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Annie Dingo, Brigitte en perruque et Choupinet avec ses biceps photoshopés se baigneront-ils dans la fiente de rats pour Paris 2024 ?
« Selon vous, Paris est-il toujours "la plus belle ville du monde" ? »
Écriture personnelle en BTS sur le thème « Paris, ville capitale ? »
samedi 25 mai 2024, par
« Selon vous, Paris est-il [1] toujours "la plus belle ville du monde" ? » est un sujet d’écriture personnelle de BTS sur le thème « Paris, ville capitale ? » que j’ai proposé à mes étudiants en fin de séquence. J’ai pris le sujet dans le parascolaire de Laurence Lacroix (Flammarion), après m’être assuré qu’il n’y avait pas de corrigé publié sur Internet. Il pourrait faire suite au Corpus pour une synthèse : Peut-on se moquer des Parisiens ?. Cette proposition d’écriture personnelle rédigée hypertrophiée excède ce qui est attendu à l’examen, bien entendu, mais elle constitue à la fois un rappel de la méthode et la synthèse de mes cours, dont vous trouverez la substance sur ce site. Tout ce qui est en gras et entre crochets est un rappel de la méthode (la structure idéale d’un devoir de ce type), et ne doit pas figurer sur la copie, de même qu’il ne doit y avoir ni sous-titres, ni numérotation. J’ai voulu montrer à mes étudiants jusqu’où ils pouvaient « prendre le risque » d’aller trop loin dans le cadre d’une écriture qui soit vraiment « personnelle » et contribue à former l’esprit critique. Les allusions à l’actualité doivent en principe rester exceptionnelles et justifiées, sauf que ce thème lié à l’actualité autorise sans doute certaines sorties de route.
– J’assortis ce corrigé de mes Derniers conseils :
Étayer son argumentation sur 8 exemples, dont au moins 4 issus du cours, et 1 à 4 du corpus (au moins un). Chaque exemple doit être clairement identifié par ses auteur (nom et prénom, mais surtout pas le prénom seul) et titre, et situé dans l’Histoire, de façon à prouver que vous avez suivi un cours. Les titres sont soulignés (sans guillemets !), y compris titres de presse. Les sous-parties sont entre guillemets et pas soulignés ! Avant le début de l’épreuve vous pouvez préparer vos copies ainsi que les tableaux vides sur les brouillons. Désagrafez le sujet pour bien l’étaler devant vous, préparez vos 3 surligneurs et stylos de 2 ou 3 couleurs, mais sur la copie il est en principe interdit d’utiliser des couleurs. Écrivez de façon aérée en pensant aux alinéas, et relisez en rectifiant l’orthographe. Tâchez de prendre vos précautions pour tenir 4 heures sans aller aux toilettes avec un maximum de concentration, comme un sportif nageant dans la Seine au milieu des Naïades et des Tritons !
Je « risque » la dénonciation à la makrommandantur pour complotisme aggravé ! Je vous rassure : je rappelle toujours à mes étudiants que ce qu’ils doivent imiter est la forme, pas le fond, et qu’ils sont bien sûr libres de leurs opinions. J’essaie de leur montrer qu’on ne raconte surtout pas sa vie dans ce type d’exercice, mais qu’il est possible de donner son avis à condition qu’il soit greffé sur l’analyse d’un document issu du cours. J’utilise parfois le pronom « je » pour me désigner en tant que locuteur, mais il n’est pas besoin de marteler un « je » pour appeler notre belle jeunesse à l’insurrection, comme dirait Léo Ferré :
« Je parle pour dans dix siècles et je prends date
On peut me mettre en cabane
On peut me rire au nez, ça dépend de quel rire
Je provoque à l’amour et à la révolution
Yes ! I am un immense provocateur »
« Selon vous, Paris est-il toujours "la plus belle ville du monde" ? »
[Introduction] [amorce] La réputation universelle de Paris clignote encore par le monde comme une enseigne lumineuse défraîchie au fronton du Moulin rouge dont les ailes peuvent choir sans prévenir tout comme Paris peut déchoir. Par « Paris » il est d’ailleurs désormais impossible d’isoler la ville de Paris de l’État français désigné par ce mot dans le langage diplomatique (« Paris soutient l’Ukraine »). [problématique] La réputation de « plus belle ville du monde » de Paris peut-elle surnager dans le massacre actuel que laissent faire des dirigeants incapables de mener une barque qui prend l’eau de toutes parts, au risque de bientôt faire mentir la devise Fluctuat nec mergitur ? [annonce du plan] La réputation de « plus belle ville du monde » constituera notre première partie ; puis nous verrons que cette réputation est controversée avant de nous demander si la dégradation de Paris est inéluctable.
[Développement] [Première partie : La réputation de « plus belle ville du monde »] S’il y a une chose incontestable et prouvée d’innombrables façons, c’est bien la réputation de « plus belle ville du monde » ; reste à s’entendre sur la notion de beauté. Il y a d’abord la beauté institutionnelle, attestée dès le XVIe siècle par le gascon Michel de Montaigne dans ses Essais (Livre IIII, chapitre 9, « De la vanité ») : « Je l’aime par elle-même, plus par ce qu’elle est tout simplement que renforcée d’apparats étrangers. Je l’aime tendrement, j’aime jusqu’à ses verrues et ses taches. C’est la gloire de la France, et l’un des plus nobles ornements du monde. » Ces « ornements » sont des monuments et des sculptures fort anciens exaltés par la « Lettre des artistes contre la tour Eiffel » : « le Paris des gothiques sublimes, le Paris de Jean Goujon, de Germain Pilon, de Puget, de Rude, de Barye, etc. » Si ces noms d’artistes sont un peu oubliés, leurs œuvres restent admirées, et sont mises en lumière par une innovation technologique qui remonte au XVIIIe siècle, les réverbères publics, qui valent à Paris le surnom de « Ville Lumière ». On peut en admirer un des plus anciens exemplaires sur une gravure des Nuits de Paris de Rétif de la Bretonne. Ces innovations technologiques et industrielles ont été mises en valeur au niveau mondial par les expositions universelles qui se sont succédé à partir de 1851, et notamment en France, particulièrement à Paris en 1878, 1889, 1900 et 1937. Les voyageurs constatent qu’un hommage est rendu à Paris dans les musées du monde entier. Cette année 2024 au musée du Petit Palais à Paris était présentée l’exposition « Le Paris de la modernité 1905-1925 » qui témoigne du point culminant de la réputation universelle de Paris. Les arts sont aussi au rendez-vous, et Paris en fut la capitale mondiale à cette époque où les plus grands artistes se retrouvaient à Paris, comme Picasso, Brancusi, Man Ray, Blaise Cendrars, Hemingway, Henry Miller, sans oublier les artistes noirs étasuniens comme Joséphine Baker ou Miles Davis (un peu plus tard), qui venaient à Paris aussi parce qu’il y avait moins de racisme qu’aux États-Unis. La vogue du french cancan qui date de Jacques Offenbach (Galop infernal d’Orphée aux Enfers), lui-même artiste d’origine étrangère témoigne aussi de cette réputation universelle de Paris qui perdure depuis un siècle et demi. La comédie musicale Moulin rouge, tirée du film de Baz Luhrmann est toujours jouée à Londres en 2024. L’épopée du Moulin rouge est racontée dans le film French cancan de Jean Renoir, qui montre bien comment les riches étrangers se précipitaient à Paris pour y applaudir le cancan, pour des raisons pas toujours artistiques.
En effet, à la beauté institutionnelle de Paris s’ajoute une beauté alternative qui a toujours fait la réputation universelle de la ville. Cette beauté alternative est révélée dans le film de Louis Malle inspiré du roman éponyme de Raymond Queneau Zazie dans le métro, qui à l’exception de la Tour Eiffel n’évoque que ce Paris qu’on pourrait dire « underground » pour faire écho au titre : c’est un cabaret interlope, ce sont les passages, les Puces, les quais de la Seine, la soupe à l’oignon, et quelques monuments très peu connus comme l’Église Saint-Vincent de Paul. Le Paris alternatif c’est aussi celui des guinguettes comme celles qui sont à l’origine du nom de la « Place des Fêtes » dans le XIXe arrondissement ou celle que construisent les protagonistes de La Belle Équipe de Julien Duvivier, sur les bords de la Marne. Le cinéaste juif américain Billy Wilder, qui a vécu en Europe et à Paris avant d’émigrer pour fuir le nazisme, exalte dans Irma la Douce non pas les monuments emblématiques, mais les Halles de Victor Baltard, et avec elles le Paris qui vit et qui mange, disparu de nos jours pour laisser significativement la place à un centre commercial, et ce quartier populaire des années 60, avec ses bandits et ses prostituées. Nous en arrivons à la question délicate de « La parisienne » pour reprendre le titre de la chanson de Marie-Paule Belle. Il s’agit de la fille légère qui venue de province s’acclimate aux mœurs dépravées de la capitale. L’historien grec Strabon cité par Rabelais dans le ch. 17 de Gargantua évoquait déjà comme sens étymologique du nom ancien de Lutèce (Leucece) : « pour les blanches cuisses des dames dudit lieu ». Prostituée, courtisane ou fille légère, les femmes de Paris constituaient une part inaliénable de sa réputation touristique, et des traces à toutes les époques en attestent. Une aquarelle de Georg Emanuel Opiz « Palais-Royal. 1815. La sortie du n° 113 » montre des prostituées du XVIIIe siècle racolant des militaires sous les arcades du Palais Royal. Le Paysan de Paris, de Louis Aragon relate de façon choquante pour nous une visite dans un bordel, et le peintre Henri de Toulouse-Lautrec en a donné maintes représentations exposées dans les musées les plus prestigieux, comme Au Salon de la rue des Moulins. Plus récemment, Serge Lama célébrait « Les p’tites femmes de Pigalle » dans une chanson qui serait impossible aujourd’hui.
[Deuxième partie : une réputation controversée] Cette réputation de beauté universelle de Paris, qu’elle soit institutionnelle ou alternative, est controversée par l’histoire de la violence à Paris, que l’on peut considérer sous différents angles, comme une beauté, parfois une laideur morale, mais dont la réputation est aussi universelle. Les « barricades » font partie de la légende de Paris, et le mot lui-même a été forgé au XVIe siècle à partir de « barriques », à l’époque du Massacre de la Saint-Barthélemy (24 août 1772) dont rend compte le célèbre tableau de François Dubois.
Victor Hugo, dans Les Misérables, « Originalité de Paris » présente les émeutes comme si c’étaient des divertissements : « En 1831, une fusillade s’interrompit pour laisser passer une noce ». « Rien n’est plus étrange ; et c’est là le caractère propre des émeutes de Paris qui ne se retrouve dans aucune autre capitale ». Son livre et notamment le chapitre de la mort de Gavroche est devenu une icône mondiale de Paris ; on peut toujours applaudir à Londres ou à New York la comédie musicale qui en a été tirée. Éric Hazan dans L’Invention de Paris. Il n’y a pas de pas perdus montre qu’il s’agit là d’une version édulcorée des insurrections parisiennes, des « images d’Épinal », que ce soit Hugo ou La Liberté guidant le peuple de Delacroix, un des ornements du Musée du Louvre. Le Massacre de la rue Transnonain (1834), d’Honoré Daumier est une gravure célèbre qui transporte tragiquement ce spectacle sur la scène intime d’un appartement où une famille a été massacrée. La chanson « Les grands boulevards » interprétée par Yves Montand reprend cette image d’Épinal du Paris frondeur : « On y voit des grands jours d’espoir / Des jours de colère / Qui font sortir le populaire / Là vibre le cœur de Paris / Toujours ardent, parfois frondeur / Avec ses chants, ses cris / Et de jolis moments d’histoire ».
La violence est aussi inscrite dans la mémoire de Paris par les traces des enceintes successives construites pour protéger la ville des invasions. On peut voir les fondations de l’enceinte de Philippe-Auguste dans le Musée du Louvre, où elles ont été exhumées par les archéologues et exhibées à l’occasion de l’opération du Grand Louvre dans les années 1980. Les enceintes successives de Charles V et de Louis XIII sont toujours visibles dans la topographie parisienne actuelle, avec les rues d’Aboukir et de Cléry qui constituent la trace de l’enceinte de Charles V, et les Grands boulevards pour celle de Louis XIII. Louis XIV ayant supprimé la menace extérieure, fit raser l’enceinte de son prédécesseur, et c’est à l’extrême fin de l’ancien régime que l’on édifia une nouvelle enceinte, qui n’était plus destinée à protéger de menaces extérieures, mais à rançonner les Parisiens. C’est le mur des Fermiers généraux, qui suscita une réprobation résumée par cet alexandrin « Le mur murant Paris rend Paris murmurant ». Paris est depuis lors en lutte contre le pouvoir, et cela perdure jusqu’à nos jours. La Seconde Guerre mondiale a été le théâtre du marché noir, le Paris de la débrouille anti-héroïque révélé par La Traversée de Paris, nouvelle de Marcel Aymé et film de Claude Autant-Lara. On peut aussi évoquer les propos d’Aurélien Bellanger dans son roman Le Grand Paris sur la topographie de Paris, les buttes qui permirent l’insurrection de la Commune en 1870. Les Français du XXIe siècle ont-ils conscience quand ils visitent le Mont Valérien ou la Butte Montmartre, qu’il s’agit des vestiges historiques d’une révolution ratée (la Commune), qui pointent une histoire controversée, avec un pouvoir agissant contre le peuple ? Cette subversion de la démocratie à Paris est révélée par un article du 7 février 2024 du journaliste Sylvain Gauthier dans Auto-Moto intitulé « Le maire d’un village ridiculise Anne Hidalgo et le vote à Paris sur les SUV ». La province n’est pas dupe d’une subversion de la démocratie par le pouvoir parisien. Madame de Sévigné témoignait dans une lettre du 30 oct. 1675 de la façon dont le pouvoir centralisé règne par la terreur en province, en envoyant des agents provocateurs, exactement comme de nos jours le pouvoir utilise des black blocs pour décrédibiliser les manifestations. Les images terrifiantes du « maintien de l’ordre » dans les manifestations parisiennes actuelles écornent sérieusement l’image de Paris dans le monde. Ne serait-on pas en train d’assister au retour de la répression massive des Journées de Juin 1848 évoquées par Éric Hazan ? Les émeutes de 2005 évoquées par Aurélien Bellanger ou celles de 2023 ont été présentées comme des faits extraordinaires ; mais le lecteur d’Éric Hazan ne peut que les relativiser à l’aune des émeutes de juin 1848, qui firent plus de 4000 morts, à mesurer à la population de l’époque : « La ville insurgée se transforme en charnier. Les pavés, le sable des jardins sont rouges ». […] « Il fallait attendre qu’une pluie d’orage vînt laver les mares de sang ». La « Carte du revenu disponible médian en 2018 » de Wikipédia révèle les disparités de richesse entre l’Est et l’Ouest de Paris, qui peuvent fournir un élément d’explication à ces émeutes souvent tu par les médias qui focalisent leurs analyses sur la composante ethnique. L’expression « blousons noirs » est née à Paris en 1959 au square Saint-Lambert dans le XVe arrondissement ; bref, il existe une tradition parisienne de la baston et des émeutes qui contribue au charme de la ville et permet à Paris de rivaliser avec les westerns, comme en témoigne la scène de rixe dans Irma la douce, entre l’ancien flic et les macs.
Il existe une autre réputation ambiguë si ce n’est négative de Paris, illustrée par exemple dans Zazie dans le métro, avec les grèves du métro, les embouteillages délirants et les arnaques touristiques, dont on est parfois surpris d’apprendre qu’ils étaient déjà connus et dénoncés au début des années 1960, et qu’ils commencent à constituer l’envers de la médaille de la réputation de Paris. Cette réputation est déjà lisible dans l’étymologie de Lutèce (lutum, la boue, le marais). Sa dénonciation ne date pas d’hier, comme en témoigne « Les embarras de Paris », la 6e Satire (1666) de Nicolas Boileau qui dénonce le tumulte de la grande ville dont seuls les riches peuvent s’abriter dans une maison éloignée. « En quelque endroit que j’aille, il faut fendre la presse / D’un peuple d’importuns qui fourmillent sans cesse. / L’un me heurte d’un ais dont je suis tout froissé / Je vois d’un autre coup mon chapeau renversé ».
[Troisième partie : Vers une dégradation inéluctable ?] La réputation de Paris, qu’elle soit institutionnelle ou soumise à controverse, n’est sans doute pas éternelle, selon le mot de Paul Valéry : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles » (La Crise de l’esprit, 1919), et nous pouvons nous demander si nous nous dirigeons vers une dégradation inéluctable. Paris n’est pas une donnée figée qu’il faudrait conserver comme une boule à neige dans son état ancien. La question de la modernisation s’est toujours posée, et le choix a été souvent fait de détruire l’ancien, ce qui fait qu’il reste extrêmement peu de traces du Paris gallo-romain (les Thermes de Cluny, les Arènes) et médiéval, en dehors des églises et des palais. Il n’y a plus de maisons à pans de bois comme dans de nombreuses villes de province. C’est au XIXe siècle que les polémiques ont été les plus vives, et l’on est souvent surpris d’apprendre que les fameuses Halles de Victor Baltard que le monde entier admire toujours malgré leur démolition (les plans en sont exposés dans une salle du musée Reina Sofia de Madrid non loin de Guernica de Picasso) sont dues en réalité à la grandeur d’esprit d’un grand homme politique pourtant méprisé d’Émile Zola et de Victor Hugo, qui le qualifiait de « Napoléon le petit ». C’est en effet Napoléon III qui, visitant en 1853 le chantier du premier pavillon en pierre de Baltard, demande l’arrêt des travaux et l’adoption d’un système de construction en métal. Sur le modèle de la gare de l’Est récemment construite et du Crystal Palace de Londres qu’avait admiré l’impératrice Eugénie. Sans cette idée et cet interventionnisme de l’empereur, Baltard aurait été oublié, et Paris n’aurait pas été une référence mondiale d’architecture moderne. Il faut reconnaître à Zola que malgré son opposition à Napoléon, il avait le même goût avant-gardiste que lui, et dans Le Ventre de Paris, faisait dire à Claude Lantier comparant les Halles et l’Église Saint-Eustache : « le fer tuera la pierre ». Malheureusement c’est en l’occurrence la pierre qui a tué le fer, et les Halles de Baltard ont été détruites entre 1971 et 1973, tout cela pour construire d’une part le RER A, ce qui aurait pu se faire sans ce saccage, puis le Forum des Halles, une immondice architecturale qui réussira l’exploit d’être elle-même détruite et reconfigurée moins de quarante ans plus tard et vendue à un groupe immobilier (Westfield), alors que le pavillon de Baltard aurait très bien pu être transformé en quelque chose de beau et d’utile, voire en centre commercial d’une autre tenue (voir le succès de Time out Market à Lisbonne sur l’ancien Mercado da Ribeira). Au lieu de revaloriser un quartier devenu un repaire de drogués comme l’était la gare de Saint-Pancrace à Londres avant sa réhabilitation, on a choisi d’en faire un centre commercial, qui ne peut attirer qu’un public de traînards. Le personnel politique français et parisien du XXe et du XXIe siècle peut sembler ne pas être à la hauteur des grands hommes qui ont fait le Paris admiré du monde. L’admiration de Brigitte Macron pour Aya Nakamura et les filtres Snapchat utilisés lorsqu’elle sort dîner « entre filles » avec cette immense chanteuse et l’épouse de l’homme le plus riche du monde et propriétaire de la marque LVMH héritière du luxe parisien, peut, pour certains esprits chagrins dont j’ai le malheur de faire partie, ressembler à une déchéance à l’aune du rôle de feu l’impératrice Eugénie dans le choix d’une architecture révolutionnaire pour l’érection du Pavillon Baltard. Au risque de nous ridiculiser comme les Artistes contre la Tour Eiffel, nous dirons que l’érection que nous devons à l’impératrice Eugénie a plus de panache que celles que nous devons à la « Première dame » actuelle. Dans La Grande Arche, Laurence Cossé raconte l’histoire de la construction de la Grande Arche de La Défense, avec l’intrusion inappropriée du président de l’époque François Mitterrand, qui était loin d’être à la hauteur sur ce projet comme le fut son prédécesseur Napoléon III. Avec les meilleures volontés du monde – un architecte danois inconnu (Johan Otto von Spreckelsen) choisi de façon démocratique contre des architectes stars – ce projet a été un échec retentissant, comme nous pouvons le constater actuellement. Le marbre choisi contre l’avis des spécialistes a dû être remplacé par un granite qui se dégrade, ce qui aboutit au spectacle navrant de barrières métalliques devant des trous béants, tandis que les ascenseurs si audacieux sont condamnés, et qu’à l’heure actuelle le public est chassé du bâtiment, qui n’est plus qu’un vulgaire immeuble de bureaux squatté par des ministères.
Il faut reconnaître humblement qu’un avis tranché est risqué. La foule tout comme les plus illustres artistes se sont souvent trompés, là où un despote éclairé comme Napoléon III pouvait tomber juste. La caricature d’Albert Robida intitulée « L’Embellissement de Paris par le Métropolitain » (1886) révèle les craintes antérieures à la construction du métro à Paris pourtant postérieur à ceux de Londres ou Budapest. Pourtant notre Métropolitain s’est révélé un énorme succès. La lettre mémorable publiée par « Les Artistes contre la tour Eiffel » a ridiculisé pour l’éternité de grands hommes comme Guy de Maupassant, Alexandre Dumas fils ou Charles Gounod qui ont affirmé avec tous les ronflements possibles de la rhétorique qu’avec cette tour, Paris allait « s’enlaidir irréparablement et se déshonorer ». La modestie devrait nous pousser, plutôt que de se moquer d’eux, à rester prudents dans nos avis esthétiques tels que celui que je me suis permis d’exprimer supra. Si Mitterrand semble avoir eu un rôle nocif dans l’érection de la Grande Arche, Paris lui doit une initiative qui 40 ans après n’a pas pris une ride, la Pyramide du Louvre de Ieoh Ming Pei, qui pourtant avait suscité à son origine un scandale presque aussi retentissant que la Tour Eiffel. L’Arche et la Pyramide sont actuellement des icônes de Paris, sauf que celle-là semble vouée au pourrissement vu qu’elle ne constitue plus rien d’autre qu’un cadre dans le paysage. Notre modestie nous poussera-t-elle à soutenir les provocations d’Aurélien Bellanger quand il déclare que les « rectangles colorés des magasins géants et [les] constructions basses des entrepôts logistiques – des bâtiments architecturalement si neutres que nous refusions encore d’admettre […] étaient les seuls vrais monuments de notre époque indécise ». Les magnifiques cartes historiques de Paris sont-elles vouées au délitement ? Les 9 cartes du Traité de la police de Nicolas de La Mare publiées au début du XVIIIe siècle sont en elles-mêmes des monuments, et l’on peut s’alarmer des projets actuels de « grand Paris », romancés par Bellanger qui risquent de noyer la « plus belle ville du monde » dans des banlieues dont certaines sont de l’acabit de ce que fait mine de vanter le romancier.
Cela c’est le conjoncturel, mais n’y a-t-il pas un vice inscrit dans l’ADN de Paris ? Vice que révèle François Rabelais quand Gargantua se met à « compisser » les Parisiens et que ceux-ci prennent cela à la rigolade et en tirent une étymologie fantaisiste de la ville : « Par ris » (pour rire). Ils semblent prendre plaisir à se faire pisser dessus. Dans Paris, capitale du XIXe siècle. Le Livre des Passages, Walter Benjamin nous révèle un aspect peu connu des grands travaux souvent fort vantés du préfet Georges Eugène Haussmann, qui a certes façonné la beauté du Paris actuel : « Cependant il fait des Parisiens des étrangers dans leur propre ville. Ils n’ont plus le sentiment d’y être chez eux. Ils commencent à prendre conscience du caractère inhumain de la grande ville. » « les gens se nourrissent mal, pour pouvoir payer les loyers élevés ». Ce n’est pas que le Parisien qui se fait humilier et y prend plaisir. L’air du Brésilien dans La Vie parisienne d’Offenbach proclame sa jouissance étonnante à se faire voler à chacun de ses séjours à Paris, pourvu qu’il y rencontre des femmes : « Le pigeon vient ! Plumez, plumez… Prenez mes dollars, mes bank-notes, Ma montre, mon chapeau, mes bottes, Mais dites-moi que vous m’aimez ! » La violence publique est aussi inscrite dans l’ADN de Paris. La violence institutionnelle des exécutions publiques nous est transmise par les témoignages de Rétif de la Bretonne, ou de Mme de Sévigné avec l’exécution de la Brinvilliers en 1876.
La sauvagerie de la répression de la révolution de juin 1848 présage celle des manifestations de gilets jaunes, sauf que la version édulcorée des insurrections parisiennes selon Éric Hazan nous fait croire que c’est nouveau. Nous pouvons admirer à Paris une délinquance moderne à notre époque où le ministre de l’Intérieur n’a pas honte d’attribuer à des supporters britanniques les exactions inimaginables commises au Stade de France en réalité par une population locale semble-t-il incontrôlable et aggravée par l’attitude des forces de l’ordre. Rétif de la Bretonne identifiait « des Savoyards, des Auvergnats et des charbonniers », la population immigrée de l’époque qui menaçait selon lui la tranquillité publique. Le dessinateur Cirebox dénonçait dans Autoplus une « ville à la con endettée jusqu’au cou » avec « des travaux partout ». De cela de nombreux Parisiens se plaignent, ainsi que les Franciliens, les Français et les étrangers. Au vu du Paris que nous connaissons actuellement en période de Jeux Olympiques qui s’annoncent difficiles, il semble que les Parisiens s’en accommodent et qu’ils soient très fiers, en écho à Rabelais, qu’à cause de Paris, la France entière soit ridiculisée par exemple avec la questions des épreuves de triathlon des JO censées se dérouler dans la Seine. La personne qui occupe le siège de maire de Paris a beau balbutier des « gnagnagna » et promettre de se baigner elle-même dans la fiente de rats avec si ce n’est Brigitte en bikini, sinon Emmanuel Macron en slip exhibant ses biceps photoshopés, elle ne peut empêcher que de nombreuses délégations étrangères prévoient des traitements de choc pour éviter que leurs triathlètes ne soient contaminés par la résurgence subliminale de l’urine de Gargantua qui semble avoir atteint à vie le cerveau de nos édiles.
[Conclusion] [Bilan] Pour conclure, au risque de sortir de la neutralité exigée par des épreuves académiques, ce qui est difficile quand un sujet d’actualité nous est proposé, nous dirons que malheureusement la réputation immémoriale de Paris qui n’avait fait que croître du XVIe siècle jusqu’à l’âge d’or des expositions universelles, n’en est plus actuellement qu’à surnager tel un triathlète dans l’eau fétide de la Seine. Même dans l’esprit des étrangers, Paris ne survit que par l’ombre portée de ses heures de gloire des siècles passés, de la Tour Eiffel au French Cancan en passant par Gavroche. [Élargissement du champ] Paris en tant que ville est indissociable de Paris en tant que métonymie de la France, actuellement inaudible dans le monde car noyée dans une Europe qui ne prône plus que la guerre alors qu’on nous avait vendu une Europe de la Paix ; dans une Europe de la déchéance économique obligée de faire venir ses grues et ses machines outils de la Chine qu’elle toisait de haut naguère et devant laquelle elle tremble désormais. Vivement que nous revienne un aussi grand dirigeant que Louis XIV, qui fit raser les enceintes de ses prédécesseurs et vivre Paris et la France dans un siècle de paix et de prospérité jusqu’à la construction du mur des Fermiers généraux juste avant la Révolution, monument que personne ne regrette.
– Article repris sur Profession gendarme.
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[1] Le genre grammatical de Paris est aussi fluctuant (nec mergitur !) que celui de Chibritte ; on dit aussi bien « il » que « elle ». Dans le sens métonymique, le masculin est de mise : « Paris était réticent à cet accord ». Et bien sûr on pense au film de René Clément « Paris brûle-t-il ? »