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Opéra, musées & roll-mops.

Berlin, capitale altersexuelle !

Notes de séjours à Berlin, 2014-2018.

samedi 15 décembre 2018

Hambourg, Cologne, Munich, Dresde, Francfort, voici les villes d’Allemagne que j’ai eu l’occasion d’arpenter plus ou moins en profondeur. C’est au terme d’un 3e séjour à Berlin que je suis en mesure de vous proposer ce petit article sur une ville qui dispute à Vienne, Amsterdam, Londres ou Barcelone le titre de capitale altersexuelle. Avant le tragique retour de bâton du nazisme, on peut même dire que Berlin avait déjà été dans les années 1920 la première capitale altersexuelle, avec les activités de Magnus Hirschfeld, son Institut de sexologie, et la liberté de mœurs dont témoigne dans son « Adieu à Berlin » Christopher Isherwood qui en connut l’apogée et la chute, nouvelle adaptée en comédie musicale puis sous la forme du célèbre film Cabaret de Bob Fosse (1972). De nombreuses autres œuvres de tous types témoignent de cette époque révolue. Que ce soit avant ou depuis la réunification, Berlin est redevenu un petit paradis de liberté sexuelle. Rassurez-vous, cet aspect ne constituera qu’une partie congrue de cet article, reléguée après les aspects culturels. À moins que vous ne souhaitiez passer le turel et aller directement au cul ? Si je continuerai à faire des séjours de temps en temps à Berlin, c’est surtout parce que c’est une ville où l’on peut sans se ruiner assister à des concerts ou des opéras.

Plan de l’article
Sur les traces des juifs à Berlin
Les trois opéras de Berlin
Autres découvertes culturelles
Berlin au fil des rues
Berlin altersexuel

Sur les traces des juifs à Berlin

C’est par le Musée juif de Berlin (inauguré en 2001) de Daniel Libeskind que j’ai envie de commencer cet article. Sur le conseil d’une collègue de « génie civil » de mon nouveau lycée, je l’ai visité lors de mon 3e séjour, et une série de hasards en a fait une clé de ma redécouverte de Berlin. En effet, j’avais fait un premier séjour en compagnie de mes parents en août 2014, et un second séjour bref au week-end de l’Ascension en 2016. À la toussaint 2018 j’y ai donc passé une grosse semaine, histoire d’approfondir. Le Musée juif est un ensemble de deux édifices, un bâtiment classique qui abrite des expos temporaires, un patio abrité d’une structure en verre, et donne sur un jardin, et un bâtiment moderne en zigzag de Daniel Libeskind, rare exemple d’architecture symbolique. Si le côté symbolique peut parfois sembler lourd, ce bâtiment présente des points forts inoubliables. On y accède par un escalier qui s’enfonce depuis l’ancien bâtiment, et la visite commence en souterrain (premier symbole). Trois allées s’entrecroisent, axe de l’exil, axe de l’holocauste & axe de la continuité. L’axe de l’exil mène au jardin du même nom, espace qui multiplie les symboles et déstabilise l’esprit comme le corps. Sur un plan incliné s’élèvent 7 rangées de 7 tours rectangulaires de béton contenant de la terre & chacune un olivier. J’y ai lu là-bas que le pilier central contiendrait de la terre d’Israël, alors que l’article de Wikipédia dit le contraire, mais on peut lâcher les symboles et se contenter de ressentir. On se sent effectivement en déséquilibre permanent parce que le plan est incliné & que la vue ne peut guère trouver d’assiette entre ces hauts piliers couronnés d’oliviers qui peinent à croître. Je ne suis pas spécialiste, mais le concept de Daniel Libeskind et de l’ensemble du musée me semble plutôt proche des idées de gauche défendues par Shlomo Sand dans Comment le peuple juif fut inventé, car à aucun moment Israël n’est présenté comme l’origine mythique du peuple juif, mais plutôt comme une terre d’exil de fortune, centrale certes, mais qui ne remplace pas la disparition des foyers d’avant l’exil. De même d’ailleurs l’exposition temporaire actuelle (dans l’ancien bâtiment) que j’ai eu l’occasion de visiter, consacrée à la ville de Jérusalem, dont le point de vue est assez critique sur la politique de l’État d’Israël.
Le nouveau bâtiment présente plusieurs « voids », espaces vides censés symboliser l’absence. Celui qui m’a le plus ému, c’est celui que jonchent les 10 000 « feuilles mortes » (Shalechet) de Menashe Kadishman. Ce sont des disques de métal rudimentaires percés chacun de 4 trous pour les yeux, la bouche et le nez, et qui symbolisent plus qu’ils ne représentent les visages de myriades (c’est en ce sens qu’il faut à mon avis prendre le nombre de 10 000) de victimes de la barbarie humaine, notamment nazie (l’artiste a dédié son œuvre non seulement aux juifs assassinés par les nazis, mais aussi à toutes les victimes de la violence & de la guerre). Comme l’espace se trouve tout en haut de la partie visitable du bâtiment, et qu’il n’est pas forcément très connu, vous vous retrouvez très peu nombreux sur place, voire seul, et vous êtes invité à marcher sur ces visages. C’est une des expériences artistiques & mémorielles les plus intenses qu’il m’ait été donné de vivre. Le crissement des disques de métal sous vos pas résonne terriblement sous la voûte du void, et c’est une façon si simple, intime, pudique & terrifiante d’évoquer le génocide, que je ne peux en dire plus sinon vous recommander de ne pas manquer cette visite. On est à la frontière de la sculpture & de l’installation, car le génocide nous mène à la frontière de l’humain comme de tous les arts (voir Les Disparus de Daniel Mendelsohn qui nous mène à la frontière du roman). Il y a d’autres installations ou sculptures, qui peuvent sembler fades face à celle-ci. C’est ainsi que je suis passé rapidement devant une installation constituée de bouts de meubles à moitié enfouis dans le sol, dont je n’ai pas noté le nom, impossible à retrouver. J’y ai repensé plus tard lors de mon séjour…

« Feuilles mortes » (Shalechet) de Menashe Kadishman.
Musée juif de Berlin.
© Lionel Labosse

J’ai parcouru assez rapidement la riche exposition consacrée à Jérusalem, qui aurait mérité une plus longue visite, mais on ne peut approfondir tout ce que l’on voit quand on voyage, et puis mes lacunes en anglais me handicapent pour la visite des expositions où il y a trop à lire. Cela m’a rappelé mon séjour en Palestine et ma visite de Jérusalem. J’ai regardé avec intérêt l’œuvre Sabbath 2008 de l’artiste israélienne Nira Pereg. Il s’agit d’une vidéo de moins de 8 minutes, qui montre comment des juifs ultraorthodoxes bouclent un quartier entier avec des barrières métalliques pour empêcher toute circulation. Il n’y a pas de son direct, mais l’artiste a construit la bande son avec le crissement de ces barrières sur le bitume. C’est tout à fait significatif de ce que l’on peut voir effectivement dans certains quartiers de Jérusalem (même si je n’ai pas assisté à ce phénomène car j’étais à Tel Aviv au moment du shabbat), et dans le cadre du musée, les crissements de ces barrières font un étrange écho aux crissements des « feuilles mortes » de Menashe Kadishman. C’est dire si le musée juif n’est pas consensuel. La salle consacrée au mur des lamentations présente trois groupes de personnes en conflit, les femmes qui revendiquent de pouvoir prier comme les hommes, les Neturei Karta, juifs antisionistes & pro-palestiniens et les ultra-orthodoxes anti-palestiniens.
Les lieux de mémoire sur la Seconde Guerre, qu’ils soient ou non consacrés entièrement au génocide juif, ne manquent pas. Cela n’énervera que ceux qui ignorent que sous la dictature nazie à partir de 1933, les camps de concentration puis d’extermination, émaillaient la région de Berlin. Il existe actuellement sans doute moins de lieux de mémoire dans la région qu’il y eut de lieux de persécution & de massacre. Et les établissements scolaires ont besoin de ces lieux pour réaliser leur indispensable travail éducatif. En ce qui me concerne, j’ai visité trois de ces lieux. Je vous déconseille la Topographie de la Terreur, à Potsdamer Platz, parce qu’il y a trop de monde, vous ne pourrez pas obtenir d’audioguide, et ce n’est pas terrible, sauf l’espace extérieur où vous pourrez voir une des portions préservées du mur, mais vous pouvez aussi bien voir celle du Mémorial du mur de Berlin, qui me semble plus pédagogique. Non, les deux endroits que je vous recommande, sont d’une part dans Berlin intramuros, le Mémorial de la Résistance allemande, très pédagogique, avec audioguide gratuit en français (et plus facile à se procurer qu’à la Topographie de la terreur). Le point est fait sur les modestes tentatives d’Allemands de se rebeller contre la dictature. De la Rose blanche aux deux attentats contre Hitler, dont le dernier sur place, qui après son échec entraîna l’exécution de ses fomentateurs, dans la cour du bâtiment, où une sculpture de Richard Sheibe rend hommage à Claus von Stauffenberg, chef du complot. Le second lieu de mémoire incontournable vous demandera un investissement temporel légèrement supérieur : c’est la Villa de Wannsee qui, en janvier 1942, fut le lieu de la Conférence de Wannsee où une bande de fils de putes décidèrent entre poire & fromage de la « solution finale ». J’ai photographié cette villa à l’architecture néoclassique nunuche, avec sa cheminée à chérubins, où ces ordures prirent ces décisions monstrueuses. Il est utile qu’un lieu de mémoire comme celui-ci existe pour rappeler aux générations actuelles que des gens prétendument bien éduqués peuvent se révéler des monstres sanguinaires & délirants. En plus de l’expo pédagogique (audioguides gratuits en français) il y a des salles de réunion à disposition des enseignants, et une bibliothèque.
À quelques minutes à pied vous pourrez en profiter pour visiter la maison du peintre juif et donc forcément « dégénéré » Max Liebermann (1847-1935), qui mourut avant de connaître le pire, dans ce havre de paix qui donnait également sur le lac. Le jour de ma visite j’eus la chance de tomber sur une expo consacrée à la reconstitution d’une exposition que la ville de Londres consacra, à l’été 1938, à l’art allemand dit « dégénéré » par les nazis. Il était interdit de photographier les œuvres, mais j’ai noté entre autres, un autoportrait d’Oskar Kokoschka en artiste « dégénéré ».
Quelques jours plus tard, j’ai fait un petit parcours signalé par le guide Lonely Planet, sur la « mémoire juive de Scheunenviertel ». On commence devant la Nouvelle synagogue de Berlin, puis on passe devant une ancienne école juive de filles, devenue galerie d’art et restaurants, le « Beth café », restaurant casher, une école de garçons, un ancien cimetière, etc. Ce qui m’a frappé c’est que la synagogue et le restaurant étaient ceinturés par des barrières & rubans interdisant de circuler sur le trottoir devant, et gardés par des policiers, ce qui en dit long. Malgré certaines affirmations selon lesquelles des juifs s’installent à nouveau à Berlin, leur présence est peu visible, et insuffisante pour assurer un trafic qui rende ces lieux vivants. Lors de ma visite du musée juif, je n’ai pas croisé une seule personne portant quelque insigne religieux que ce soit. Lors de cette promenade j’ai vu aussi une « maison manquante » de Christian Boltanski, semblable à celle qu’il a réalisée au Musée d’art et d’histoire du judaïsme. Mais l’œuvre la plus émouvante est La Pièce déserte (Der Verlassene Raum) de Karl Biedermann, sur la Koppenplatz. Une table et deux chaises, dont une renversée. Cela m’a rappelé l’œuvre que j’avais trop rapidement écartée au musée juif, surtout qu’entretemps j’avais assisté à un magnifique spectacle, ce qui nous amène à notre deuxième chapitre.

Les trois opéras de Berlin

Lors de mon second séjour en mai 2016, j’avais déjà eu l’occasion d’assister à un concert dans la mythique salle de la Philharmonie de Berlin. Quand je passais mon bac de français (ça ne nous rajeunit pas !) en 1982 donc, je me souviens que je m’étais livré à une ascèse de deux ou trois semaines entre la fin des cours & l’examen (cela n’arrive plus maintenant avec la « reconquête du mois de juin », qui enlève aux élèves le temps de réviser et fait terminer les cours juste avant l’examen), travaillant mes textes du matin au soir, ne quittant ma chaise que pour manger, à une seule exception : j’étais allé à Paris au théâtre du Châtelet faire la queue pendant plusieurs heures pour obtenir une place pour voir Herbert von Karajan diriger son orchestre. Je ne me souviens plus du programme (symphonie de Tchaïkovski je crois), mais de cet homme voûté à la crinière grise. Et quand au guichet j’avais demandé une seule place, je m’étais fait engueuler par les gens derrière moi, car le nombre de places étant limité à deux par personne, j’aurais pu en prendre une autre ! Bref, je ne suis pas du tout devenu un mélomane, mais assister à un concert dans cette salle mythique avait du sens. Salle magnifique, extérieur et intérieur. J’ai appris à mes dépens deux mots d’allemand lors de cette soirée : « rechts » et « links ». En effet, je m’étais dirigé tout seul dans le dédale du bâtiment pour trouver ma place, et je m’étais assis au bon rang & au bon siège. Tout allait bien et j’admirais la salle & le ballet des spectateurs qui s’installaient, jusqu’à la dernière minute avant le début du spectacle, où des gens m’ont fait signe qu’ils réclamaient ma place. Je leur ai montré mon billet, et ils ont pointé du doigt le mot « links ». Là, j’étais côté « rechts » ! Il fallut que je galopasse par le dédale des escaliers jusqu’à l’autre bout de cette immense salle, pour m’asseoir à la bonne place juste avant le début du concert, surtout qu’en Allemagne ça ne rigole pas, on commence à l’heure ! Je crois que c’était la première symphonie de Beethoven, et j’y suis même allé deux fois. C’est une des plus anciennes salles modernes, où les spectateurs sont disposés tout autour de l’orchestre. J’étais aussi déjà allé à l’Opéra-Comique de Berlin, où j’avais assisté aux Noces de Figaro dont je garde un bon souvenir. Je me souviens d’une scène où des tonnes de pommes contenues dans un énorme cube étaient brusquement dispersées depuis le centre de la scène ! Eh bien c’est à nouveau dans cet opéra comique que j’ai assisté au plus mémorable spectacle des 5 que j’ai vus pendant ces 9 jours sur place. Il s’agit de Un violon sur le toit (1964), de Jerry Bock joué en l’occurrence sous le titre Anatevka. Cette comédie musicale est adaptée des œuvres de Cholem Aleikhem (1859-1916), auteur que j’avais découvert dans l’anthologie L’Humour juif à l’occasion de mon voyage en Palestine. J’avais donc hâte de découvrir ce spectacle que le hasard me proposait. J’y ai retrouvé peu des extraits que j’avais lus dans l’anthologie en question, mais un magnifique spectacle superbement mis en scène (par Barrie Kosky). Il inclut une chanson devenue un standard, « Si j’avais des millions » reprise entre autres par Charles Aznavour. Vous pouvez comparer avec cette version de la mise en scène berlinoise. Je n’ai pas trouvé sur Internet de vidéo du magnifique finale, l’exode des juifs chassés d’Anatevka. La mise en scène partait d’une armoire dont sortaient tous les personnages, puis présentait sur un plateau tournant la maison de la famille des juifs comme un édifice de meubles. Puis quand on apprenait que les juifs devaient fuir contre leur gré leur shtetl, ils amoncelaient ce qu’ils pouvaient de ces meubles, que de bonnes âmes leur volaient, et les voilà fuyant sur une charrette avec leurs manteaux pour tout bien. C’est là que j’ai compris un peu tard ce que l’œuvre dont je n’ai pas noté le nom au musée juif, et la sculpture de Karl Biedermann signifiaient : toute la différence entre le bien immeuble et le bien meuble. Le juif, c’est celui qui ne possède qu’un bien meuble, en gros ses armoires mais surtout lui-même, condamné à se transporter de continent en continent au gré des pogroms. Dans un tout autre contexte, je fais le rapprochement avec cette citation du Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède de Selma Lagerlöf, qui conclut que ce qu’il y a de plus suédois dans la terre de Suède, ce ne sont pas les constructions toutes vouées à disparaître aussi prestigieuses soient-elles, mais l’âme du paysan. Si j’avais vu ce spectacle plus tôt, j’aurais peut-être fait des rapprochements dans mon roman M&mnoux, qui raconte aussi l’histoire d’un village à travers ses habitants, tragédie en moins.
L’autre grand opéra de Berlin côté Est, est le Staatsoper Unter den Linden, actuellement dirigé depuis 1992 par Daniel Baremboim (né en 1942), un musicien juif très actif pour la paix, à qui ses efforts en faveur des Palestiniens ont valu d’obtenir un passeport palestinien ! J’ai réussi à voir le sommet de son crâne, ayant pris une place sans visibilité qui restait en vente pour Médée de Luigi Chérubini. Pour aggraver mon cas, il y avait un asiatique mélomane qui, au rang de devant de ce 3e balcon, s’aplatissait de tout son long pour voir le plus qu’il pouvait, se foutant complètement de ce qui se passait derrière lui… J’ai fini par partir à l’entracte car en plus du fait que je ne voyais rien, le spectacle, basé sur la pièce de Corneille, et donc sur les règles du théâtre classique français, ne présentait que du bavardage, en français dans le texte (mais incompréhensible). Le lendemain, j’ai vu par contre, et avec de meilleures places, un merveilleux spectacle, Il trovatore de Verdi. Là on en avait pour son argent, il y avait un tas de morts sur scène à la fin, façon Hernani, avec cette pièce d’un romantisme tardif, et la mise en scène était superbe, basée sur une sorte de cube constitué de carrés qui parfois se décomposaient en projections vidéos. Joli travail de précision. La chef d’orchestre était une jeune femme, fait rare.
La meilleure salle pour le confort du spectateur est le Deutsche Oper Berlin, inauguré en 1961, et qui est le modèle de l’Opéra Bastille en France. Le plan de l’orchestre est incliné, et les balcons sont prolongés par des loges suspendues sur les côtés, de sorte que tous les spectateurs, quel que soit le tarif choisi, voient le spectacle, et non la tête ou le dos du pékin assis devant eux, contrairement aux salles à l’italienne. Il faut dire qu’à l’opéra comique, bien que j’eusse pris une bonne place au 7e rang de l’orchestre, je n’ai vu pour moitié du spectacle que la nuque de la grosse gretchen qui se situait devant moi, et qui éprouvait le besoin de se balancer de droite à gauche à tout instant pour mieux voir (alors que le type devant elle ne bougeait pas). Bref, j’y ai vu deux spectacles qui ne m’ont pas enthousiasmé. Lohengrin ; c’était la première fois que je voyais un opéra de Wagner. Cela m’a paru long, et la mise en scène & les costumes un peu ternes. D’autant plus long que pour cet opéra de 3h30, on avait prévu deux longs entractes, ce qui allongeait la sauce à 4h30. Sachez qu’en Allemagne, encore plus qu’à Prague, Vienne ou Bratislava, on bouffe et on picole à l’opéra. Il y a bar à tous les étages, et pour gagner du temps, vous pouvez commander votre collation avant le spectacle, qui vous attend à l’entracte sur une table dédiée, en couple, en famille ou entre amis. Les spectacles ont lieu assez tôt (19h30 souvent) et cela permet de tenir jusqu’au soir. Je suis retourné dans cet opéra voir une représentation du Requiem de Verdi, cette fois-ci sans entracte, ouf ! Mais je n’ai trouvé aucun intérêt à la mise en scène façon comic strip, où des personnages fantasques défilaient de gauche à droite ou le contraire, sans que ce soit ni comique ni tragique. La basse était engoncé façon hot-dog dans un cylindre qui parcourut la rampe de la scène de gauche à droite pendant la durée du spectacle, tel un curseur de vidéo sur Youtube. Bon, moi qui avais eu cette année 2018 un certain rapport avec la mort, je n’ai pas trouvé l’émotion… Pourtant selon les avis des mélomanes ce requiem a toujours été considéré comme une œuvre lyrique se prêtant à la mise en scène…

Autres découvertes culturelles

J’avais déjà arpenté en 2014 le jardin du château de Charlottenburg, mais j’ai pu le visiter entièrement en 2018, ce qui prend la journée ou presque. En dehors de l’architecture du début du XVIIIe, les richesses artistiques sont considérables. Les trésors sont un Embarquement pour Cythère (1718) de Watteau, réplique de son Pèlerinage à l’île de Cythère (1717) du Louvre, et l’une des 5 versions du Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard de David, avec celle du Belvédère de Vienne, celle du Château de Malmaison et celles du Château de Versailles, dont une qu’il faut dorénavant aller voir au Louvre Abou Dabi… Au Neuer Pavillon, vous avez un Caspar David Friedrich, La Croix au-dessus des rochers (1810), et le Mausolée du château de Charlottenbourg recèle de magnifiques gisants. Mais ce qui m’a le plus ému est une couple de bibliothèques sous vitrine posée comme ça dans une salle banale du château. En m’approchant, j’ai découvert que la quasi-totalité des livres étaient en français, avec un grand nombre d’œuvres de Voltaire, éditions d’époque, des traductions du latin, et dans la partie inférieure en avancée, les 35 volumes de l’édition de base de notre Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers. C’est sans doute la bibliothèque de l’ami de Voltaire Frédéric II de Prusse dit Frédéric le Grand, témoignage de ce que le siècle des Lumières français apporta de plus grand & de plus utile au monde. C’est la première fois de ma vie qu’il m’a été donné de contempler ce monument, dans une simple vitrine d’un château, pas vraiment mis en valeur. C’est une photo que j’ai montrée à mes élèves à mon retour.

Bibliothèques du château de Charlottenbourg. L’Encyclopédie et œuvres de Voltaire.
© Lionel Labosse

Si vous avez encore de l’énergie vous pouvez enchaîner sur trois musées qui se trouvent à l’entrée du château, le musée Bröhan, dont la collection permanente fort intéressante est consacrée à l’art nouveau et au design du tournant du siècle. J’eus l’opportunité de voir une expo temporaire consacrée à George Grosz, peintre qui n’a pas encore de musée personnel. La plupart des œuvres étaient issues de collections privées, dont The painter of the Hole II (1950), peinture inquiétante de sa période new yorkaise, dont je publie une photo ci-dessous car elle est assez peu présente sur Internet.

George Grosz, The painter of the Hole II (1950)
© Lionel Labosse / Musée Bröhan

Juste à côté vous avez le Musée Berggruen, riche en artistes du début du XXe, Picasso, Giacometti, Braque, Matisse… Dans le jardin qui sépare ces deux derniers musées, une sculpture remarquable de Thomas Schütte, United Enemies, représente des couples d’hommes empaquetés et ficelés, fichés sur des tripodes (cf. mes photos). Dans le même genre, j’ai vu de très loin le monumental Molecule Man de Jonathan Borofsky. Encore d’excellents sculpteurs contemporains dont on ne verra aucune œuvre à Paris… En face est le musée Scharf-Gerstenberg, qui ne bénéficie pas encore d’un article en français sur Wikipédia, mais où la collection, certes moins époustouflante que le voisin d’en face, vous permettra d’admirer des dessins de Victor Hugo, mais aussi des œuvres étonnantes comme Le Suceur (« Der Sauger », 1903) d’Alfred Kubin (ce n’est pas ce que vous croyez !)
L’île aux musées est un incontournable. L’accès aux 5 musées coûte 18 €, mais il est impossible de tout voir en un jour. Lors de mon 2e séjour j’avais juste visité l’Alte Nationalgalerie, consacrée au XIXe siècle. D’Adolf von Hildebrand, j’avais kiffé l’Homme debout (1884) et le Garçon buvant (Trinkender Knabe, 1870, photo ci-dessous).

Adolf von Hildebrand, Garçon buvant (Trinkender Knabe, 1870)
© Lionel Labosse / Alte Nationalgalerie Berlin

J’avais aussi repéré les Sirènes d’Arnold Böcklin. Lors de mon 3e séjour j’ai pris un ticket pour visiter les 4 autres musées de l’île. À l’Ancien musée, j’ai admiré le « Garçon priant » (Rhodes, 300 av J.-C), et quelques œuvres d’une sorte de cabinet érotique à la façon du musée de Naples. Repéré aussi une magnifique mosaïque de Tivoli du IIe siècle représentant deux centaures combattant des félins. Mais le morceau le plus virtuose est peut-être le Sarcophage de Médée. J’adore les deux statues équestres qui flanquent l’entrée du musée, une femme & un homme guerriers. Au Nouveau musée, la collection égyptienne est fort riche. Un scribe, une Statue cube, le bronze de l’éphèbe de Xanten (Xantener Knabe, Ier siècle). Au Musée de Pergame, la Porte d’Ishtar de Babylone (VIe s. avt JC) est bluffante, avec ses chimères en carreaux de céramique. Il y a aussi une mosaïque de Milet du IIe s., avec un bel Orphée, sa lyre et ses oiseaux. Au Bode-Museum j’ai repéré quelques crucifixions pour compléter mon article.
Mais Berlin possède aussi au sein du Kulturforum, une pinacothèque de premier ordre, (Gemäldegalerie), où s’admirent de nombreux chefs-d’œuvres, comme la Fontaine de jouvence de Lucas Cranach, une Léda et le cygne fort coquine du Corrège (1531) et au moins trois autres crucifixions anonymes de 1er ordre, dont une du XIVe, parmi les plus anciennes comportant le détail des soldats jouant aux dés la tunique du Christ. Coquine aussi la Dispute sur l’immaculée conception, du début du XVIe, de Guillaume de Marcillat, dont vous trouverez sur ce blog une analyse érudite. Petit détail amusant qui vaut pour toute l’Allemagne : comme dans presque tous les musées du monde, les étiquettes d’identification des œuvres sont écrites en tout petit et collées juste à côté du tableau, tout en bas (à croire que les conservateurs de musées sont tous des gens jeunes ignorant le problème de la presbytie), mais la spécificité de l’Allemagne est que si le presbyte se baisse pour savoir ce qu’il admire, il se fait immédiatement engueuler par un(e) gardien(ne) de salle aimable comme une porte de prison qui lui ordonne de respecter la ligne imaginaire qui protège l’œuvre. Ce que l’esprit pratique est quand même une qualité peu répandue par le monde ! Cette matière ne semble figurer dans aucun programme scolaire !
Une excursion d’une journée vous mènera bien sûr au Palais de Sanssouci à Potsdam. Je l’ai visité lors de mon premier séjour, sous une pluie battante. Choisissez un meilleur temps, car le parc est immense !

Berlin au fil des rues

On peut bien sûr se faire photographier au côté de superbes gaillards censés représenter des GI à Checkpoint Charlie, et acheter des souvenirs de la guerre froide pour offrir à tante Ursule. Les mugs avec le petit bonhomme vert des feux de circulation de Berlin Est (Ampelmännchen) est aussi un must côté cadeaux (et photos) souvenirs ! Côté sculpture, les édiles locaux semblent prendre cet art au sérieux depuis longtemps, comme en témoigne la fameuse sobrement intitulée Berlin des époux Martin et Brigitte Matschinsky-Denninghoff, édifiée juste avant la réunification, qui devait témoigner de la séparation, et qui a vite pris un nouveau sens ! Les mêmes ont aussi créé dans le même style une autre statue intitulée Herkules. Je n’ai pas pu voir la sculpture Boxers de Keith Haring, en réfection lors de ma visite de 2018. La Fernsehturm de Berlin est-elle une sculpture ? En tout cas, vu la hauteur moyenne assez basse de l’habitat berlinois, elle est très visible depuis de nombreux quartiers, et elle dépasse souvent en fond de nombreuses photos prises à l’autre bout de la ville ! C’est un des rares monuments de l’époque communiste qui soit resté, avec les superbes tramways jaunes, dont le réseau demeure majoritairement dans l’ancien Berlin-Est, tandis que les métros, U ou S-Bahn, parcourent toute la ville. Le métro qui dessert la Bernauer Straße présente une exposition sur les stations fantômes de l’époque de la séparation, juste à côté du Mémorial du mur de Berlin, dont une partie à ciel ouvert se visite à tout moment. C’est la portion préservée de l’ancien mur la plus longue. Pour contempler la ville de haut, vous avez l’embarras du choix, entre le Palais du Reichstag (il faut s’inscrire pour visiter gratuitement la fameuse coupole de verre de Norman Foster) ; la Cathédrale de Berlin, la Kollhoff-Tower avec son coûteux « panoramapunkt ». Bien sûr, si vous n’êtes pas revanchard, vous vous taperez la Colonne de la Victoire, entendez de notre débâcle contre ces cochons de Prussiens en 1870 ! Dans et autour du Großer Tiergarten, vous trouverez des mémoriaux aux diverses catégories de victimes du nazisme, les roms, le Mémorial aux homosexuels persécutés pendant la période nazie, et bien sûr l’émouvant Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe. En parlant d’homos, le parc demeure un lieu de drague gay, nuit et jour, surtout dans son extrémité ouest. Le street art est très bien représenté à Berlin. Vous avez pas mal de fresques visibles à partir ou autour des lignes de métro, comme le Ring, ou bien à l’Est de la ligne U1 (Kottbusser Tor à Schlesisches Tor). C’est d’ailleurs depuis le pont de ce métro qui enjambe la Spree que vous pouvez voir de loin Molecule Man, si vous n’avez pas le temps de l’approcher. Attiré par un encadré du Lonely Planet, je me suis rendu dans un quartier éloigné, Chamissoplatz, pour admirer l’un des derniers urinoirs octogonaux, dits Café Achteck, du Berlin XIXe (voyez une photo dans cet article). Il a dû s’en passer de belles là-dedans ! Au petit cimetière de Dorotheenstadt (entre le muséum d’histoire naturelle et la synagogue), je suis allé voir la champêtre tombe de Brecht, proche de celle de ce bon vieil Hegel. Il existe à Berlin 6 cités du modernisme de Berlin classées au patrimoine mondial de l’Unesco. Je suis allé admirer la cité ouvrière Wohnstadt Carl Legien de Bruno Taut, à Prenzlauer Berg. Les technocrates qui décident actuellement de la construction de l’habitat social à Paris devraient s’en inspirer pour apprendre l’existence de l’invention appelée « balcon », et de l’existence de fenêtres qui ne soient pas des meurtrières. Les architectes allemands des années 20 savaient cela… Et n’oublions pas pour boucler la boucle de cet article, qu’au fil des rues on bute sur les fameux Stolpersteine, pavés de métal encastrés dans le sol signalant le lieu d’habitation d’une victime juive du nazisme. En voici une.

Stolpersteine signalant le lieu d’habitation de victimes du nazisme
© Lionel Labosse

Mais comme à Londres et à peu près partout dans le monde sauf en France, on peut aussi trouver pour le commun des mortels, des Memorial benches.
Le Stade olympique de Berlin, où furent organisés les fameux Jeux de 1936, flanqué de la piscine toujours en service (où je n’ai pas encore eu l’occasion de plonger, mais ce sera pour la prochaine fois !) constitue aussi une belle visite-promenade en dehors du centre. Ce qu’il y a de sympa d’ailleurs c’est qu’il est situé sur la Ligne 2 du métro de Berlin (Ruhleben-Pankow), qui dessert un nombre incroyable de lieux d’intérêt, des opéras au stade, en passant par l’Alexanderplatz et la Potsdamer Platz, ce qui vous permet d’aller aussi à la Philharmonie, etc. Je vous conseille de choisir un hôtel desservi par cette ligne, prolongée par un bus de nuit aux horaires très réguliers. Le zoo de Berlin est un des plus riches du monde en espèces variées, avec celui de Vienne. Immanquable pour les enfants !

Berlin altersexuel

On se rappelle la phrase de Florence Tamagne dans Une histoire de l’homosexualité, selon laquelle « on compte 22 000 prostitués à Berlin en 1929, souvent de jeunes ouvriers victimes de la crise économique ». Ce genre de chiffre est toujours étonnant. Prostitués pour femmes ou pour hommes, ou les deux ? Prostitués de métier, ou simple activité d’appoint ? J’aimerais bien connaître les statistiques sur la prostitution masculine en France en 2018… Quel pourcentage de mes étudiants de BTS ont un profil d’« escort » sur les réseaux gays pour financer leurs études… Mais c’est le genre de trucs qui est censé ne pas exister, car qu’on se le dise : en France, prostitution = domination masculine, exploitation des femmes, malheur, tragédie, pas glop du tout. Prostitution masculine y’en a pas exister. Bon, à part ça, parmi les choses qui sont censées ne pas exister, il y a les lieux dédiés à la sexualité entre hommes non mariés. Ben oui, la mode occidentale actuelle, c’est le mariage, la respectabilité gay. Les lieux de drague entre hommes doivent faire profil bas parce qu’un homosexuel c’est un truc respectable susceptible de devenir quelque chose comme maire, ministre ou d’être épinglé de la légion d’honneur. Une anecdote significative : j’avais pris l’habitude depuis mes deux premiers séjours berlinois & mes autres séjours dans des capitales d’Allemagne, d’y acheter la dernière version du guide Spartacus, le guide gay mondial n°1 édité par l’éditeur allemand Brunos. Il convenait de le renouveler fréquemment vu la vitesse à laquelle les établissements gays ferment & ouvrent par le vaste monde. Or en cet automne 2018, à la boutique Bruno de Berlin, on m’apprend que le guide n’existe plus en version papier. Je venais d’ailleurs de constater que le sauna de Berlin où j’étais allé lors de mes précédents séjours, présenté à l’époque en termes dithyrambiques dans ledit guide Spartacus, était fermé suite à un incendie en février 2017, dans lequel trois personnes perdirent la vie, à cause d’une cigarette. Je l’ai su grâce à un site gay. Or si vous allez sur la page dédiée aux saunas de Berlin dudit site Spartacus, vous apprenez qu’il existe un seul sauna à Berlin, point barre. Or l’ironie du sort veut qu’il y en avait existé trois jusqu’en 2017, et que l’un a fermé, l’autre a brûlé. Mais pour les gays clients de Spartacus, cela n’a même pas existé. Les trois connards qui y ont laissé la vie, qui figuraient peut-être parmi leurs clients, cela n’a pas existé pour eux. Attitude tristement révélatrice du monde gay occidental dominant. Pour ces gens-là, seul le fric existe, et le seul gay qui les intéresse est le jeune mec mignon de moins de 30 ans. Le reste peut crever devant eux, cela n’existe pas. Eh bien en ce qui me concerne la seule chose qui me réjouisse est la disparition de ce genre de cloportes, comme en France le torchon Têtu, qui était une saloperie du même style, malheureusement pas remplacée par un média digne de ce nom. La scoumoune veut que le regretté PREF mag qui était le concurrent dudit torchon, mais un journal indépendant créé par de vrais journalistes et non la propriété d’industriels intéressés uniquement par le pouvoir & l’argent (la crapule Pierre Bergé en l’occurrence, mort en 2018, paix à son âme) ait fait faillite juste avant que Têtu disparaisse. C’est vraiment malheureux, mais regardez sur Internet combien peu nombreux sont les sites gays qui, comme celui sur lequel vous êtes en ce moment, jouent le jeu collectif & renvoient à d’autres sites, mettent en valeur des artistes altersexuels autres que ceux qui sont déjà diffusés ad nauseam par les médias de masse ? Nous mourons de cette indifférence…
Bref, je me suis donc rendu dans ce désormais unique sauna de Berlin, pour y trouver la même attitude « courgettes & poireaux » qui se rencontre à peu près partout dans le monde gay. Berlin se caractérise cependant par le plus grand nombre à ma connaissance de clubs & bars gays dans une capitale, et avec les dépliants publicitaires qu’on trouve ici ou là, il est à peu près impossible de savoir à l’avance sur quoi vous allez tomber. La plupart du temps, c’est un endroit minuscule & dépeuplé, et le gay européen moyen étant en général très grégaire, plus le lieu est nul, sale, exigu, plus il sera bondé, alors que les lieux spacieux, propres, accueillants, seront déserts ! Vous prenez votre bière, vous restez dix minutes, et vous allez au bar suivant. Il serait tellement simple que la moitié de ces bars fusionnent avec le bar mitoyen ! Ajoutez à cela que la loi anti-tabac permet aux établissements d’autoriser les clients à fumer ou non. Résultat : 100 % de ces bars mouchoirs de poche sont fumeurs, et lorsque vous en sortez, vos vêtements empestent. Que trois types soient morts dans un sauna à cause d’une cigarette, on préfère l’oublier et continuer comme avant. Bref, cette Mecque des mecs ne l’est que pour les gens initiés. En ce qui concerne les quartiers gays, c’est quand même mieux que Vienne, bien sûr.

 Au cinéma, Berlin est très présent. En dehors du célébrissime Allemagne année (1948) zéro de Roberto Rossellini, Billy Wilder, réalisateur américain d’origine juive autrichienne, a consacré deux films à Berlin. La Scandaleuse de Berlin sort en 1948. Ce n’est pas un chef-d’œuvre, mais on peut à nouveau y vérifier que Marlène Dietrich chante et danse comme ci, comme ça. Les femmes y sont traitées comme des cruches, mais ce n’est pas cela qui nous intéresse, c’est la vision post-apocalyptique d’un Berlin en ruines à tous niveaux, maintenu à bout de bras par les États-Unis, avec des Allemands compromis qui tentent de se maintenir à flots coûte que coûte. On sent la jubilation de Wilder de prendre cette revanche sur les nazis qui l’ont forcé à quitter l’Europe. Un, deux, trois (1961) est une des comédies les plus réussies de l’histoire du cinéma, en tout cas je la place dans mon Top 10. Le tempo s’accélère, et la deuxième heure du film compte sans doute 4 gags par minute. On peut constater à 13 ans d’écart, le progrès de Berlin ouest et la stagnation de l’Est, dont l’énergie se dilapide à défiler contre les « yankees ». Mac Namara (interprété par James Cagney) y campe un chef d’entreprise (représentant berlinois de Coca-Cola) qui parvient à régler toutes les situations les plus improbables en deux temps, trois mouvements (d’où le titre), et ne s’étonne de rien, avec sa foi indéfectible au capitalisme. Dans un registre bien plus sérieux et pas du tout berlinois, le même Billy Wilder est l’auteur du premier documentaire sorti à propos de la libération des camps de concentration. Death Mills (1945), que l’on peut visionner sur l’article de Wikipédia, contient des images insoutenables mais qu’il faut soutenir, d’autant que filmées et projetées en 1945, elles rivent le clou aux négationnistes qui glosent sur Nuit et Brouillard (1956). À noter que (sauf inattention) je n’ai pas entendu le mot « juif » dans ce film, pourtant œuvre d’un juif autrichien qui savait de quoi il parlait. J’avais déjà relevé ce type de réticence pudique chez Samuel Fuller. À l’opposé, Wilder est encore l’auteur de Stalag 17 (1953), une comédie dramatique consacrée à une évasion d’un camp de prisonniers de guerre étasuniens en Allemagne. Otto Preminger, le réalisateur juif, y campe un irrésistible colonel nazi qui dirige ce camp, et l’on peut admirer le sang-froid de ces artistes qui parviennent à se surpasser pour faire de l’humour sur de tels sujets. De Billy Wilder, mais très parisien, voir aussi Irma la Douce. Rareté, le tout premier film auquel Wilder collabora comme scénariste, Les Hommes le dimanche (Menschen am Sonntag), film muet allemand réalisé en 1929 par Robert Siodmak et Edgar George Ulmer, avec la collaboration de Wilder comme scénariste et assistant réalisateur, offre aussi une vision de Berlin, mais d’un Berlin populaire, avec quand même la colonne de la Victoire (comme dans les deux films ci-dessus). Comme Irma la Douce, ce film me fait penser à Zazie dans le métro de Louis Malle pour cette façon de filmer une grande ville dans son intimité non touristique.

 En littérature jeunesse, Swing à Berlin de Christophe Lambert (Bayard jeunesse, 2012), témoigne de certains aspects de la propagande nazie, et évoque les mouvements de résistance allemands au nazisme, Rose blanche, etc.
 Le musée juif a donné lieu à un certain nombre d’articles érudits, parmi lesquels celui-ci.

 Mes photos que vous trouverez en lien ci-dessous sont sans doute un peu mélangées car Dropbox les classe par numéros, et sur trois séjours successifs, les numéros ne sont pas dans l’ordre !

Lionel Labosse


Voir en ligne : Photos de Berlin


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