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Le tour des recherches actuelles sur l’altersexualité en 14 chapitres, pour les lycées
Une histoire de l’homosexualité, sous la direction de Robert Aldrich (2 : chapitres 8 à 14)
Seuil, 2006, 384 p., 50 €
jeudi 5 mars 2009
Voici la suite de la description de cette somme dans les chapitres qui méritent davantage le titre, puisque le chapitre 8 de Florence Tamagne commence à l’invention du néologisme « homosexualité ». Cependant les chapitres 12 et 13 adoptent une perspective géographico-historique, et le chapitre 11 propose une réflexion sur l’interculturalité. Sans nier le grand intérêt du texte autant que des illustrations, cette lecture sera un tant soit peu tatillonne sur la terminologie et certains raccourcis. Revenir aux chapitres 1 à 7
Chapitre 8 : L’âge de l’homosexualité, 1870-1940, par Florence Tamagne
« C’est au XIXe siècle que le sodomite, « criminel devant Dieu » […] laisse la place à l’« homosexuel », criminel contre la société, mais aussi « malade », « pervers », « dégénéré » relevant autant du cabinet du médecin que du tribunal. » (p. 167). Cela n’empêche pas l’époque de connaître aussi les troubles du genre, à l’instar de Frederick Park et Ernest Boulton (p. 171), couple de travestis prostitués qui défièrent la justice victorienne. Un tour d’Europe nous est proposé. En Allemagne l’affaire Eulenburg précède de peu le mouvement nudiste « Frei Körper Kultur » (FKK), et c’est l’âge d’or, avec ses à-côtés pas tous glorieux : « on compte 22000 prostitués à Berlin en 1929, souvent de jeunes ouvriers victimes de la crise économique ». « Pour la jeunesse des années 1920, apolitique, américanisée, la célébration du corps androgyne symbolise la rupture avec la génération qui a entraîné le monde dans la guerre. » (p. 186). Le lesbianisme est en général moins criminalisé, par peur de le faire connaître, sauf paradoxalement en Scandinavie, où le « désir féminin bénéficie d’une reconnaissance à part entière » (p. 187). Le chapitre s’ouvre sur le célèbre Portrait de la journaliste Sylvia von Harden d’Otto Dix (cf. ci-dessous), qui rappelle La garçonne ; voir le film Cabaret de Bob Fosse, qui présente à deux reprises (au tout début et bien plus tard) une évocation stupéfiante de ce tableau. Une fourchette de 5000 à 15000 personnes est donnée pour les déportations dans les camps de concentration, chiffre qui, si j’ai bien compris le paragraphe, inclut un petit nombre de lesbiennes parfois « placées d’office dans les bordels des camps ».
Pour compléter ce chapitre, lire un article érudit : « Résistance et homosexualité : une histoire non racontée » de Julian Jackson, sur le site Historia.
Chapitre 9 : L’action politique gay et la sphère publique après la Seconde Guerre mondiale, par Domenico Rizzo
Une photo d’un appareil électrique (p. 199) nous rappelle la vogue en psychiatrie de la « thérapie par aversion ». Cette méthode et d’autres plus douces pour « guérir » les homosexuels est symptomatique de l’après-guerre, où petit à petit les homosexuels eux-mêmes cessent de se haïr et de vouloir se « guérir », grâce notamment dans les milieux avertis, aux revues à faible tirage mais en connexion entre l’Europe et les États-Unis. C’est en réaction à l’oubli de l’homosexualité dans la Déclaration des droits de l’homme de 1948 que se créent des ligues de 1948 au Danemark et en Scandinavie. C’est l’époque où un peu partout on accuse les homos soit d’être communistes, soit de « menac[er] involontairement la sécurité nationale » (p. 205). Les fachos de tout poil s’en donnent à cœur joie. On peut voir une photo recueillie en 1964 dans des toilettes publiques de Floride par un ancêtre de la vidéosurveillance ! Les années 1970 sont l’âge d’or, avec divers mouvements comme en France le FHAR ou les Gazolines, puis l’émiettement du mouvement arrive avec les conflits entre les sous-groupes altersexuels ou sociaux. Le sida voit la réconciliation entre gays et lesbiennes.
Chapitre 10 : Amours féminines à l’ère contemporaine, par Leila J. Rupp
On retrouve comme dans le chapitre 6 la confusion entre homosexualité et transgenre, avec des femmes qui vivent comme des hommes ou épousent des femmes. Voir le cas de Edward de Lacy Evans. C’est la mode des « mariages bostoniens », comme celui des « Ladies de Llangollen ». On s’intéresse aux « hwames », chez les indiens Mohaves, « des femmes qui prennent des rôles masculins, qui peuvent épouser d’autres femmes et qui servent de père aux enfants que leurs épousent portent » (p. 226), mais aussi au « rekhti », genre poétique en urdu de la fin du XIXe, en Inde du Nord, qui consistait en des poèmes écrits par des hommes évoquant l’amour entre femmes (p. 236). L’auteure décrit des pratiques sexuelles de couples de femmes au Lesotho, en concluant : « Et ce ne sont pas des lesbiennes » : pour elle, une lesbienne est une femme qui définit son identité par ce terme. La terminologie est parfois ambiguë, faute d’utiliser la terminologie récente. Ainsi à la p. 244 est-il question de « travestis mâles » ! Le terme « FtM » est peut-être jargonnant, mais il a le mérite de la clarté !
Chapitre 11 : L’homosexualité révélée : comparaison entre les cultures et histoire de la sexualité, par Lee Wallace
Les études anthropologiques ont souvent eu une, dimension militante, parfois au détriment de la vérité scientifique. L’auteur cite le cas des travaux de Gilbert Herdt sur les « pratiques d’insémination entre mâles chez les Sambia de Nouvelle-Guinée », qui ont été plus ou moins remis en cause (voir cet article). Il revient sur des époques déjà abordées, ce qui nous vaut une superbe reproduction en grand format et en couleur de la fameuse et terrible gravure de Théodore de Bry représentant « Vasco Nuñez de Balboa [qui] lâche ses chiens de chasse sur 40 Indiens panaméens accusés de sodomie ».
L’auteur fait le tour des connaissances ethnologiques, et on apprend par exemple que « onek » chez les Kikuyu, désigne les hommes ayant le rôle insertif [1] avec d’autres hommes (voir cet article). Ces pages sont passionnantes d’un point de vue altersexuel : chez les Haoussa, selon Rudolf Gaudio, le mot kifi signifiant « lesbianisme » s’utilise dans des relations entre hommes où aucun des partenaires ne revendique de rôle « actif » ou « passif ». Selon Lee Wallace, les Européens des Lumières « essayaient d’expliquer, pas seulement de juger les coutumes sexuelles des autres cultures » (p. 262). Ce n’est pas évident, car l’auteur cité à la p. suivante, William Bligh, qualifie d’« actes choquants et contre-nature » le comportement des « Mahoo » (ou « mahu ») de Polynésie. Le point de vue est intéressant : « l’histoire de la rencontre des sexualités est une histoire d’échanges culturels au cours duquel les manifestations du désir érotique s’influencent l’une l’autre » (p. 269) [2].
Chapitre 12 : L’homosexualité au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, par Vincenzo Patanè
Ce chapitre souffre de légèreté. D’une part, la confusion y règne allègrement entre Arabes et musulmans, et les pays musulmans y sont vus en paquet, sans faire de différence entre l’Iran [3] et l’Indonésie ! La notion de « culture arabe » (p. 278) me semble assez floue quand on évoque alternativement tout l’Islam et le Maghreb. D’autre part, les références des citations manquent. Un exemple flagrant est l’allégation selon laquelle seule la sourate XXXIII, 30 du Coran mentionnerait le lesbianisme. L’auteur ne cite pas la sourate ! Or dans la traduction de Kazimirski, cette sourate donne : « O femmes du prophète ! si une d’entre vous se rend coupable de la turpitude qui soit prouvée, Dieu portera sa peine au double ; cela est facile à Dieu » ; et le mot turpitude signifie selon la note : « adultère » ! Cela mériterait au moins des explications… On apprend que les homos sont nommés nuwasi dans certaines parties du Maghreb en référence à Aboû Nouwâs. Un panorama expéditif des poètes nous laisse sur notre faim. Quand l’auteur signale « l’importance de la barbe et de la moustache » dans l’islam, il oublie que dans certains pays très musulmans tels que l’Iran, ces attributs sont rarissimes (sauf au journal de 20h de TF1, bien sûr, où dès qu’il est question d’Iran on ne montre que des barbus pourtant ultra-minoritaires dans la foule iranienne !) De nombreux romans ou films sont nommés, avec un choix original qui témoigne d’une connaissance approfondie. On apprend que le grand tour cher à la bourgeoisie friquée du début du XXe siècle, était surtout destinée à baiser loin des lunettes orthosexuelles. J’aime bien la locution « a bed and a boy » (p. 293) censée être le cri du mâle européen arrivant dans un hôtel méditerranéen ! J’aime aussi la citation de Joe Orton : « Tous les jours j’ai la compagnie de beaux garçons de quinze ans qui trouvent (pour une petite somme) que baiser avec moi est une expérience délicieuse » (p. 298). À noter l’existence de l’association étasunienne Gay and Lesbian Arabic Society signalée en fin de chapitre.
Chapitre 13 : Désir d’intimité entre individus du même sexe en Asie, par Adrian Carton
L’auteur explore principalement les cultures chinoise, japonaise et indienne. Pour la Chine, voir mon article Le Yin, le Yang et le Gai. Dans les temps modernes (dynastie Ming), « l’association entre homosexualité et théâtre était étroite », « Les acteurs interprétant les rôles féminins, appelés tan, possédaient un statut inférieur, tandis que les acteurs assurant les rôles masculins, nommés sheng, jouissaient d’une plus grande considération » (p. 309). Dès la dynastie Qing, une certaine tendance à la répression de la sodomie se fit jour. Le lesbianisme était invisible. Au Japon, l’institution du nanshoku (ou « wakashudo ») est étudiée, ainsi que les histoires de moines bouddhistes ou chigo, qui « donnèrent aux amours masculines un statut sacré, quasi surnaturel » (p. 313), aboutissant aux rapports pédérastiques des samouraïs entre « nenja » (l’aîné) et « chigo » (le cadet, dit aussi « wakashu »). La spiritualité japonaise s’est coupée de ses influences chinoises, accordant davantage d’importance à la sexualité considérée comme « un exutoire utile » (p. 314). Le théâtre kabuki à partir du XVIIe siècle fut joué non plus par des femmes mais par des hommes, et confina à la prostitution masculine. En Inde, l’évocation de « l’amitié cosmique » entre Arjuna et Krishna me laisse sceptique, à moins qu’on ne la rapproche du soufisme. Une lecture de la Bhagavad-Gita dans la récente traduction de Marc Ballanfat (Garnier Flammarion) me confirme que rien dans ce texte ne justifie sa présence dans cette histoire de l’homosexualité, même s’il est rappelé que, à l’instar d’Achille, « Arjuna se déguise en femme pour apprendre la musique et le chant à la cour du roi Virata » (p. 323). L’hindouisme présente de nombreuses références androgynes ou transgenres [4]. L’auteur signale des mots anciens comme kliba ou pandaka désignant des « danseurs à cheveux longs impuissants sexuellement ». En évoquant le Kama-Sutra, il signale la distinction entre « pénétreur » et « pénétré » (qui rappelle l’innovation récente « insertif ≠ réceptif »). Le Manusmiriti, recueil de préceptes religieux, condamne l’homosexualité dans une formule amusante : « Un homme né deux fois qui commet un crime contre-nature avec un homme ou a un rapport sexuel avec une femme dans un chariot tiré par des bœufs, dans l’eau ou en plein jour, se lavera dans ses vêtements » ! (p. 327). Un peu cool, comme homophobie ! Plus récemment, dans l’Inde musulmane, un certain Mutribi Samarqandi écrivit paraît-il en persan un ouvrage intitulé Les Garçons blonds et bruns consacré aux beaux esclaves…
Chapitre 14 : Le monde gay, de 1980 à nos jours, par Gert Hekma
Moins de nouveautés évidemment dans ce dernier chapitre, qui donne le tournis par le grand nombre de pays inventoriés en une seule page (pourquoi reprendre ici de manière encore plus expéditive les pays déjà évoqués dans le chapitre 12 par exemple ?). Je n’avais jamais su que le sida avait d’abord été nommé Gay-related immune deficiency en 1982. Une large place est donnée à cette pandémie, et notamment pour ce qui est des illustrations, au fameux Names Project, qui n’est bizarrement jamais désigné par son nom mais par celui de sa réalisation, le « Mémorial Quilt ».
La volonté de tout traiter en un espace réduit conduit à des phrases dont on se demande l’intérêt, comme celle-ci, assortie d’aucune explication : « On a même avancé récemment qu’Adolf Hitler aurait été homosexuel » (p. 351). Une note renvoie simplement à un livre paru en… 2002, comme si cette allégation était une nouveauté (le genre de formule-choc qu’on ressort tous les 15 ans pour vendre du papier, un peu comme la fameuse histoire de la paternité des œuvres de Molière attribuées à Corneille). La fin de l’article est engagée, l’auteur y signalant que « Les années 1980 et 1990 virent l’apparition de dirigeants gays de plus en plus conservateurs », arguant la revendication du mariage, et le fait que « ce type d’activistes veut aussi débarrasser le mouvement gay de ses marginaux, tout d’abord des pédophiles, mais aussi des drag et des pédés cuir, des hommes qui draguent dans les lieux publics, parce qu’ils nuisent à l’image des homosexuels » (p. 356) Un subtil historique de la mise à l’écart des mouvements pédophiles est proposé, avec ce paradoxe : « les hommes prennent conscience de leur homosexualité de plus en plus tôt, et le recul de l’âge de consentement à une relation sexuelle les empêche d’accéder au monde gay » (p. 359). Il signale aussi en Europe des dirigeants de partis d’extrême droite ouvertement gays, comme Michael Kühnen ou Pym Fortuyn. L’expression « le premier transsexuel homme vers femme à être élu dans un parlement fut Georgina Beyer, en Nouvelle-Zélande » révèle un travail de relecture et de coordination assez léger : quand on est poli avec ces dames, on écrit « la transsexuelle » ! Le pompon est décroché avec cette sortie, dans un paragraphe consistant à démontrer que « le monde gay a tendance à se scinder en sous-groupes ». Parmi lesdits sous-groupes, il y aurait « des transgenres qui veulent passer pour des gens de l’autre sexe » ! Allez, messieurs les historien(ne)s gays et lesbiennes, encore un effort si vous voulez être altersexuels !
Voir en ligne : L’histoire de l’homosexualité, selon Scandy
© altersexualite.com 2009
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[1] C’est moi qui utilise ce mot car les auteurs, comme dans le domaine transgenre, ne remettent guère en question le vocabulaire usuel, et le mot utilisé ici était « actif ».
[2] Voir à ce sujet mon article sur La Comédie indigène, de Lotfi Achour.
[3] On trouve p. 285 un paragraphe expéditif sur l’Iran, estimant que « depuis 1979, plus de quatre mille personnes ont été exécutées pour homosexualité », prouvant que l’auteur n’a guère approfondi ses recherches sur ce pays.
[4] Voir l’article d’Alain Daniélou : Shiva : Aspects et légendes du dieu.