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Homosexuel = victime, pour les 4e / 3e

À copier 100 fois, d’Antoine Dole

Sarbacane, Exprim’, 2013, 64 p., 6 €

samedi 29 juin 2013

Une nouvelle courte présentée par l’éditeur comme « à partir de 14 ans ». Un collégien se fait martyriser parce qu’il est « pédé ». Il ne peut pas se plaindre à son père, qui l’élève à l’ancienne dans le genre « un garçon, ça pleure pas » (p. 5). Heureusement, il a Sarah, une amie qui le protège plus ou moins. Un récit qui voit l’homosexualité uniquement sous l’angle de la victimisation, mais dont le sujet principal et plus intéressant est la relation père-fils.

Résumé

Le narrateur sert de bouc émissaire à ses camarades de classe aux prénoms très gaulois : « Vincent, Laurent, Julien » (p. 7). Le récit des scènes de violence est circonstancié : « Quand j’ai pu me relever, j’ai bavé, ma salive était épaisse et crasseuse, le simple fait de la cracher était douloureux, un jus acide au fond de ma gorge » (p. 8). Les persécuteurs veulent savoir : « Alors, t’es pédé ou pas ? » (p. 10), et n’attendent pas de réponse, passant aux insultes : « Et ça fait quoi d’être une fiotte ? » (p. 15). Le narrateur semble souffrir encore plus de la fin de non recevoir de son père, qui voudrait que son fils sache se défendre tout seul, qu’il s’inscrive au judo (p. 24), et n’accepte pas ce fils « maigre » à « voix de crécelle » (p. 25). Quand Sarah vient à son aide, ce qui constitue leur amitié, elle cherche à en savoir plus, mais il est « gêné d’en parler avec quelqu’un pour la première fois » (p. 29). Il faudra une crise clastique (le narrateur brise quelque chose à la maison) pour que son père brise à son tour le mur de l’incompréhension : « Avec ta mère, on a toujours su que tu étais différent » (p. 54). Ouf !

Mon avis

Ce court livre me semble souffrir du même défaut que le récent 50 minutes avec toi, de Cathy Ytak. À une époque où l’homophobie est de moins en moins violente, certains auteurs et éditeurs en profitent, parce qu’en parallèle le tabou éditorial a complètement disparu, pour se « lâcher », et publier les livres qu’ils n’osèrent pas nous donner il y a 20 ans (je parle des éditeurs en général, même si en l’occurrence il s’agit d’un jeune auteur et d’un jeune éditeur), quand l’homophobie avait la violence qu’ils montrent enfin… La complaisance du narrateur pour la violence qu’il subit me gêne. On se demande d’ailleurs comment ses copains ont su qu’il était « pédé », puisque lui-même n’en a jamais parlé à personne ; non qu’il refoule cette homosexualité, au contraire, il a l’air d’en être conscient et ne la rejette absolument pas. Surtout, ce qui manque dans le récit, c’est une allusion à ce qui fait de ce garçon une victime : un garçon qu’il aimerait, ou même simplement une explication de ce qu’il ressent de positif et qui le constitue en garçon qui aime les garçons. C’est une certaine mode, hélas, de considérer que l’insulte est à soi seule constitutive de l’identité homosexuelle, mais on aimerait quand même chez ce garçon de 14 ans qui n’a pas lu Éribon, qu’il aimât quelque garçon de son âge. On a l’impression d’avoir sous les yeux une victime parfaite. Une phrase incidente nous apprend que la mère n’est plus là (p. 30), on ne saura jamais pourquoi. Le discours en italique de la p. 38 adressé au père semble le point le plus sincère de l’ouvrage, une page très émouvante : « Sans toi j’ai aucune chance, je parle pas que de Vincent et de ses copains, j’parle de ma vie à moi » (p. 38), mais il est dommage que pour en venir là, on ait négligé de construire un personnage qui ne soit pas qu’une victime. Le narrateur semble éprouver une fascination morbide pour ses blessures, qui constituent un ersatz de relation sexuelle : « Je regarde mon ventre, des bleus se perdent dans les vagues de chair et d’os » (p. 44). Finalement, le seul garçon qui le hante, c’est son persécuteur, Vincent. On n’ose conclure. Cela nous renvoie au précédent livre d’Antoine Dole que nous avons chroniqué : Je reviens de mourir (2007).

 Lire l’article de Jean-Yves Alt sur ce livre.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le site d’Antoine Dole


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