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Tout savoir sur les transgenres, pour éducateurs et étudiants.

Changer de sexe, d’Alexandra Augst-Merelle et Stéphanie Nicot

Le Cavalier Bleu, 2006, 189 p., 22 €.

vendredi 6 avril 2007

Cet ouvrage passionnant comble une lacune éditoriale. Il est un des premiers à dresser un panorama des transgenres complet et non pathologisant. Sa lecture est hautement recommandable aux jeunes transgenres, aux parents de transgenres, aux professionnels de santé, mais aussi à tous les « cisgenres » qui veulent enrichir leur connaissance de ces concitoyens particuliers victimes d’une discrimination tenace, loin des stéréotypes entretenus par l’ignorance et les médias de masse.

Ce documentaire sur les transgenres propose en une vingtaine de chapitres de mieux connaître cette communauté, ses peines mais aussi ses joies. Les titres parlent d’eux-mêmes, ils reprennent des idées reçues que les auteures s’emploient à balayer, sans paranoïa, mais avec une fermeté de conviction qui témoigne d’années de combat au corps à corps : « Ce sont des malades mentaux » ; « Les Trans travaillent au Bois de Boulogne » ; « Le sexe dégoûte les Trans » ; « Les hormones détruisent la santé » ; « L’opération est une mutilation nécessaire » ; « C’est facile de changer ses papiers »... Les auteures s’en prennent surtout à deux cibles, l’État et la communauté médicale, surtout les psychiatres. Elles n’hésitent pourtant pas à remettre en cause la communauté transgenre elle-même, dont certains membres ne résistent pas assez aux pressions normatives, et se lancent parfois à la légère dans une opération chirurgicale pas forcément nécessaire en soi mais permettant de se conformer à la seule image des transgenres admise médiatiquement : la transsexuelle.

Un glossaire permet de recadrer le vocabulaire, par exemple de contester l’usage du mot « transsexuel », qui figure pourtant en sous-titre au lieu de « transgenre » ! [1] On apprend un certain nombre de néologismes, le plus étonnant étant sans doute le mot « cisgenre ». Ce mot désigne les humains dont le sexe et le genre sont en concordance, contrairement aux transgenres (sur le modèle « cisalpin / transalpin »). On regrettera l’absence de discussion sur la pertinence de ce mot. Il faudrait consacrer un article entier à ce point précis, passionnant en soi. On pourrait considérer que l’invention d’un mot tel que « cisgenre » balaie un peu facilement l’aspect transgressif de l’identité transgenre. Autrement dit, est-ce qu’une MtF (« Male to Female en V.O. = HVF en V.F.) après sa transition est une femme, ou reste transgenre ? Les transgenres sont donc une communauté hétérogène, constituée de travestis, intersexués, transsexuelles, hormonées, opérées ou non, sans parler des androgynes, etc. Les auteures ont choisi d’écrire au féminin en pensant surtout aux MtF, mais consacrent un chapitre aux transgenres FtM (female to male = FVH en V.F.). Certains mots manquent à ce glossaire, comme « syndrome de Benjamin » ou « hermaphrodisme ».

Le titre reprend celui d’un ouvrage de la psychiatre Colette Chiland, honnie et huée naguère par Act-up, fréquemment citée et contestée par les auteures dans une relation quelque peu œdipienne, où il faudrait « tuer la mère », comme le suggère cette affirmation : « La Trans se construit alors dans une identification à la mère : elle cherche plus à la mimer qu’à lui faire l’amour comme dans le schéma œdipien habituel » (p. 163). Je conseille pourtant de lire en parallèle ce texte de Colette Chiland, qui ne m’avait pas semblé « transphobe », pétri au contraire d’un réel intérêt pour la culture transgenre. Les auteures ne font que reprendre brièvement le panorama qu’avait dressé Colette Chiland des transgenre dans les différentes cultures, les Raerae, les Hijras, les Inuit (mais ne disent rien des Bardaches ou des Mahus de Polynésie), qu’elles rejettent à mon avis trop vite dans une image d’Épinal naïve, en oubliant que l’existence de ces communautés montre avant tout une plus grande acceptation du phénomène transgenre, totalement tabou en France métropolitaine.

Les auteures me semblent aussi tenir sur la communauté transsexuelle un discours très proche de celui de Colette Chiland, notamment quand elles mettent en garde contre le recours systématique à la chirurgie : « Ainsi le transsexuel dénie la réalité biologique, tout en voulant obtenir de la biologie une preuve de la vérité de son discours. [...] La marque corporelle est un simulacre, dont le transsexuel veut faire un symbole ». Colette Chiland, Changer de sexe, p. 231. À comparer avec « La transgenre qui a bâti sa vie autour du mythe de l’opération génitale est souvent victime de transphobie intériorisée et n’a pas résolu son rapport à elle-même » (p. 138). Malgré les dénégations des auteures, je trouve leur discours légèrement « psyphobe », surtout en ce qui concerne Colette Chiland. Par contre, on apprend beaucoup dans cet ouvrage, sur l’acharnement d’une majorité de praticiens à humilier les transgenres, en complicité avec l’État, contraignant la candidate à l’opération au mensonge pour obtenir le remboursement de son opération, lequel mensonge conforte le discours médical conformiste dans un jeu de ping-pong dont on ne pourra sortir qu’avec une lutte revendicative forte. Quant aux chirurgiens français, le réquisitoire est sans appel. Grâce aux associations et à l’Internet, heureusement, les transgenres peuvent s’échanger les adresses des médecins compétents.

Sévères avec le monde médical et l’État, le tempérament optimiste des auteures les rend indulgentes pour le citoyen lambda, les chefs d’entreprise et la police, censée être très ouverte sur la question, ce dont je persiste à douter ! Très indulgentes aussi pour la communauté homo, laquelle aurait pris fait et cause pour les transgenre. Il y a eu prise de conscience, certes, mais face aux humiliations quotidiennes que connaissent les Trans rien que sur la question de l’État civil, on pourrait penser que la question du mariage ou de l’adoption mises en avant depuis des années est un grand luxe, et qu’il serait grand temps de consacrer le slogan d’une marche des fiertés uniquement aux Transgenre, pour qu’on leur fiche la paix définitivement ! On s’étonnera d’ailleurs que les auteures se contentent de demander une possibilité de changer d’État civil, et non pas la suppression pure et simple de toute mention du sexe sur les documents administratifs. Cette réticence face à une revendication radicale n’est-elle pas le signe d’un attachement nostalgique à cette notion de genre qu’il conviendrait plutôt de transgresser, puisque « trans » il y a ! Comme l’indique cette phrase échappée de la plume de nos auteures et qu’elles me pardonneront de relever pour titiller les féministes : « Avec leurs petites robes et leurs sacs à main, les Trans ne demandent pourtant rien d’autre que de mener une vie tranquille » (p. 171). Enfin, la question de l’« indisponibilité » du corps humain (cf p. 150) devrait réunir les luttes des transgenres, des prostitué(e)s, et des partisans de la légalisation du recours aux mères porteuses.

En conclusion, la lecture de cet ouvrage est hautement recommandable aux jeunes transgenres notamment, pour les guider dans le parcours d’obstacles que notre société normopathe leur prépare. Je ne le conseille pas pour les C.D.I. des lycées, non pas parce que le contenu serait choquant, au contraire, mais parce que le langage me semble souvent trop technique — sauf pour des élèves qui souhaiteraient faire une recherche spécifique. Rappelons pour terminer quelques titres d’ouvrages de fiction qui permettent d’aborder la question transgenre en collège ou au lycée : Ne m’appelez plus Julien, de Jimmy Sueur ; Les Petites déesses, de Francesca Lia Block ; Havre de Paix, de Fujino Chiya ; La Face cachée de Luna, de Julie Anne Peters ; Alexis, Alexia…, d’Achmy Halley ; Mehdi met du rouge à lèvres, de David Dumortier ; Histoire de Julie qui avait une ombre de garçon, de Christian Bruel & Anne Bozellec ; Papa porte une robe, de Barsony, Bumcello & Maya ; Le Garçon bientôt oublié, de Jean Noël Sciarini ; ou le classique mais indispensable La Vie devant soi, de Romain Gary (Émile Ajar). Pour en savoir plus sur transgenre et cisgenre, il suffit de taper ces mots sur un moteur de recherche, et vous aurez accès à un grand nombre de sites d’entraide. Caphi propose un excellent blog consacré à la transidentité. Lire sur le site de Ligne Azur l’entrevue de Vincent Guillot, porte-parole de l’OII (Organisation Internationale des Intersexes). Voir également un travail sur les représentations des élèves à partir du personnage de Madame Lola, l’article sur le classique Herculine Barbin, dite Alexina B, édition de Michel Foucault ; et l’excellent documentaire Des Hommes et des dieux, d’Anne Lescot et Laurence Magloire. Enfin, signalons le thriller de Brian de Palma, Dressed to kill (Pulsions), qui dès 1980 traitait la schizophrénie d’un personnage transgenre, et en profitait pour distiller quelques informations que n’auraient pas reniées nos auteures. C’est sans doute le premier film qui ait permis d’entendre les mots « pénectomie » et « vaginoplastie », même si le personnage qui demande une telle opération chirurgicale avant d’avoir entamé un traitement hormonal n’est guère vraisemblable. En 2009, le documentaire Transsexuel en Iran fournit un éclairage décalé sur la question transgenre, et une réflexion sur le rapport entre homosexualité et transsexualité.

 Lire l’entrevue que nous ont accordée les auteures.
 Il existe un questionnaire du MAG sur l’identité de genre, à destination des enseignants.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Site de Micheline Montreuil, l’une des premières transgenre


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[1D’après Wikipédia, le mot transgenre aurait été inventé au Québec, notamment par Micheline Montreuil, dont il faut absolument lire la page de présentation sur son site : « Cependant, cela ne veut pas dire qu’un jour j’aurai un vagin. En ai-je besoin ? La réponse est non. Je suis satisfaite de mon corps actuel et je n’ai pas l’intention d’y apporter le moindre changement dans un avenir prévisible ».