4e.

Rien que ta peau, de Cathy Ytak

Actes Sud Junior, D’une seule voix, 2008, 78 p., 7,8 €.

samedi 6 décembre 2008

« Car après tout, si c’était vraiment notre « intégrité sexuelle » et notre équilibre psychique qu’on voulait à tout prix préserver, à défaut de notre liberté, s’il s’agissait effectivement de punir tous ceux qui ont induit en nous des traumatismes sexuels, on ne voit toujours pas pourquoi on ne punirait pas ceux qui nous ont empêchés d’avoir des rapports sexuels, à commencer bien souvent par nos propres parents ». Cette citation de l’Antimanuel d’éducation sexuelle, de Marcela Iacub & Patrice Maniglier (p. 189), correspond au propos de Cathy Ytak dans cette nouvelle de la collection « D’une seule voix » d’Actes Sud Junior. Si l’on peut regretter — mais c’est la marque de fabrique de cette collection — de n’entendre que la voix de la fille dans ce long monologue, on saluera pour une fois un texte qui dénonce un abus sexuel parmi les plus fréquents mais que les médias ne relaient quasiment jamais : la mainmise des parents sur la sexualité — libre et consentie — de leurs enfants. Un texte tout simple, sans clinquant, la voix d’une fille qui veut aimer par-dessus une glace et un hiver tout symboliques.

Résumé

Louvine, alias Ludivine, se réveille dans un sac de couchage au-dessus d’un lac gelé, en compagnie de Mathis, avec « l’enveloppe d’un préservatif […] collée sur [s]a fesse » (p. 6). Cette première fois avec ce garçon qu’elle aime est gâchée par les vociférations de ses parents venus, avec des chiens et des voisins, sauver la pauvre fille des griffes de ce forcément méchant garçon. Ludivine fréquente un « lycée pour débiles » (p. 29), mais elle sait parfaitement ce qu’elle voulait avec Mathis. Elle répond donc à la gynécologue venue l’interroger, qu’elle était consentante, et attend patiemment que Mathis revienne de son stage, que ses parents se calment. En attendant, elle se / nous raconte l’histoire de leur rencontre, le chemin quotidien parallèle dans la neige entre l’arrêt du bus et le village. Deux taiseux que réunit l’amour de la nature, des oiseaux. Louvine est un peu lente d’esprit, mais elle a toute sa tête. Mathis est daltonien, passionné par la nature ; il veut devenir ornithologue. Tous les deux ne suivent pas la mode lycéenne des « garçon(s) obsédé(s) par le sexe », et trouvent qu’« il faudrait d’autres mots que ceux-là » (p. 60). C’est donc naturellement qu’ils décident de se conjoindre sous un duvet, n’ayant pas le courage d’attendre le dégel.

Mon avis

Le style sans fioritures de cette nouvelle à une voix peut agacer par sa rigueur rustique, ou au contraire séduire ceux qui trouvent surfait le style au scalpel d’un Antoine Dole, ou qui ne comprennent pas le parti pris de faire s’exprimer d’une façon si négligée le héros de Stephen Chbosky pourtant qualifié de « vraiment exceptionnel » en tant qu’élève (pour citer deux ouvrages récents qui abordent eux aussi la sexualité sans détour, et nous nous réjouissons de cette percée dans la littérature pour ados !). Ce sont là préférences personnelles, mais on s’est habitué au style de Cathy Ytak, dont on a apprécié les précédents ouvrages. Un style rural, qui n’a que faire des provocations faciles [1]. De même que ni la présence insistante du lac gelé, ni les personnages taiseux et hors-modes n’étonneront les admirateurs de Rendez-vous sur le lac.
Sur le fond, on apprécie donc, face à l’avalanche de « spams » anti-sexualité, qu’une jeune fille s’insurge qu’on veuille la protéger à son corps défendant contre un garçon : « Tu as abusé, abusé de moi ? Et moi, je n’existe pas, je n’existe plus ? » (p. 11). L’image de ces deux jeunes marchant en parallèle et se renvoyant du pied des « pommes de pin » (p. 32) est un beau symbole de l’antagonisme d’origine biblique assumé par les filles et garçons d’aujourd’hui (je n’insiste pas…). L’auteure s’efforce d’inventer, à rebrousse-mode, une parole érotique qui puisse parler aux ados, en respectant à la fois leurs désirs et leur pudeur : « une petite rivière s’est mise à couler dans mon ventre, entre mes cuisses » (p. 54). Les règles sont évoquées avec naturel (p. 65), ainsi que le plaisir féminin (p. 66 : « tes mots caressaient ma peau, se transformaient en doigts, en lèvres, en sexe »). Ces ados parcimonieux ne se permettent qu’un seul préservatif (p. 68), de sorte que la pénétration elle-même est vécue d’une façon métaphorique qui réjouira les profs de français : je vous la laisse découvrir, p. 72.

 De la même auteure, lire Rendez-vous sur le lac, L’ombre d’Adrien, 50 minutes avec toi et Les murs bleus, sans oublier notre entrevue avec Cathy Ytak. Voir des critiques des livres de Cathy Ytak sur le site Encres vagabondes (il faut utiliser le moteur de recherche interne). Voir dans la même collection « D’une seule voix » Un Endroit pour vivre, de Jean-Philippe Blondel.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le site de Cathy Ytak


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[1Les saillies anti-chasseurs, par contre, me semblent une concession à la mode consensuelle urbaine (cf. p. 56).