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Galéographie en chat mineur
Mémoires d’un chat des villes, d’Alain Gravelet
Éditions Poonaï, 2008, 110 p., 11,8 €
jeudi 16 avril 2009
Voici un sympathique petit roman anthropomorphe sur un couple parisien et ses chats. L’auteur est le compagnon du photographe Crocus. Plongée dans l’intimité d’un couple gay — sans grande indiscrétion (soupir !), ces Mémoires sont paradoxalement plus intimes quand le détour d’une phrase révèle ce que Pierre Bourdieu nomme habitus de classe : portrait, donc, de l’homo parisianus vulgaris, à travers le regard d’un innocent charrateur.
Focalisation féline
Le petit chat voit les choses de son point de vue : « une famille d’humains logeaient chez nous » (p. 8). À peine sevré, il échoit à un couple d’hommes : « Le premier s’appelait Alain et le second avait un nom étonnant et bucolique, Crocus » (p. 11). Il s’agit d’un « couple multiethnique » (p. 55), ce qui fait rêver ; mais non, ils ne sont que deux ! Ces humains adoptent des chats à la pelle, les remplaçant au fil des disparitions. Notre charrateur se nomme Kochka, les autres Neko ou Mèo, nom du chat en diverses langues. Les chats fournissent parfois comme une discrète allégorie de l’alterparentalité : « L’instinct maternel que porte tout chat en lui s’était réveillé, et il s’occupait de moi comme l’aurait faite (sic) une bonne mère » (p. 19). Pourquoi « maternel » ? Quand Néko et Kochka auront un petit de la chatte qu’ils auront honorée de conserve, ils ne se préoccuperont point « de savoir de qui il était le fils » (p. 81).
Chats machos
Mèo est « sexuellement déviant » : il se tape deux chiens en peluche — ouf ! — ce qui nous vaut une appréciable moralité à double entente : « Prendre un chien en peluche pour partenaire avait de nombreux avantages, pas besoin de chatte, […] pas besoin de demander si madame est disposée, aucun risque de se retrouver avec une portée de gamins et pas de baffe après le coït » (p. 30)) [1]. La philogynie ne semble guère endémique dans l’appartement, car quand un ami introduit une chienne, elle subit une attaque biologique massive d’adjectivite aiguë : « femelle surexcitée et hystérique » ; « grognements effrayants et baveux » (p. 63). Quelque temps plus tard, une chatte vient déranger l’équilibre du couple de chats, et ce n’est guère mieux : « Néko et moi étions exténués de ne pas dormir, de peu manger, et aussi par nos performances, bien sûr. Patsy, fidèle à elle-même, continuait à nous vider de notre substance » (p. 70). On respire yang avec les chats quand enfin cesse cette surdose de yin !
Anthropomorphisme
Chacun des deux compagnons a son chat (et sa peluche ?) On l’aura compris, on ne s’embarrasse pas de vraisemblance, dans la lignée du bon La Fontaine : « Je me sers d’Animaux pour instruire les Hommes ». D’ailleurs « Chat » et « Homme » ont souvent une majuscule. Si le titre fait vaguement allusion à la célèbre fable de La Fontaine « Le Rat de ville et le Rat des champs », les chats évoqués dans ce livre sont résolument citadins, tout au plus explorent-ils les appartements circonvoisins au prix de quelque vol plané. Quant aux ceusses qui croiraient que par le regard de ce charrateur ils se transformeraient en petite souris pour épier les ébats des deux humains, ils en seront pour leurs frais : à peine apprend-on qu’ils se livrent à des « démonstrations […] un peu partout dans l’appartement » (p. 68) ; pour le reste, une vague allusion par-ci, par-chat.
Mon avis
Malgré ses défauts de jeunesse, sa scatologie gratuite [2], ses nombreuses coquilles, notamment sur les imparfaits du subjonctif qu’Alain à la manie de « coller tous les trois paragraphes » (p 74), ce premier roman est fort sympathique, et constituera un cadeau idéal pour tante Ursule — ou tonton Michel — qui aime beaucoup les chats mais ne comprend pas encore très bien pourquoi vous restez depuis quinze ans avec le même colocataire, pourquoi vous partagez les frais de croquette, et pourquoi vous partez aussi en vacances ensemble ! En effet, les choses sont claires, mais discrètes.
La comparaison avec Une Vie de chat, d’Yves Navarre est instructive. On retrouve de nombreux motifs semblables, à l’exception de l’autobiographie d’un écrivain professionnel, ce qui n’est pas le cas d’Alain Gravelet, dont le métier n’est évoqué que par petites touches. Et quelques différences amusent, par exemple le fait que chez Navarre, la castration n’empêche pas le matou d’honorer sa « Tiffany », bien au contraire. La fin, par contre, est empreinte d’une semblable intuition. Vous verrez !
L’album des chats des villes
Le roman est complété d’un petit album de photos en noir et blanc et en couleurs, prises par les deux compagnons, agrémenté d’extraits du roman (prix : 11, 9 €). On y découvre les prochagonistes, mais rien de graveleux (eh ! oui, mille fois hélas, le charrateur n’est pas encore chatographe !) : par exemple, les chiens en peluche figurent, mais le chat, cabotin, ne fait que dormir avec. Les plus provinciaux d’entre vous découvriront aussi cette institution (pas seulement) parisienne qu’est le « balcon filant » (p. 32). Je suis d’ailleurs fort jaloux, car moi aussi j’ai un balcon filant que naguère, à l’instar de nos chats, j’enjambai, ayant oublié mes clefs sur la porte, depuis l’appartement voisin, dont les anciens propriétaires ont laissé la place à une véritable couvée de minous des deux sexes, dont hélas aucun n’a enjambé la rambarde à son tour pour s’incruster sur ma couette et y laisser ses poils !
Voir en ligne : Voir le site des éditions Poonaï
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[1] Les zoophiles trouveront sur le site des éditions Poonaï une vidéo de ces scènes que la morale réprouve… Nous déclinons toute responsabilité au cas où d’innocents enfants verraient cela !
[2] « laissant les litières se remplir et se vider au rythme du temps qui s’écoulait », p. 93).