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Au pays des hommes qui pleurent, pour les 3e et le lycée
Boys don’t cry, de Malorie Blackman
Éditions Milan Jeunesse, Coll. Macadam, 2011 (2010), 288 p., 12,5 €.
samedi 4 mai 2013
Un excellent roman pour une éducation à la sexualité et à la réflexion sur l’altérité. Non seulement il est question de parentalité à l’adolescence (vue du côté du garçon, ce qui est rare), mais aussi d’homosexualité et des ravages de la haine de soi. En plus, même s’il faut du temps pour que ce soit précisé par le texte (p. 220), les personnages sont noirs, comme l’auteure, ce qui ne serait pas un fait en soi à signaler, si ce n’était une si rare particularité parmi les centaines d’ouvrages que nous avons déjà chroniqués ! D’ailleurs le nom de l’auteur (est-ce un pseudonyme ?), ainsi que le prénom de la jeune fille, Mélanie, sont une volonté d’inscrire cette couleur dans le texte sans le dire. Si le début du livre nous enchante, nous sommes moins convaincu par la narration finale d’une homophobie hyperviolente (p. 212), et par l’assaut lacrymal qui domine les derniers chapitres.
Résumé
Dante, 17 ans, attend fébrilement les résultats de ses examens pour lesquels il a beaucoup travaillé, qui devraient lui ouvrir les portes de la fac. On sonne à la porte, mais ce n’est pas le facteur, c’est Mélanie, qui traîne une poussette avec un bébé dedans. Mélanie est son ancienne petite copine, qui a soudainement disparu du lycée sans laisser de nouvelles à personne, plus d’un an auparavant. Il ne lui faut pas beaucoup de temps pour apprendre à Dante que ce n’est pas la petite sœur de Mélanie, ni même seulement sa fille, mais leur fille, issue d’un rapport sexuel unique lors d’une soirée trop arrosée. Le choc est d’autant plus violent que Mélanie demande à Dante de garder sa fille le temps qu’elle aille faire quelques courses. Et bien sûr, elle ne revient pas, et passe seulement un coup de fil pour lui annoncer que bingo ! il a gagné de s’occuper d’Emma à son tour, en CDI ! Le choc est rude.
Pendant la première partie du roman, Dante refuse ce bébé tombé du ciel. Il ne dit pas « Emma » mais « le bébé » ; il cherche à se convaincre qu’il ne s’agit pas de son enfant, et investit la moitié de ses économies dans un test de paternité, et s’inscrit à l’université, puisque le facteur a ironiquement fini par apporter la bonne nouvelle d’une mention très bien. Heureusement, le père de Dante assure, passé la stupéfaction et l’engueulade de rigueur pour n’avoir pas su se protéger bien qu’ils eussent abordé le sujet en temps utile (p. 55). Il guide son fils et l’aide de son mieux. Le frère cadet, Adam, l’aide aussi, et surtout, par son amour spontané et son éblouissement pour la petite fille, lui montre la voie. Sur un modèle bien connu, l’intrusion de cet élément perturbateur va bouleverser cette famille de trois mâles très différents qui ne communiquaient plus guère, et leur apprendre à redevenir, au gré des difficultés, une vraie famille. La mère étant morte de maladie lorsqu’ils étaient très jeunes, le père semble avoir mené sa barque avec rigueur, en évitant de montrer ses sentiments. Adam s’assume homosexuel, identité qu’il a comprise dès l’âge de 13 ans et dont il est fier (p. 78). S’il n’est pas rejeté pour cela, son frère et son père ne lui en parlent pas ; son frère s’imagine que ce n’est qu’une phase (p. 75). Adam est très chochotte, et organise ses journées dans l’ambition unique de devenir un comédien célèbre. En homo de comédie, il a d’ailleurs un don pour la répartie satirique vis-à-vis de son frère, et le comique tendre de leurs rapports, qui évolue insensiblement au fil du récit, constitue un attrait important. Les difficultés vont venir du fait de l’homophobie des copains de Dante. Il avait l’habitude de tenir son frère à l’écart de sa vie, mais sa nouvelle responsabilité de père l’incite à protéger son frère, et il prend conscience de l’homophobie de ses potes, mais cela va avoir des conséquences quasi tragiques au début, puis pathétiques.
Mon avis
Le choix narratif des voix alternées à la Melvin Burgess a ses limites et ses incohérences, d’autant qu’il est limité, on se demande pourquoi, aux voix des deux frères. On aurait aimé par exemple avoir le point de vue de Mélanie et du père. Heureusement que l’auteure est une femme, sinon, un auteur homme se serait fait traiter de misogyne, puisque ladite Mélanie une fois disparue, ne se manifestera plus jamais, même pour prendre des nouvelles. Les femmes ont souvent un rôle négatif, comme Colette, la petite amie de Dante, ou des femmes rencontrées ici ou là, qui se permettent des commentaires déplacés sur ce pauvre père ado, ce qui nous vaut presque une prise de conscience masculiniste (ouf ! l’auteure est une femme, puisque je vous le dis, n’ayez pas peur d’opiner !). L’histoire est à prendre comme un conte naturaliste : confiez un nourrisson à trois mâles, et observez comment ils s’adaptent ! Il y a même la marraine du conte, sous les auspices de tante Jackie, qui fait parfois irruption pour donner son avis, mais ne se mêle jamais à l’action. Le ton mélodramatique et lacrymal fait son entrée dès le début, avec cette pauvre fille-mère qui se fait jeter de chez elle (p. 30). Et on le retrouvera à la fin. Ce qui est très appréciable, c’est l’évolution, finement observée, du rapport de Dante à sa fille, du rejet à l’amour, du rapport des frères entre eux et des frères avec le père. Cela nous vaut quelques répliques humoristiques, comme celle-ci, du (grand-)père à Dante : « D’ailleurs, si j’étais toi, je profiterais au maximum d’Emma tant qu’elle est petite. Dans pas longtemps, elle te regardera comme si t’étais juste un vieux schnock complètement débile. Enfin, quand elle prendra la peine de te regarder. » (p. 93).
Je suis moins enthousiaste sur la 2e partie de l’histoire. Même si elle est bien ficelée, cette histoire d’homophobie hyperviolente due à la fameuse « haine de soi », me semble trop jurer avec la première partie. On dirait que, prenant acte du retard des auteurs britanniques sur le sujet de l’homosexualité du fait de la « Clause 28 », l’auteure ait voulu traiter plusieurs sujets d’un coup. La leçon d’estime de soi montrée par Adam p. 117 ne concorde pas avec cette histoire invraisemblable d’agression sauvage perpétrée par des amis. Il aurait mieux valu à mon sens approfondir le portrait de cet ado homo black, personnage suffisamment original qu’on aurait aimé entièrement optimiste. Voir par exemple cet échange hilarant, où le (grand-)père dit que c’est à ses enfants qu’il doit « ces rides autour de [s]es yeux », ce à quoi Adam répond : « Non, c’est parce que tu n’hydrates pas suffisamment ta peau » (p. 128). Une péripétie un peu moins dramatique aurait suffi à révéler à Dante qu’il ne suffit pas de ne rien dire pour accepter un frère homo. On a du mal à comprendre, au vu de la vitesse avec laquelle il évolue par rapport à sa fille, qu’il mette tant de temps à comprendre qu’il lui faut davantage soutenir son frère suite à l’agression sauvage dont il est victime. Cela amène un peu trop pesamment, avec des stases trop lacrymales, à une explication didactique du titre lui-même lacrymal : « Les garçons ne pleurent pas, mais les hommes, oui » (p. 280).
Un petit mot pour la belle traduction de l’anglais par Amélie Sarn, auteure de Un foulard pour Djelila. On admire une tmèse, p. 191, qui souligne l’évolution de Dante : « Il, ce bébé, a un nom, Colette. Elle s’appelle Emma. Et Emma est ma fille ».
– Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».
– Lire l’article de Jean-Yves Alt sur ce livre. Voir aussi l’avis du blog Plaisir de lire.
Voir en ligne : Site de l’auteure
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