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État des lieux du mariage altersexuel, pour éducateurs

Mariages et homosexualités dans le monde, collectif dirigé par Virginie Descoutures, Marie Digoix, Éric Fassin, Wilfried Rault.

Autrement, collection Mutations / sexe en tous genres, n°244, 2008, 224 p., 20€

mardi 3 juin 2008

Mariages et homosexualités dans le monde est le premier numéro d’une nouvelle collection « sexe en tous genres » dirigée par Louis-Georges Tin. Sous la plume de chercheurs en sciences sociales, l’ouvrage apporte une somme de connaissances et de réflexions sur les évolutions récentes de la question de l’union des « couples de même sexe » en Europe, en Amérique du Nord et en Afrique du Sud. On apprend beaucoup, et la pluralité des voix apporte une variété de points de vue dans ces « débats souvent passionnels » (p. 2). Un livre fort utile par exemple pour des élèves de 1re ES désirant faire un TPE sur ce sujet. Je tâcherai de rendre compte du contenu, avant de prendre cette recension comme prétexte pour porter un regard critique sur quelques articles, regard « passionnel », comme il se doit, autant vous prévenir ! L’ouvrage se divise en deux parties. La première : « L’institution des normes : des constructions politiques nationales » étudie l’évolution des différentes législations et les différences d’approche de la question selon les pays. La seconde : « L’expérience des normes : pratiques privées, espaces publics », s’intéresse à ce que les citoyens font des lois ainsi modifiées. Les derniers articles proposent une réflexion prospective.

Partie 1. L’institution des normes : des constructions politiques nationales

L’article de Marie Digoix consacré à la Scandinavie montre l’originalité d’un système politique novateur basé sur la « culture du compromis » (p. 24) qui le premier a su négocier le virage vers la reconnaissance des couples de même sexe, avec cette particularité du choix entre l’enregistrement « indifféremment à l’église ou civilement avec la même valeur légale » (p. 30).
En Belgique (article de Cathy Herbrand), l’arrivée d’une majorité laïque a « détach[é] le mariage de sa fonction procréatrice » (p. 36), tout en butant sur la question de la « présomption de paternité » [1]. L’auteure s’interroge sur la « reconnaissance de la pluriparentalité », présentée comme un thème « inabordable », car « la référence demeure la dyade » (p. 43).
Au Royaume-Uni (article de Jeffrey Weeks), le partenariat civil réservé aux couples de même sexe est très proche du mariage, mais paradoxalement, sans la double référence à la sexualité que constitue l’obligation de consommer et la notion d’adultère (p. 51). De plus, un « imbroglio juridique » existe en cas de changement de sexe d’un membre d’un couple : obligation de divorcer pour passer d’un statut à l’autre !
L’article de José Ignacio Pichardo Galán sur l’Espagne met l’accent sur le changement radical dans les mœurs sur lequel le gouvernement a surfé pour modifier toutes les lois sur la famille, notion clé au-delà des Pyrénées : « Si en 1973, seuls 3 % des Espagnols acceptaient l’homosexualité, en 2004, selon divers sondages, les deux tiers de la population étaient en faveur du mariage gai » (p. 64). Le terme de « diversité familiale » est avancé (p. 67), mais le pourcentage de mariages entre hommes ou femmes reste modeste : 2,16 % en 2006, même si la loi sur le divorce a été parallèlement revue. [2] On regrette que l’article oublie de préciser les modalités de cette réforme du divorce. On remarque, comme dans d’autres pays, que les couples féminins constituent un tiers seulement des couples de même sexe. On apprend avec plaisir que la notion de « diversité sexuelle » a inspiré une nouvelle loi sur l’éducation (p. 71). Dire que nous n’avons pu obtenir non pas du gouvernement mais de nos camarades militants que l’inscription du mot « diversité » dans le titre du Colloque du 16 mai 2007 contre l’homophobie et pour la diversité par l’éducation ! L’auteur remarque que quasiment personne ne réclame de loi sur les « partenariats enregistrés » qui permettrait d’« unifier les différentes lois régionales existantes ».
Aux États-Unis (article de Baptiste Coulmont), on sait que la question du mariage entre personnes de même sexe a donné lieu à une guérilla. On connaît moins l’existence d’une « sous-traitance religieuse de la célébration du mariage civil », qui a nettement informé le conflit. L’auteur fait le point et classe les églises, en liant la reconnaissance du mariage à celle de l’ordination des pasteurs, ministres, prêtres ou rabbins gais (qui « ne doivent pas avoir de relations sexuelles hors mariage » (p. 77)). Le point de vue des musulmans n’est pas abordé.
Un article de Judith Stacey et Tey Meadow « La polygynie au miroir du mariage homosexuel » compare la situation en Afrique du Sud et aux États-Unis. Le paradoxe est que dans ces deux pays, le rapport entre un libéralisme légal et même constitutionnel et une reconnaissance privée est inversement proportionnel. Il y a une opposition entre la reconnaissance de facto (États-Unis) et de jure (Afrique du Sud). Dans ce dernier pays, au nom de la reconnaissance des minorités, la polygynie est possible pour les noirs, ce qui interfère avec la promotion de l’égalité des sexes. Aux États-Unis, ce n’est qu’en 1967 que les interdictions de « mariages interraciaux » ont été définitivement abolies, et la polygynie des mormons est une bizarrerie qui nourrit le débat sur la polygamie et le mariage entre personnes de même sexe. [3] À côté de ça, ce pays a développé un véritable marché de l’homoparentalité, avec « banques de sperme commerciales » (p. 94), etc. Les auteurs remarquent que dans les deux pays, « des inégalités profondément enracinées de race et de classe contrecarrent les promesses d’égalité sexuelle et de genre » (p. 97).
Éric Fassin compare la situation aux États-Unis et en France, en montrant que là, « c’est le mariage qui est sacralisé », alors qu’ici, « la sacralisation porte sur la filiation » (p. 101). Il revient sur l’argument de l’« amour du même » qui avait été exhibé par certains opposants lors des débats sur le Pacs, en établissant un parallèle avec le développement des couples mixtes et la peur que cela suscite chez certains édiles. En fait, « c’est « l’amour de l’autre » qui est en butte aux soupçons et aux attaques, sous l’effet d’une xénophobie d’État » (p. 110). Il démontre comment, « prise dans le conflit des civilisations », la « démocratie sexuelle » peut confiner à un « racisme [qui] s’accommode mieux aujourd’hui de l’homosexualité que de l’homophobie » (p. 111).

L’expérience des normes : pratiques privées, espaces publics

S’appuyant sur Bourdieu et sur Erving Goffman (souvent cité dans l’ouvrage), Wilfried Rault analyse les effets produits en France par la possibilité de choix entre Pacs et mariage pour les homos et les hétéros, qui doivent louvoyer entre leur projet et l’image que s’en font les autres. Il est parfois difficile d’échapper à la « matrimonialisation » de l’image du couple gay, quand certains revendiquent un mariage traditionnel, si au contraire on souhaite fonder un couple plus minimaliste ! [4] Ce qui est décrit ressemble à une consumérisation du droit. On apprend également que, après un départ en fanfare, la part des Pacs entre personnes de même sexe est retombée à 7 % en 2006 [5]. 10 % des Pacs dissous le sont « suite à un mariage », pour des couples qui l’utilisent comme « engagement prénuptial ».
Frédéric Jörgens étudie les représentations que se font les personnes de l’engagement dans la vie de couple. Il remarque ainsi que les Allemands utilisent le verbe « se marier » pour le partenariat civil, alors que « se pacser » est utilisé en France, surtout quand on considère que le Pacs « ne porte pas le poids idéologique du mariage traditionnel ». À partir d’un panel de citadins des capitales européennes, y compris Rome où aucun statut n’existe encore, l’auteur conclut que « le cadre légal constitue bien une référence importante pour les projets de vie » (p. 138).
Un article de Line Chamberland et Christelle Lebreton étudie les changements introduits au Canada par les innovations législatives sur la perception des homos au bureau.
Ellen Lewin étudie l’influence de la parentalité sur le mode de vie des pères gais aux États-Unis, entre Javier qui éprouve le besoin d’afficher son homosexualité pour ne pas être assimilé comme hétéro par défaut, et ceux qui rompent avec la frivolité de la vie gaie : « la parentalité déstabilise leur identité gaie » (p. 163).
L’article de Virginie Descoutures intitulé « Les mères lesbiennes et la figure du garant » me fait tiquer. Pour des raisons de méthode, l’étude étant présentée comme portant sur « vingt-quatre familles […] en majorité adhérentes de l’APGL », ce qui me semble fausser le résultat ; et pour des raisons idéologiques. Cette étude abuse du charabia militant : on trouve toutes les dix lignes les mots « hétéronormatif », « hétéronormativité », « hétérosexisme », « police des genres », « intériorisation de la domination », « culpabilité intériorisée », « intériorisation de la norme ». D’autre part, un cas est monté en épingle, avec de longues citations de deux mères inséminées en Belgique, qui usent et abusent du terme « donneur de sperme ». La question des inséminations avec donneur anonyme est une bombe à retardement. Il est difficile de prévoir l’avenir, mais les gentilles militantes qui se posent en victimes risquent fort de se retrouver dans quinze ans avec des ados qui verront la chose sous un angle différent. À aucun moment dans l’article, le point de vue des enfants n’est adopté, comme s’ils allaient de toute évidence devenir des militants de l’APGL et ne pas être perturbés le moins du monde, à l’adolescence par exemple, par la question de l’origine du « don de sperme » à quoi ils doivent l’existence (ce don est-il anonyme, ou y a-t-il une procédure possible d’identification, comme pour l’abandon d’enfant ?). Même chez des hétéros, il est extrêmement violent, faut-il le rappeler, pour un enfant, d’apprendre qu’il n’est pas ce qu’il croyait être (cf. Les Dents du bonheur, de Dorothée Piatek). Mais pour certains militants chercheurs, il semble qu’une mère lesbienne, parce que femme, mère, et lesbienne, est forcément une sainte soustraite aux contingences… [6] C’est d’autant plus étonnant que, si l’ouvrage vante l’inventivité et le pragmatisme des sociétés scandinaves sur le mariage, il oublie de s’interroger sur les raisons qui auraient pu pousser une société si inventive, à rebours de la Belgique, à instaurer une « obligation de paternité » (p. 29)… Certes, un pays au monde, près de chez nous, autorise le don anonyme de sperme pour toute femme. Et quand un pays autorisera la vente de paillettes à Carouf, avec une promo pour pack de 12, sans doute faudra-t-il crier au progrès social sous peine de se voir taxer d’homophobie…
Plus intéressants me semblent les derniers articles. Celui d’Arnaud Lerch : « Réécrire le script ? Conjugalité et sexualité dans les couples gais non exclusifs », montre la convergence entre couples hétéros et homos, dans l’absence de cohabitation ou d’exclusivité sexuelle, et la disjonction de l’amour et de la sexualité. Il s’intéresse aux « scripts », ces conventions tacites en vigueur dans les lieux de rencontres permettant la coexistence d’une vie de couple avec des aventures purement sexuelles. Comme dans le 1er article de cette partie, il est parfois difficile d’échapper à la « norme hégémonique [de la] monogamie » (p. 187). L’article est convaincant, malgré sa conclusion qui, à l’instar de l’article précédent, nous ramène au cliché des « rapports de domination ». Cette autoroute de pensée fait abstraction du conformisme qui règne en maître chez nos frères humains, particulièrement français, et — soupir ! — autant chez les homos que chez les beaufs. J’en donnerai un exemple dans un autre domaine, en citant l’écrivain Jean-Paul Tapie qui se plaignait récemment sur son blog de ce que « Beaucoup de gays […] se targuent de ne jamais lire de romans gays [et] préfèrent Marc Lévy, Anna Gavalda, Guillaume Musso ». De même, beaucoup de gays, qui n’ont pas plus d’esprit qu’un pixel de TF1, n’imaginent pas qu’un « couple » puisse être autre chose qu’un clone de Tristan et Iseut. [7]
Le dernier article de Michel Bozon : « Les minorités sexuelles sont-elles l’avenir de l’humanité ? » est fait exprès pour les anti-mariage comme votre serviteur — qui rongeaient leur frein depuis le début ! — et cite non pas Goffman, mais carrément Foucault et Derrida [8]. Le premier, dans Dits et écrits prophétisait : « la culture gay ne sera pas simplement un choix d’homosexuels pour homosexuels. Cela va créer des relations qui sont, jusqu’à un certain point, transposables aux hétérosexuels » [9]. Le second, dans sa dernière interview publiée dans Le Monde du 19 août 2004, déclarait : « Si j’étais législateur, je proposerais tout simplement la disparition du mot et du concept de "mariage" dans un code civil et laïque. Le "mariage", valeur religieuse, sacrale, hétérosexuelle — avec vœu de procréation, de fidélité éternelle, etc. —, c’est une concession de l’État laïque à l’Eglise chrétienne — en particulier dans son monogamisme qui n’est ni juif […] ni […] musulman. En supprimant le mot et le concept de "mariage", cette équivoque ou cette hypocrisie religieuse et sacrale, qui n’a aucune place dans une Constitution laïque, on les remplacerait par une "union civile" contractuelle, une sorte de pacs généralisé, amélioré, raffiné, souple et ajusté entre des partenaires de sexe ou de nombre non imposé… ». [10] Il n’y a rien à ajouter, sauf peut-être la suite de cette déclaration, trouvée sur le site ci-dessus : « Quant à ceux qui veulent, au sens strict, se lier par le "mariage" – pour lequel mon respect est d’ailleurs intact –, ils pourraient le faire devant l’autorité religieuse de leur choix – il en est d’ailleurs ainsi dans d’autres pays qui acceptent de consacrer religieusement des mariages entre homosexuels. Certains pourraient s’unir selon un mode ou l’autre, certains sur les deux modes, d’autres ne s’unir ni selon la loi laïque ni selon la loi religieuse. Fin de la parenthèse conjugale. (C’est une utopie mais je prends date.) » Michel Bozon évoque tout au plus « un effacement des frontières entre hétérosexualité et homosexualité » (p. 200), mais on est loin des prophéties foucaldo-derridiennes.

Ronchonnages personnels sur le thème du mariage

Si cet ouvrage est une somme indispensable, qu’on me permette quelques griefs personnels, pour reprendre et prolonger le chapitre consacré au mariage dans mon essai Altersexualité, Éducation & Censure. Pour prendre la pose révolutionnaire (bien à l’abri derrière Foucault et Derrida qui sont de grandes marques de philosophes !) je dirai : « LGBT, encore un effort si vous voulez être altersexuels » ! Pour ceux qui ne sont pas familiers de ce site, les utopies évoquées par Michel Bozon peuvent tout à fait être ramenées à un mot dont j’ai justement tenté d’introduire l’usage en France en même temps que Derrida répondait à cette entrevue : altersexualité. Un mot qui aurait évité bien des circonlocutions, et bien des amalgames dans certains des articles de cet ouvrage. Ne serait-il pas plus exaltant de parler de « mariage altersexuel » plutôt que de « mariage des couples de même sexe » ? On ne manquera pas de remarquer comme souvent dans les grands discours militants, que l’étendard « LGBT » se réduit au fil des pages, comme un séchoir à linge rétractable qui vous échappe des mains, à sa portion congrue : « les gais et les lesbiennes » (p. 11, p. 68) ; « la plupart des gais, lesbiennes et transgenres sud-africains » (p. 89) ; « les couples et les parents lesbigais » (p. 93) ; les « pères gais » (p. 151) — sans oublier le sibyllin « homosexualités » du titre, fort révélateur de cet effet « séchoir à linge » !
Sur la question de la polygamie, on sent des réticences chez la plupart des auteurs, qui utilisent une stratégie de détournement lexical. Alors même que la notion de monogamie est omniprésente, il est question tantôt de « pluriparentalité », de « parents en plus » (p. 40), de « relations poly-amoureuses » (p. 56), de « mariage de groupe » (p. 83), d’une « polygamie » tribale réduite à la « polygynie » (p. 84), de « mariages pluriels » et de « bigamie » (p. 92), mais je ne trouve nulle part la définition d’une polygamie résolument altersexuelle qui reste à inventer, qui ne serait pas la possession de plusieurs femmes par un homme (polygynie), ni le contraire (polyandrie), mais la libre union d’un « nombre non imposé » (Derrida) de personnes [11]. A-t-on seulement réfléchi que cette vraie polygamie est la seule façon de promouvoir l’égalité des bisexuels (catégorie la plus oubliée des « LGBT ») ? Comment concilier la promotion du mariage LGBT avec l’obligation pour la personne B, et non L ou G, de renoncer à sa B pour être G ou L ou H pendant la durée du mariage ? Autant dire que la bisexualité n’aurait droit à l’égalité qu’en diachronie, et non en synchronie. Seule la possibilité du trouple, et mieux, du quadrouple, peut assurer l’égalité entre L, G, B et H (hétéro) ! Voici une phrase significative sur la négation de la bisexualité à l’intérieur même de la prétendue communauté LGBT : « Les gais et les lesbiennes noirs pourraient revendiquer la polygamie non seulement au titre de la clause d’égalité, mais aussi en tant que pratique coutumière » (p. 88). Que cette polygamie puisse être revendiquée au nom de l’égalité entre monosexuels et bisexuels est-il déjà parvenu à l’entendement d’un militant « LGBT » par le vaste monde ?
Mieux encore : quand en altermondialiste, on a le souci de la surpopulation croissante des centres urbains, n’est-il pas nécessaire de prendre conscience de l’intérêt écologique de promouvoir des formes de cohabitation qui aillent au-delà du couple ? Notre loi française interdit carrément la cohabitation de coépouses ; il y a même des circulaires pour organiser leur « décohabitation ». Certes il s’agit d’une mesure pragmatique liée non à un problème culturel mais à un problème économique de promiscuité. Mais il arrivera bien un jour, quand nous en serons à 80 ou à 100 millions d’habitants en France, où nous devrons légiférer a contrario pour interdire qu’un appartement soit habité par moins d’une personne pour tant de m2. Gageons qu’alors les pointes anti-polygamiques auront tendance à s’émousser ! L’article de Judith Stacey et Tey Meadow conclut sur ces mots : « Mais [les partisans des mariages pluriels consensuels chez les adultes de quelque genre que ce soit] n’ont à l’heure actuelle que peu de partisans, et leur nombre n’est guère susceptible d’augmenter dans les démocraties postindustrielles. » Pronostic à relativiser si l’on songe à l’évolution de 3 % à deux tiers en 30 ans des Espagnols favorables aux homos ou au « mariage gai » !
Quand il est dit dans l’intro : « [le Pacs] paraît aujourd’hui d’une modestie timorée au regard de la reconnaissance du mariage pour les couples de même sexe » (p. 9), je m’inscris en faux. Je reste persuadé que le Pacs, effectivement timoré non par rapport au mariage mais par rapport à ses premières moutures élaborées dans la fièvre militante, contient en germe la révolution évoquée par Derrida et Foucault, c’est-à-dire la laïcisation de la sexualité et l’invention d’autres liens. [12] Quand on songe aux cris d’orfraie des gauchistes médiatiques lors de la récente affaire du mariage annulé pour virginité, on s’étonne qu’ils ne profitent pas de l’occasion pour demander l’abolition du mariage : il semble que, dans leur raisonnement, cet homme et cette femme qui se sont rendu compte d’un malentendu post-primum-coïtum ne doivent pas être autorisés à annuler leur erreur de casting par la loi « républicaine », et doivent être forcés à vivre ensemble jusqu’à ce que mort s’ensuive. Il y aurait encore un parti de gauche en France, il sauterait sur l’occasion pour proposer au minimum une réforme de bon sens : soumettre mariage et Pacs à une clause de rétractation dans les huit jours, comme pour le démarchage à domicile. Mais non, nos brillants gauchistes français consacrent leur énergie à forcer un couple qui ne le souhaite pas à rester marié. Il faut dire qu’étant musulmans, il est presque impossible de les plaindre… La chose nous arriverait à nous, on serait super contents d’échapper à une procédure de divorce longue et coûteuse…
Il n’est fait aucune mention dans l’ouvrage d’une réforme qui aurait le mérite d’aplanir d’un seul coup bien des difficultés : la suppression de la mention du sexe dans l’état civil (et sur les documents d’identité) [13]. Voici qui résoudrait la question du mariage, et supprimerait les tracasseries administratives dont sont victimes les transgenres et les intersexes. Une revendication sans doute trop altersexuelle pour être seulement entendue au sein du mouvement « LGBT ». Elle est pourtant développée en toutes lettres dans l’Antimanuel d’éducation sexuelle, de Marcela Iacub & Patrice Maniglier (p. 320 / 322). On dirait que nos amis militants veulent se garder du boulot pour leur retraite !
Sur ces bons mots, je vous laisse. Cet article a bien sûr — les auteurs me pardonneront — largement dépassé le cadre d’une recension ; c’est dire si la lecture de ce livre est passionnante. Disons que vous venez de lire ma contribution nostalgique au 40e anniversaire de 1968 [14].

 Pour les passionnés des racines historiques du sujet, je signale un ouvrage absent de la bibliographie : Les unions de même sexe dans l’Europe antique et médiévale, de John Boswell (Fayard, 1996). Voir aussi des textes intéressants sur la question dans Le sexe et ses juges, ouvrage collectif du Syndicat de la Magistrature, notamment les arguments du magistrat Jean de Maillart. Lire l’article sur Le mariage gay, Les enjeux d’une revendication, de Thibaud Collin (Eyrolles, 2005).

 Ce livre fait partie des nombreux ouvrages que j’ai lus pour écrire mon essai Le Contrat universel : au-delà du « mariage gay ». Et si vous l’achetiez ?

Lionel Labosse


Voir en ligne : Éditions Autrement


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[1Principe juridique selon lequel « le mari d’une femme qui accouche est automatiquement désigné comme le père de l’enfant, jusqu’à preuve du contraire » (p. 38).

[2L’Espagne était d’ailleurs le pays au monde où le divorce était le moins fréquent : il touchait 0,4 % des couples selon l’Atlas de la sexualité dans le monde, de Judith Mackay (Autrement, 2000, p. 97).

[3Barack Obama, probable candidat démocrate à la présidence des États-Unis, est né d’un mariage interracial à Honolulu en 1961, et se présente comme sans religion, mais d’éducation musulmane. Sa personnalité va-t-elle le pousser à faire évoluer la société étasunienne sur ces questions ?

[4Sur ce thème l’un des ouvrages les plus profonds que j’aie lu est… Et maintenant, embrassez-vous !, B.D. de Ralf König (2005).

[5Pour 42 % en 1999 et 24 % en 2000 (p. 198).

[6Voir Nous, enfants d’homos, de Stéphanie Kaim, plus nuancé sur le sujet.

[7Jean-Paul Tapie déclarait aussi, dans une auto-entrevue publiée sur le site « Les toiles roses » : « en quinze ans, j’ai publié une douzaine d’ouvrages strictement gays. J’ai eu droit, dans Têtu, en tout et pour tout, à une interview pour la sortie du Fils de Jean. Et encore l’intervieweur a réussi le tour de force de ne même pas parler du livre. Ses préoccupations étaient ailleurs, comme le prouve sa dernière question : "Vous avez l’air obsédé par les gros sexes ?"… Ce qui est d’un intérêt captivant pour un éventuel lecteur, il faut bien l’admettre. Après ça, j’ai eu droit à une interview sur le site tetu.com au sujet de la saga Dolko, mais elle n’a pas été jugée digne d’être publiée dans les colonnes du magazine, entre le énième article sur Mylène Farmer et une enquête sur : "Les gays bronzent-ils mieux que les hétéros ?" ».

[8Non, pas Dalida : Derrida !

[9Cf. l’article d’Éric Fassin pour Vacarmes, en 2004 : « Lieux d’invention : l’amitié, le mariage et la famille ».

[10Cette déclaration fait l’objet d’une brillante analyse d’un point de vue chrétien signée « Th. C. » sur le site Liberté politique.com.

[11Voir cependant la mention des « Universalistes unitaires pour la conscience polyamoureuse », et de la série télévisée Big Love (p. 95), et l’évocation fugace des « utopies relationnelles » à la dernière page de l’article final…

[12D’un autre côté, quand je me souviens de l’expérience du Patchwork des Noms, qui dans le même contexte du sida avait permis de laïciser les funérailles, je ne peux que constater qu’il n’en reste quasiment rien, du moins en France. Les altersexuels n’ont pas forcément vocation à faire bouger l’ensemble de la société. Aux États-Unis, il semble pourtant que d’autres drames aient donné lieu à une adaptation du NAMES Project.

[13Si vous avez conservé vos anciennes cartes d’identité ou votre permis de conduire, vous vérifierez qu’avant Charles Pasqua, votre sexe n’y était pas indiqué.

[14Voir ce que Thierry Zedda disait à propos de mon dernier roman et de mai 1968…