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Amour, trithérapie et petites pilules, pour les lycéens

Pilules bleues, roman graphique de Frederik Peeters

Atrabile, 2001, 192 p., 20 €

jeudi 20 octobre 2011

Tout arrive : voici le premier livre labellisé « Isidor » qui ne fasse aucune allusion à l’homosexualité ni à la question transgenre. C’est sans doute pour cette raison qu’il a échappé à nos recherches pendant si longtemps ! Il s’agit d’une BD, ou plutôt d’un roman graphique datant de 2001, évoquant à partir d’une expérience semble-t-il très personnelle, la vie commune d’une jeune femme et de son enfant tous deux séropositifs avec le narrateur, que cette annonce inattendue à la lisière d’une romance, n’effraie pas. On est en 2001, six ans après le début des trithérapies, et le livre ne tombe aucunement dans le catastrophisme que véhiculent encore de nombreux ouvrages de commande publiés récemment. Au contraire, jusque dans son titre qui évoque le traitement, il communique un message d’amour et d’espoir qui touchera nos élèves. L’absence d’évocation des homosexuels ne gêne pas, parce que le récit est centré sur une expérience vécue, sans la moindre allusion indirecte à l’origine de la contamination. C’est un choix respectable.

À partir d’une discussion sur un balcon avec Cati, sa compagne, Fred Peeters, le narrateur très autobiographique, revient sur leurs premières rencontres. Dans une fête, à l’âge de vingt ans, où elle sortait avec un copain à lui. Il lui trouve des « seins magnifiques », puis, deux fois par hasard à Genève, où ils habitent. Elle s’est mariée entre-temps, a eu un enfant. Le soir du passage à l’an 2000, il la retrouve un peu triste dans une soirée d’un ami commun, cause avec elle, et de fil en aiguille, les voilà dînant aux chandelles. En guise de déclaration, elle lui dit : « Je suis HIV Fred… ». Mais le garçon ne semble pas désemparer, et les voilà engagés dans une histoire au long cours [1] D’ellipses en ellipses, on retrouve les amants dans des scènes clés de leur relation. Six pages sont consacrées à une séance de coiffeur où les cheveux ne sont pas coupés en quatre. Fred se rapproche du petit garçon, sans que le père, dont on ne connaît pas le nom, soit oublié. L’enfant est le premier à devoir prendre un traitement. On est donc en 2000, il y a des effets secondaires, diarrhées, mais cela passe bien. La mère culpabilise de n’être pas la première malade, mais Fred assure.

La partie la plus originale et intéressante est celle consacrée aux relations amoureuses et sexuelles entre Fred et Cati. On n’est pas dans le larmoyant compatissant, mais dans l’hédonisme et l’amour : « [je suis avec toi] parce que tu es la seule personne avec laquelle je ne joue pas un jeu… parce que tu es cochonne et impudique… forte et fragile… » (p. 95). La question prophylactique est abordée de façon onirique, par un juge de cauchemar qui condamne le couple « à la capote à perpétuité ». Ceux-ci tentent d’obtenir des informations : « et les pipes ? » ; « et quid des cunnilingus ? »… Mais un jour, rupture de préservatif ; angoisse, on consulte le médecin ; et miracle, ce médecin est à la fois un être humain, et un médecin compétent et informé. Il les rassure, tenant compte des recherches récentes. Si un rhinocéros fait irruption dans les vignettes, ce n’est pas qu’une rhinocérite s’empare de la paisible cité helvète, mais que le bon médecin explique : « vu l’état de santé de madame et la faible concentration de virus dans son sang… et vu l’état de votre sexe… vous avez autant de chances d’attraper le sida que de croiser un rhinocéros blanc en sortant d’ici ! » (p. 119). Plus tard, il ose leur recommander que Cati commence un traitement et qu’ils oublient les préservatifs. Tout cela publié en 2001, c’est admirable : le message d’espoir prend le pas sur l’obsession prophylactique, au grand dam du discours apocalyptique colporté par certaines associations (et relayés par les médias) plus soucieuses de leurs subventions que de la vérité et de la santé mentale des séropositifs. On dirait que J.-J. Rousseau avait raison et que les petits pays sont moins sujets aux dévoiements de la chose publique par des intérêts puissants. Avant l’épilogue, une autre scène onirique, où le héros chevauche un mammouth philosophe, me fait penser à À l’ombre des coquillages, de José Roosevelt , Suisse d’adoption (album qui date de 2005, mais dont les personnages avaient été créées dans des albums antérieur). L’album se termine sur une scène d’espoir où les fameuses pilules bleues acquièrent valeur de symbole de vie.
Bravo, sur tous les points !

 Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».

Label Isidor HomoEdu


 Ce livre fait partie des nombreux ouvrages que j’ai lus pour écrire mon essai Le Contrat universel : au-delà du « mariage gay ». Et si vous l’achetiez ?
 L’ouvrage a été adapté pour la télévision en 2014. Lire sur Télérama une entrevue avec l’auteur

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le site de l’auteur


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[1Si vous voulez, lisez ma propre nouvelle « Les amants impossibles ».