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Je t’aime, moi aussi, pour adultes
Un Roman d’amour, enfin, de Cy Jung
Éditions Gaies et Lesbiennes, 2008, 126 p., 5 €
mercredi 4 juin 2008
Un an après Diadème rose, voici le nouveau roman de Cy Jung. La narratrice, âgée de 43 ans (p. 86), vit une crise existentielle après une rupture avec une « Mathilde » : « C’est comme si je ne t’avais jamais rencontrée, même si je ne regrette rien » (p. 5). Elle est accro à une fille, qu’elle désignera au fil des pages par un prénom différent à chaque occurrence. Elle doute à chaque instant, à chaque geste, à chaque parole, de la sincérité de la relation.
Il n’y a pas vraiment d’histoire, mais une accumulation de situations de la vie quotidienne qui sont autant d’occasions d’éprouver l’amour des personnages et la patience du lecteur. Parmi ces situations, préférence est accordée à la consommation de week-ends à la campagne ou de consommations dans des bars ou brasseries. Consommation de consommations, oui, et tout est consommé dans le pléonasme. Ainsi aux pp. 16/17 déguste-t-on jusqu’à l’indigestion la glace gargantuesque de la narratrice. Et puis il y a les discussions, dont le sujet devient vite la discussion elle-même, car la narratrice semble buter sur les mots, chercher la petite bête dans toute remarque anodine de sa compagne (ex. p. 24 : « elle me traite d’imbécile »). La sexualité est moins luxuriante que dans les opus précédents, même si on a droit à quelque scène de miction (p. 27).
« Et toi, tu es cap de vivre les choses simplement, en dehors de toute conceptualisation ? » disait un personnage de Diadème rose. À l’évidence, les deux héroïnes du présent opus en sont incapables, et même si la narratrice s’autocaricature (« La relation d’amour obéirait-elle au structuralisme de Piaget », p. 38), les tentatives désespérées d’analyse didactique pèsent lourd à la lecture, même quand la formulation se veut simple : « Aimer, c’est ne plus avoir peur » (p. 58) [1]. Cy Jung n’a d’ailleurs pas gâté cette narratrice, qui pousse sa compagne à porter plainte parce qu’un collègue a tenté de l’embrasser, ou qui flatte « notre bon maire » qui « a fait installer » des « nouvelles toilettes gratuites », ce qui donne lieu à une scène amusante avec un clochard qui revendique l’édicule Decaux. Elle lui fait reconnaître : « Ma mauvaise foi ne m’étrangle pas […] Je n’aime personne, pas même moi, surtout pas moi » (p. 77).
Des goûts et des couleurs
Quand vous n’aimez pas un livre, tout vous déplait. J’avais sincèrement apprécié Diadème rose, et il faudrait le relire pour savoir si le style était le même, ou si c’est uniquement le style qui m’a ennuyé dans ce petit dernier. Il y a des « défauts » mineurs, peut-être l’abondance des « que l’on », auxquels je suis rétif par nature (« Par où veux-tu que l’on aille ? » (p. 5) ; « [j’ai peur] que l’on s’ennuie ; que l’on ne s’entende pas » (p. 10)…), ou d’autres formules trop pesantes à mon goût : « sans que je n’aie fait la vaisselle » (p. 56), sans parler des collocations propres à la rhétorique gaucho-LGBT : « ordre bourgeois », « ordre économique et social » (p. 123). Je relie ces remarques à la légère erreur dans la citation du « Pont Mirabeau », p. 80, qui alourdit de deux « et » le texte d’Apollinaire. L’obsession des phrases courtes semble propre à ce roman, jusqu’au maniérisme : « Je bois deux longues gorgées puis une troisième. Je lui rends la bouteille. Jeanne boit à son tour. Je lui propose de porter le sac. Elle rechigne. J’insiste. Elle cède. Elle remballe la bouteille. Je passe le bras dans une bretelle. Amber m’aide à passer la seconde. Nous repartons. » (p. 22). J’entrevois ce que Cy Jung a voulu faire : une sorte d’équivalent narratif du pointillisme, une avalanche de menus faits primaires qui, si l’on prenait du recul, se teinteraient des nuances de l’amour. Mais mon esprit borné de solitaire tirant son kalachnikov dès qu’il entend le mot « amour », n’a jamais su prendre ce recul, et je n’ai vu dans la fresque pointilliste que la succession de petits points, ou au mieux un tas de points, selon le bon vieux paradoxe sorite. L’auteure en donne une bonne définition p. 34, en comparant sa relation à un morceau de jazz « sans rythme, sans lyrisme, monocorde, juste là pour donner une ambiance, imposer le calme, endormir, flétrir, amadouer ». Elle précise : « C’est si contraire à ce que j’ai vécu jusqu’à présent : des histoires où la passion se faisait fi des contingences […] sortait l’amour de toute réalité ». Eh bien ! justement, mon cœur racorni de solitaire invétéré appartient à cette race d’humains que les musiques d’ascenseur censées apaiser, exaspèrent. La succession folle des prénoms (jusqu’à dix par page, jamais le même !), censée — peut-être — évoquer l’impossibilité de se fixer dans l’amour d’un seul être, m’a aussi exaspéré, d’autant plus que les prénoms les plus ringards sont égrenés jusqu’à plus soif. Un des rares épisodes où ce personnage soit individualisé est pourtant celui où elle évoque les faux-fuyants réciproques de son père et d’elle-même pour ne pas dire son amour des filles. Bref, Un roman d’amour, enfin est le contraire d’un roman d’amour, enfin le contraire de ce qu’était Diadème rose.
Détail technique : signalons la nouvelle présentation de l’éditeur (qui a changé de propriétaire) : couverture plus soignée, prix attractif, mais peu de confort de lecture, avec des blocs de texte qui ne respectent pas la règle du « blanc tournant », et des « rectangles d’empagement » qui rognent les marges, pour tenir dans le format économique de 128 p. Réédition de Carton rose avec cette présentation.
Une petite précision quant à mon site. A priori je n’avais pas vocation à la critique littéraire pour adultes. Mais de fil en aiguille, il arrive parfois que des critiques faites dans une optique pédagogique sous l’égide du Collectif HomoEdu, aient engendré des relations cordiales ou amicales avec des auteur(e)s, qui me font l’amitié de m’envoyer leurs ouvrages. Constatant la quasi-nullité de la critique littéraire dans le merveilleux monde « LGBT » commercial (les seules vraies critiques sont le fait de sites Internet souvent amateurs), je fais pour les livres des autres ce que j’aimerais que les autres fissent pour mes livres : rendre compte de ma lecture. Cela d’ailleurs me prend un temps infini, et m’empêche de me consacrer à mes propres écrits. Un problème se pose quand le livre se trouve ne pas me plaire. En ce qui me concerne, je préfère une critique vacharde d’un de mes livres, au silence, que je trouve infiniment plus violent. Mais certains auteurs habitués à l’abondance ne supportent pas la moindre critique, surtout dans le monde à certains égards infantile de la littérature jeunesse. En l’occurrence, j’ai donc demandé son avis à Cy Jung, laquelle a confirmé qu’elle préférait une critique. Dont acte. Mais n’hésitez pas à critiquer ma critique ci-dessous… en respectant ma Déontologie critique…
– Voir le roman suivant de Cy Jung, Camellia rose (critique à paraître en septembre).
Voir en ligne : Le site de Cy Jung
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[1] Formule qui rappelle le titre du chapitre XIX du livre I des Essais de Montaigne : « Que philosopher, c’est apprendre à mourir ».