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L’amour n’est plus ce qu’il était, pour les 4e

Par cœurs, de Dominique Dyens

Éditions Thierry Magnier, 2011, 130 p., 9,8 €.

samedi 2 mai 2015

Les nouvelles regroupées dans Par cœurs ont un lien organique. La prof de français, au tout début de l’année de seconde, propose une « dissertation » (sic) d’un caractère particulier : « Quelle est votre vision de l’amour ? Que représente l’amour idéal ? Comment vous voyez votre vie amoureuse plus tard » (p. 18). Ce devoir est facultatif, et ne le rendront que ceux qui voudront, d’une façon anonyme, seule façon d’être « sincères ». Nous ne savons pas si les dix devoirs regroupés dans ce recueil sont ceux qui ont été rendus, ou s’il faut imaginer qu’ils ont été gardés par les élèves inspirés, car ils sont pour la plupart loin d’être anonymes. Ils abordent toutes les questions que peuvent se poser des adolescents sur l’amour, avec une vision tout à fait dans l’air du temps du bouleversement des conceptions traditionnelles.

Résumé

Anna, la première narratrice, est folle de joie d’être assise dans le plan de classe alphabétique à côté de Jeremy, « Le plus beau mec du lycée », et du coup elle torche son texte à peine rentrée du lycée, et le truffe d’exclamations naïves de nymphette niaisement amoureuse d’une icône. Le lecteur, évidemment, rêve d’avoir une version diamétralement opposée de son voisin de table… Dans la seconde nouvelle, un certain Sacha raconte comment il s’est fait plaquer par sa copine d’avant, et comment il remédie à cet irrémédiable chagrin en superposant à l’image de Julie le visage d’une « Iris » au prénom idoine. Dans « 6 minutes », Anaïs raconte les affres d’une jeune fille qui a vécu sa première fois avec délices, mais que sa meilleure copine rappelle à la réalité : a-t-elle mis un préservatif ? Non, car il ne peut pas avoir le sida ! « Pauvre débile ! répond la copine. Et les bébés, ça arrive comment ? » (p. 43). La nouvelle prend alors une coloration documentaire sur le quid et le quod du test de grossesse, fort utile pour les petites têtes blondes et creuses qui abondent sur les bancs des collèges & lycées ! Le narrateur de « À table ! » est le seul qui utilise le mot « rédaction », mais précise « avec thèse, antithèse et synthèse » (p. 57) ! et donne tout de suite son point de vue tranché : « le mariage, c’est de la merde ». Il évoque « [s]on psy » (p. 58), sans qu’on sache pourquoi un garçon de cet âge a un psy, puis précise ce que serait selon lui l’amour idéal, opposé de ce qu’il croit que vivent ses parents, qui ne donnent aucun signe perceptible d’amour mais semblent s’ennuyer. Sur le même thème, Manon discute du sujet avec sa mère : « Moi je veux que mon mari me séduise toute ma vie ! » (p. 69). Les règles qu’elle suggère sont suggestives : « que mon mari ne pète jamais devant moi » (p. 70). On dirait que Manon a lu Vincent Cespedes (« La promiscuité fait que l’on se complaît sans se plaire, pet et respect n’allant pas de paire »).
Un garçon met les points sur les i : « La seule chose qui compte pour nous, c’est la longueur de notre teub et comment faire pour baiser ! » (p. 79). Il précise : « Moi jusqu’à l’année dernière, je m’étais jamais branlé. C’est Quentin qui m’en a parlé. Maintenant je pratique quotidiennement » (p. 81). Il a des vues sur Anna, mais a bien vu que le beau Jeremy semble constituer un obstacle.
Le lecteur averti aura compris d’avance qui se colle le rôle du gay de service, et nous laisserons au lecteur le plaisir de trouver tout seul… En tout cas celui-ci semble être sûr de lui, à 16 ans : « Je suis homosexuel. Un homo. Un pédé. Un gay qui ne s’assume pas. » (p. 88). Il a pris conscience de cela à treize ans, en rêvant d’un prof de tennis : « Je me suis réveillé le sexe en érection et les draps souillés » (p. 89). Il est amoureux d’un garçon qu’il a vu nu dans les vestiaires de la piscine, mais sans avoir osé parler audit garçon, son rêve n’est pas d’étreindre ce corps nu, mais : « j’ai compris que j’avais envie plus tard d’une relation stable et que rien ne m’empêcherait de bâtir une famille, même avec un homme. J’aimerais avoir deux enfants, une fille et un garçon » (p. 90).
Audrey est amoureuse du fils de son beau-père, et se lamente de cet amour interdit. Elle aussi, comme les garçons (du moins les garçons hétéros, car les garçons homos ne songent qu’à des choses perverses comme avoir des enfants !) rêve de faire l’amour : « C’est un truc qui m’arrive de plus en plus souvent de ressentir un truc bizarre entre mes jambes et dans le bas de mon ventre. En théorie je rêve de faire l’amour parce que je trouve ça romantique, mais en pratique c’est une autre histoire » (p. 100).
Un garçon qui, je cite, a « hâte de rentrer chez [lui] pour faire [sa] dissertation » (p. 119), traite uniquement de l’amour parental, qui lui manque, ses parents étant dans le genre très occupés par leur métier. Il n’a pour compagnie que la bonne, Fatima, et ne semble même pas hanté de rêves ancillaires.
L’épilogue nous livre la perception de la prof, qui a recueilli dix-huit « dissertations » « glissées anonymement » contenant « leur vision de l’amour idéal » (p. 127). On n’a pas dû lire les mêmes, car ces copies ne me semblent ni anonymes, ni respecter la consigne donnée. Sans parler de l’usage agaçant, jusque dans les paroles de la prof, du mot « dissertation » pour ce qu’on appellerait en termes didactiques « sujet d’invention », et en termes courant une « rédac », mais surtout pas une « dissertation », mot a priori totalement inconnu d’élèves entrant en seconde. Bref, ladite prof semble compenser une certaine misère affective par la lecture des récits de ses élèves, mise en abyme finale du rôle de la lecture dans l’imaginaire amoureux.

Mon avis

On peut être parfois décontenancé par le style uniforme adopté par l’auteure, avec quelques phrases au ton didactique assez inattendues chez des élèves de seconde : « Cette dissertation étant virtuelle, il n’est pas question de toute façon que je me plie à l’exercice d’introspection que veut nous imposer ce professeur de lycée ». Il faut accepter cette convention littéraire, dont l’avantage est de nous dispenser de l’insupportable langage djeune que certains se seraient crus obligés d’utiliser. Rien de tel ici, et c’est une bonne chose, ce qui n’empêche pas certains de ces jeunes de s’exprimer vertement. Un petit agacement, comme je l’ai souvent noté en littérature jeunesse : le choix des prénoms, tous « gaulois » (Charles, Manon, Félix, etc.), sauf une « Yasmina » mentionnée une seule fois, rôle ultra-secondaire, et la bonne qui s’appelle… Fatima. N’est-il pas étonnant qu’un éditeur comme Thierry Magnier n’ait pas suggéré de revoir ce genre de détail ? On s’amuse de la façon très rigoureuse avec laquelle les prénoms de chacun des auteurs de ces devoirs pourtant censés être anonymes sont glissés dans le cours de chaque « dissertation », qui mêlent d’ailleurs dans la plupart des cas d’autres élèves de la classe dont le nom est aussi perfidement « donné » par l’auteur du texte prétendument anonyme, alors que nous sommes au tout début de l’année ! L’endogamie scolaire est une bonne vieille loi qui confirme que l’homme de notre vie crèche souvent guère plus loin que sous notre paillasson. Ces nouvelles ont l’avantage de ne pas traiter de l’amour que du côté petits oiseaux gazouillant dans la verte prairie, et l’auteure s’est amusée à glisser dans l’esprit du personnage homo les seules mentions conformistes du désir de fonder une famille, alors que ce sont les hétéros qui ne songent qu’à « baiser ». Où l’on voit ce que l’épisode du mariage gay a chamboulé non pas dans l’homosexualité réelle, mais dans la vision qui en perle dans l’inconscient collectif.

 Lire l’article de Jean-Yves sur ce livre.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Site de l’auteure


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