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Comment arrêter un violeur assassin kidnappeur en trois jours, pour lycéens et adultes
Irréparable, de Karin Slaughter
Grasset, Coll. Grand format, 2008, 384 p., 20,9 €
vendredi 5 août 2011
Ce roman ne s’adresse pas particulièrement aux jeunes, c’est un roman policier classique ; il ne traite pas non plus d’altersexualité, mais comme l’éditeur a eu la gentillesse de me l’envoyer, j’en dirai ici quelques mots. S’il peut quand même concerner ce site, c’est pour deux raisons : premièrement, il y est question d’enseignants, et particulièrement d’un enseignant qui abuse de ses élèves : deuxièmement, l’auteure pratique un certain amalgame entre violeur et pédophile, qui mérite qu’on s’y intéresse. Je comparerai ce livre à celui de Melvin Burgess Nicholas Dane, récemment paru. Enfin, l’enquête-éclair qui commence ce roman peut permettre de comprendre le même type d’enquête contre la montre qui a permis l’arrestation de notre ex-futur président de la République ; le gauchiste socialiste, héritier de Jean Jaurès, j’ai nommé DSK, alias Dominique Strauss-Kahn.
Résumé
Abigail Campano, une femme riche d’un quartier aisé d’Atlanta rentre chez elle, son téléphone en main. Pendant qu’elle discute avec son mari, elle découvre que la maison a été cambriolée. Son mari lui demande de fuir, mais deux minutes plus tard, elle se retrouve a califourchon sur le meurtrier de sa fille, dont elle a vu le corps et le visage sauvagement détruit ; c’est lui ou elle ; ce sera elle, elle l’étrangle. La police d’Atlanta est aussitôt sur place, ainsi que le GBI (Georgia Bureau of Investigation), dont le détective Will Trent, ne tarde pas à découvrir grâce à son intuition hors pair et aux observations de son collègue policier scientifique (d’ailleurs homo [1]), que le cadavre n’est pas celui de la fille Campano, et qu’Abigail n’a fait qu’achever non pas le coupable, mais une deuxième victime, qui si elle ne l’avait étranglé, allait mourir d’un coup de couteau qu’il venait de recevoir. Will Trent doit collaborer avec Faith Mitchell, de la police d’Atlanta, laquelle a toutes les raisons de lui en vouloir : sa précédente enquête a conduit plusieurs policiers sous les verrous, et la mère de Faith en retraite anticipée. Faith va pourtant, au cours des trois jours de cette enquête à couper le souffle, s’attacher à ce collègue étonnant, qui n’éprouve jamais le besoin de faire des remarques machistes comme ses collègues habituels. Will (qui était déjà présent dans un précédent roman de Karin Slaughter) a une faille, qui le rapproche du père de la victime ainsi que de plusieurs suspects : il a été pensionnaire d’une maison pour enfants abandonnés, et a gardé de cette période difficile une dyslexie profonde qui en fait un illettré, se repérant grâce aux couleurs. Faith a sa propre faille : mère à 16 ans d’un garçon qu’elle a élevé avec l’aide de ses parents. Il se trouve que son fils est élève dans le même lycée que fréquentait l’une des victimes… Ce concours de circonstances va faciliter la découverte des coupables, et de la victime, juste à temps pour la sauver, comme il est de règle dans un thriller.
Mon avis
Je ne veux pas révéler le dénouement de cet excellent thriller, qui après son entrée saisissante, ne vous lâchera pas jusqu’à la résolution, entrant dans les infimes détails des apports de la police scientifique, tout en tissant un réseau serré d’intrications sentimentales et affectives entre témoins, détectives, coupables et victimes (à un point où on sort du vraisemblable, mais il s’agit peut-être de créer un point-zéro d’un détective appelé à devenir héros récurrent, en révélant son passé en détail dans cette enquête). Je vais donc revenir sur deux points qui correspondent aux centres d’intérêt de ce site : le milieu enseignant étasunien, assez difficile à comprendre pour nous autres Français, avec ces profs sous-payés (l’un des personnages, le méchant Evan Bernard, prof amateur de ses jeunes élèves, touche en fin de carrière 2300 dollars (p. 96), alors qu’il semble être une sorte de spécialiste éminent de sa spécialité)… C’est une des qualités du roman d’être sensible aux questions sociales, et au rapport entre la moralité des uns et des autres et la nécessité de se nourrir… L’une des victimes, Kayla, était une petite peste qui semble avoir fait beaucoup de mal autour d’elle, jusqu’à ce qu’elle tombe sous la coupe dudit professeur Bernard. Contrairement au récent roman de Melvin Burgess Nicholas Dane (Gallimard, 2009), dans lequel tous les éducateurs sont d’immondes « pédophiles » ou complices d’eux, il n’y a dans ce roman aucune condamnation globale des profs, à part ce « professeur de lecture » qui abuse de la faiblesse de ses élèves dyslexiques et du corps de ses belles élèves blondes. Un autre point l’oppose au livre de Burgess : à part les coupables, leur orientation sexuelle (ici hétéro) est montrée sous un jour favorable, il y a même un personnage homo sympathique, alors que chez Burgess, il n’y a pas un seul personnage homosexuel qui ne soit un monstre « pédophile » (avec en plus l’amalgame entre pédophile et pédéraste).
Un point m’agace dans le roman de Slaughter, c’est l’amalgame entre « pédophilie » et viol sadique d’adolescentes ayant dépassé l’âge de la majorité sexuelle. Certes, l’amalgame ne va pas aussi loin que dans le roman de Burgess, mais on sent que l’auteure veut enfoncer le coin dans ce thème à la mode. Alors que son criminel ne s’intéresse nullement aux filles impubères, et que ses victimes ont toutes entre 15 et 18 ans, elle utilise le mot « pédophile » (p. 303), et se lance une fois ou deux (contrairement à Burgess qui le fait à chaque page) dans des diatribes assez grossières où elle apitoie le lecteur en utilisant le mot « enfants » et fait l’apologie de la peine de mort : « Je veux être présent quand ils lui enfonceront l’aiguille dans le bras », p. 354 ; « Si le GBI et la police d’Atlanta ainsi que toutes les autres forces de l’ordre d’Amérique avaient vraiment l’ambition de mettre fin à la criminalité, il faudrait qu’ils prennent toutes les ressources qu’ils consacraient aux prisons, aux tribunaux, à la sécurité de la nation pour les consacrer en totalité à protéger les enfants des salopards qui les convoitaient » (p. 370). Message assez révélateur d’une manipulation du lecteur, avec cette marque qui ne trompe pas, l’utilisation facile du discours indirect libre (comme chez Burgess). Bizarrement, lors de la confrontation entre l’enquêteur et le suspect Bernard, celui-ci, qui semble connaître à fond tous les méandres des lois qui lui permettent de pratiquer sa perversion en toute impunité, méconnaît une distinction fondamentale que lui rappelle l’enquêteur en bon latin : in loco parentis, ce qui signifie, comme c’est le cas en France, qu’un éducateur ne peut avoir de rapports sexuels avec des mineurs de plus de quinze ans placés sous son autorité. Avec ce genre d’arguments, le prétexte des violeurs d’enfants est une bonne excuse pour oublier d’enquêter sur tous les trafiquants d’armes et les malversations des politiciens qui n’hésitent pas à inventer des « armes de destruction massive » pour justifier une guerre qui fait des milliers de victimes, femmes et enfants compris ! Bref, on aurait préféré que l’auteure ne glisse pas ses idées dans la pensée de son héros. Par contre il me semble qu’elle les glisse aussi dans les faits : à plusieurs reprises, l’enquêteur est bridé par des tas de lois de procédure, qui semblent faites exprès pour laisser en liberté de méchants « pédophiles ». Le principal suspect, malgré des faits avérés de viol sur des jeunes filles, semble pouvoir impunément narguer la justice. Je ne suis pas un spécialiste, mais cela ne cadre pas du tout avec une plaisanterie relevée en p. 203 : à un moment où l’enquête piétine, Will craint qu’on ne l’envoie piéger des homos dans les toilettes de l’aéroport : « Will pourrait s’y retrouver coincé dans les toilettes, en attendant qu’un homme marié et père de trois enfants lui fasse du pied et exige une pipe ». On pourrait donc consacrer de l’argent et de l’énergie à piéger des homos en fabricant des preuves de toutes pièces, et on ne pourrait pas poursuivre des violeurs alors que les pièces existent ? Cela ne cadre pas, surtout, avec ce que l’on dit de la Prison aux États-Unis, pays où le taux d’incarcération est de loin le plus élevé du monde. Pays où l’on est capable de rechercher Roman Polanski plusieurs dizaines d’années après un fait pour lequel la victime a retiré sa plainte… [2] Bref, il n’y a pas beaucoup à s’interroger sur l’engagement politique de l’auteure, qui suinte entre les lignes de ce qui reste un excellent thriller.
– Ce roman fait partie des livres étudiés dans l’essai de Caroline Granier À armes égales. Les femmes armées dans les romans policiers contemporains. (Ressouvenances, 2018), 258 p., 25 €. Je n’avais pourtant pas été frappé par l’aspect féministe…
Voir en ligne : Le site de Karin Slaughter
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[1] « C’était un bon enquêteur, mais comme il ressemblait étrangement au flic des Village People, on ne lui accordait pas beaucoup de crédibilité » (p. 55)
[2] Autre exemple, p. 217, Faith renonce à mettre en garde-à-vue un étudiant, parce que, « à chaque fois […] qu’un crime surviendrait dans son quartier et que son nom apparaîtrait, il serait soumis à des examens qui feraient rougir même un proctologue ». Il est résolument étonnant que seul un violeur récidiviste puisse échapper à la justice et à la police dans le système policier que nous décrit l’auteure !