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Rousseau, Sartre, Duras, Sattouf : la sexualité au cœur de l’autobiographie

Autobiographie et sexualité : un sujet de bac L

L’autobiographie

mardi 10 mai 2011

Voici un sujet de bac élaboré cette année, sur mesure pour mes élèves, en fonction des textes étudiés en classe ou proposés en lecture cursive. La séquence était principalement consacrée aux Confessions, de Jean-Jacques Rousseau. Le sujet, proposé en classe en décembre, était facile, j’ai particulièrement veillé à ce que la dissertation puisse être traitée uniquement avec le corpus. Le bilan est plutôt favorable. Premièrement, aucun élève n’a réagi négativement sur le thème de la sexualité ou l’évocation de l’homosexualité, ou sur la crudité du vocabulaire ; le livre de Riad Sattouf n’a traumatisé aucun enfant innocent, contrairement à ce que pensaient les vieux croûtons de la Commission de la loi de 1949 (cf. ci-dessous). Deuxièmement, certains élèves ont parfaitement traité la question, alors qu’il s’agit d’une classe plutôt faible pour une 1re L.

CORPUS

Texte A – Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), Les Confessions (1782)
Texte B – Jean-Paul SARTRE (1905-1980), Les mots, (1964)
Texte C – Marguerite DURAS (1914-1996), L’Amant, (1984)
Document D – Riad SATTOUF (né en 1978), Ma circoncision, (2004)

I. Question. Après avoir pris connaissance du corpus, vous répondrez à la question suivante : (4 pt)

Dans chacun des documents, comment l’auteur évoque-t-il une expérience liée à la sexualité ?

II. Travail d’écriture : Vous traiterez un de ces sujets au choix (16 pt) :

Sujet I. Commentaire
Faites le commentaire du texte de Jean-Jacques ROUSSEAU (texte A).

Sujet II. Dissertation :

D’après vous, l’écriture autobiographique doit-elle se fixer des limites dans l’évocation de la vie privée ? Vous fonderez votre réflexion sur les documents du corpus, sur ceux que vous avez étudiés en classe et sur vos lectures personnelles.

Sujet III. Invention :

Un cousin (ou une cousine) de Jean-Paul Sartre lui écrit après la parution de son livre, lui reprochant d’avoir étalé en public des secrets de famille. Rédigez la lettre de ce cousin (ou cousine), puis la réponse de Sartre, qui justifie son projet.

Document A – Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778), extrait de Les Confessions (1782, posth.)

Jean-Jacques ROUSSEAU est un des philosophes les plus importants du siècle des Lumières. Les Confessions est considéré comme la première véritable autobiographie de la littérature de langue française. Dans cet extrait du livre II, Rousseau, âgé de 16 ans, est entré dans un hospice religieux où il doit suivre des cours de théologie pour se convertir au catholicisme (il est né à Genève, et donc protestant). Il est importuné par un compagnon de chambrée.

« Il n’y a point d’âme si vile et de cœur si barbare qui ne soit susceptible de quelque sorte d’attachement. L’un de ces deux bandits qui se disaient Maures [1] me prit en affection. Il m’accostait volontiers, causait avec moi dans son baragouin [2] franc, me rendait de petits services, me faisait part quelquefois de sa portion à table, et me donnait surtout de fréquents baisers avec une ardeur qui m’était fort incommode. Quelque effroi que j’eusse naturellement de ce visage de pain d’épice, orné d’une longue balafre, et de ce regard allumé qui semblait plutôt furieux que tendre, j’endurais ces baisers en me disant en moi-même : le pauvre homme a conçu pour moi une amitié bien vive ; j’aurais tort de le rebuter. Il passait par degrés à des manières plus libres, et tenait de si singuliers propos, que je croyais quelquefois que la tête lui avait tourné. Un soir, il voulut venir coucher avec moi : je m’y opposai, disant que mon lit était trop petit. Il me pressa d’aller dans le sien : je le refusai encore ; car ce misérable était si malpropre et puait si fort le tabac mâché, qu’il me faisait mal au cœur.
Le lendemain, d’assez bon matin, nous étions tous deux seuls dans la salle d’assemblée : il recommença ses caresses, mais avec des mouvements si violents qu’il en était effrayant. Enfin, il voulut passer par degrés aux privautés [3] les plus malpropres et me forcer, en disposant de ma main, d’en faire autant. Je me dégageai impétueusement en poussant un cri et faisant un saut en arrière, et, sans marquer ni indignation ni colère, car je n’avais pas la moindre idée de ce dont il s’agissait, j’exprimai ma surprise et mon dégoût avec tant d’énergie, qu’il me laissa là : mais tandis qu’il achevait de se démener, je vis partir vers la cheminée et tomber à terre je ne sais quoi de gluant et de blanchâtre qui me fit soulever le cœur. Je m’élançai sur le balcon, plus ému, plus troublé, plus effrayé même que je ne l’avais été de ma vie, et prêt à me trouver mal.
Je ne pouvais comprendre ce qu’avait ce malheureux : je le crus saisi du haut mal, ou de quelque frénésie encore plus terrible, et véritablement je ne sache rien de plus hideux à voir pour quelqu’un de sang-froid que cet obscène et sale maintien, et ce visage affreux enflammé de la plus brutale concupiscence. Je n’ai jamais vu d’autre homme en pareil état ; mais si nous sommes ainsi dans nos transports près des femmes, il faut qu’elles aient les yeux bien fascinés pour ne pas nous prendre en horreur. […]
Cette aventure me mit pour l’avenir à couvert des entreprises des Chevaliers de la manchette [4], et la vue des gens qui passaient pour en être, me rappelant l’air et les gestes de mon effroyable Maure, m’a toujours inspiré tant d’horreur, que j’avais peine à la cacher. Au contraire, les femmes gagnèrent beaucoup dans mon esprit à cette comparaison : il me semblait que je leur devais en tendresse de sentiments, en hommage de ma personne, la réparation des offenses de mon sexe, et la plus laide guenon devenait à mes yeux un objet adorable, par le souvenir de ce faux Africain. »

Document B – Jean-Paul SARTRE (1905-1980), extrait de Les Mots (1964)

Dans ce roman autobiographique, Sartre raconte son enfance de 4 à 11 ans, en s’attachant à rechercher les origines de sa vocation d’écrivain. Nous sommes dans les premières pages du récit, l’auteur présente son ascendance.

« À peu près vers le même temps que Charles Schweitzer rencontrait Louise Guillemin [5], un médecin de campagne épousa la fille d’un riche propriétaire périgourdin et s’installa avec elle dans la triste grand-rue de Thiviers, en face du pharmacien. Au lendemain du mariage, on découvrit que le beau-père n’avait pas le sou. Outré, le docteur Sartre resta quarante ans sans adresser la parole à sa femme ; à table, il s’exprimait avec des signes, elle finit par l’appeler « mon pensionnaire ». Il partageait son lit, pourtant, et de temps à autre, sans un mot, l’engrossait : elle lui donna deux fils et une fille ; ces enfants du silence s’appelèrent Jean-Baptiste, Joseph et Hélène. Hélène épousa sur le tard un officier de cavalerie qui devint fou ; Joseph fit son service dans les zouaves et se retira de bonne heure chez ses parents. Il n’avait pas de métier : pris entre le mutisme de l’un et les criailleries de l’autre, il devint bègue et passa sa vie à se battre contre les mots. Jean-Baptiste voulut préparer Navale, pour voir la mer. En 1904, à Cherbourg, officier de marine et déjà rongé par les fièvres de Cochinchine, il fit la connaissance d’Anne-Marie Schweitzer, s’empara de cette grande fille délaissée, l’épousa, lui fit un enfant au galop, moi, et tenta de se réfugier dans la mort.
Mourir n’est pas facile : la fièvre intestinale montait sans hâte, il y eut des rémissions. Anne-Marie le soignait avec dévouement, mais sans pousser l’indécence jusqu’à l’aimer. Louise l’avait prévenue contre la vie conjugale : après des noces de sang, c’était une suite infinie de sacrifices, coupée de trivialités nocturnes. À l’exemple de sa mère, ma mère préféra le devoir au plaisir. Elle n’avait pas beaucoup connu mon père, ni avant, ni après le mariage, et devait parfois se demander pourquoi cet étranger avait choisi de mourir entre ses bras. On le transporta dans une métairie à quelques lieues de Thiviers ; son père venait le visiter chaque jour en carriole. Les veilles et les soucis épuisèrent Anne-Marie, son lait tarit, on me mit en nourrice non loin de là et je m’appliquai, moi aussi, à mourir : d’entérite [6] et peut-être de ressentiment. À vingt ans, sans expérience ni conseils, ma mère se déchirait entre deux moribonds inconnus ; son mariage de raison trouvait sa vérité dans la maladie et le deuil. Moi, je profitais de la situation : à l’époque, les mères nourrissaient elles-mêmes et longtemps ; sans la chance de cette double agonie, j’eusse été exposé aux difficultés d’un sevrage tardif. Malade, sevré par la force à neuf mois, la fièvre et l’abrutissement m’empêchèrent de sentir le dernier coup de ciseaux qui tranche les liens de la mère et de l’enfant ; je plongeai dans un monde confus, peuplé d’hallucinations simples et de frustes idoles. À la mort de mon père, Anne-Marie et moi, nous nous réveillâmes d’un cauchemar commun ; je guéris. Mais nous étions victimes d’un malentendu : elle retrouvait avec amour un fils qu’elle n’avait jamais quitté vraiment ; je reprenais connaissance sur les genoux d’une étrangère. »

Document C – Marguerite DURAS (1914-1996), extrait de L’amant (1984), pp 48-51.

Dans ce roman, Marguerite DURAS reprend 30 ans après, le thème de son roman Un Barrage contre le Pacifique (1950), dans une version plus autobiographique. Pour désigner son personnage, elle alterne les première et troisième personnes. Elle raconte ici sa première relation sexuelle avec son amant, un riche Chinois. Elle a 15 ou 16 ans, il a une dizaine d’années de plus.

« Il dit qu’il est seul, atrocement seul avec cet amour qu’il a pour elle. Elle lui dit qu’elle aussi elle est seule. Elle ne dit pas avec quoi. Il dit : vous m’avez suivi jusqu’ici comme vous auriez suivi n’importe qui. Elle répond qu’elle ne peut pas savoir, qu’elle n’a encore jamais suivi personne dans une chambre. Elle lui dit qu’elle ne veut pas qu’il lui parle, que ce qu’elle veut c’est qu’il fasse comme d’habitude il fait avec les femmes qu’il emmène dans sa garçonnière. Elle le supplie de faire de cette façon-là.
Il a arraché la robe, il la jette, il a arraché le petit slip de coton blanc et il la porte ainsi nue jusqu’au lit. Et alors il se tourne de l’autre côté du lit et il pleure. Et elle, lente, patiente, elle le ramène vers elle et elle commence à le déshabiller. Les yeux fermés, elle le fait. Lentement. Il veut faire des gestes pour l’aider. Elle lui demande de ne pas bouger. Laisse-moi. Elle dit qu’elle veut le faire elle. Elle le fait. Elle le déshabille. Quand elle le lui demande il déplace son corps dans le lit, mais à peine, avec légèreté, comme pour ne pas la réveiller.
La peau est d’une somptueuse douceur. Le corps. Le corps est maigre, sans force, sans muscles, il pourrait avoir été malade, être en convalescence, il est imberbe, sans virilité autre que celle du sexe, il est très faible, il paraît être à la merci d’une insulte, souffrant. Elle ne le regarde pas au visage. Elle ne le regarde pas. Elle le touche. Elle touche la douceur du sexe, de la peau, elle caresse la couleur dorée, l’inconnue nouveauté. Il gémit, il pleure. Il est dans un amour abominable.
Et pleurant il le fait. D’abord il y a la douleur. Et puis après cette douleur est prise à son tour, elle est changée, lentement arrachée, emportée vers la jouissance, embrassée à elle.
La mer, sans forme, simplement incomparable.

Déjà, sur le bac, avant son heure, l’image aurait participé de cet instant.

L’image de la femme aux bas reprisés a traversé la chambre. Elle apparaît enfin comme l’enfant. Les fils le savaient déjà. La fille, pas encore. Ils ne parleront jamais de la mère ensemble, de cette connaissance qu’ils ont et qui les sépare d’elle, de cette connaissance décisive, dernière, celle de l’enfance de la mère.
La mère n’a pas connu la jouissance.

Je ne savais pas que l’on saignait. Il me demande si j’ai eu mal, je dis non, il dit qu’il en est heureux. Il essuie le sang, il me lave. Je le regarde faire. Insensiblement il revient, il redevient désirable. Je me demande comment j’ai eu la force d’aller à l’encontre de l’interdit posé par ma mère. Avec ce calme, cette détermination. Comment je suis arrivée à aller « jusqu’au bout de l’idée ». »

Document D – Riad SATTOUF (né en 1978), extrait de Ma circoncision, roman graphique (2004)

Riad Sattouf est né à Paris, d’origine Franco-Syrienne. Il passe son enfance en Algérie, Libye et en Syrie, puis son adolescence en Bretagne. Dans un style personnel, il narre par l’humour les péripéties de son adolescence. Dans Ma circoncision il évoque la circoncision [7] telle qu’il l’a vécue dans le contexte socio-politique de la Syrie des années 1980.

Ma circoncision de Riad Sattouf
Extrait du livre publié par L’Association.

 Vous trouverez des articles sur cet extrait précis des Confessions, sur Les mots, sur L’Amant, ainsi qu’un article sur Ma circoncision de Riad SATTOUF, suivi d’un dossier exclusif sur les tentatives de censure de ce livre.
 Voir d’autres sujets de bac sur Prostitution et roman et sur L’éducation des femmes. Voir Quelques perles du bac de français.

Sujet concocté par Lionel Labosse


© altersexualite.com, 2010


[1Les chercheurs ont retrouvé la trace de cet homme : Abraham Ruben. Il s’agissait d’un juif âgé de vingt ans qui se faisait passer pour musulman (maure) et se faisait convertir dans cet hospice pour être nourri et logé.

[2Langage incorrect et inintelligible.

[3Familiarité excessive.

[4Expression désignant les homosexuels (le mot « homosexuel » n’existait pas encore).

[5Il s’agit des grands-parents maternels de Jean-Paul Sartre, puis seront évoqués ses grands-parents paternels.

[6Inflammation de l’intestin grêle (= gastro-entérite).

[7Ablation du prépuce, pratique sociale effectuée principalement pour des motifs culturels et religieux mais aussi pour des raisons thérapeutiques.