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Coming out d’un « homo » de 12 ans, pour les 4e

Le Secret d’Antonio, d’Hélène Paraire

Éditions Guérin, 2012, 192 p., 19,45 €.

samedi 23 mars 2013

Un couple d’immigrés canadiens adopte deux ados mexicains de 12 & 15 ans, Antonio et Pascual, orphelins de familles différentes, mais qui se considèrent comme « frères ». Ils ont tous deux connu une enfance marginale, avec mort dramatique de leurs parents ; Antonio prostitué, et Pascual dans un gang de rue. Tout se passe bien au sein de ce couple modèle taillé dans le marbre, et dans la nouvelle école d’adaptation. Tout, sauf qu’Antonio se sent tomber amoureux d’Alex, un Chilien de sa classe, et ne se supporte pas en homo. Insultes homophobes et coming out sont au programme de ce petit roman taillé à la serpe dans une psychologie didactique.

Résumé

Rosie et Enrique attendent fébrilement à l’aéroport de Montréal les deux garçons qu’ils adoptent. Antonio, celui qui est présenté comme « prostitué » alors qu’il n’a que douze ans, manifeste immédiatement une répulsion à être touché ou appelé « mon garçon ». Cela se passe mieux avec Pascual, bien qu’Enrique révèle son inquiétant métier pour un garçon qui a fait partie d’un gang de gosses : policier, justement chargé de ce type de dossiers. On découvre la ville, puis l’école spécialisée pour les immigrants. Les deux garçons, très liés malgré leur différence d’âge et le fait qu’ils ne soient pas biologiquement « frères », découvrent la langue française, tandis que leurs parents adoptifs découvrent la parentalité, avec beaucoup de rigidité côté Enrique. Mais voilà qu’Antonio se rapproche de son camarade de classe Alex, et comprend qu’il ressent pour lui plus que la sorte d’amitié qu’il a pour Pascual. Alex se déclare, mais Antonio rejette cette étiquette d’homo attachée à cette évolution de leur amitié. Il se renfrogne, se bagarre avec Ivan, le méchant camarade homophobe du collège, et il lui faudra bien des hésitations pour avouer à Pascual, puis à ses parents, à sa classe entière, ce qui le tourmente, c’est-à-dire faire son coming out.

Mon avis

Il est étonnant, vu la collection impressionnante d’excellents romans publiés en français au Canada ces 15 dernières années, que ce nouveau roman nous ramène au point de départ. Un style taillé à la serpe dans une meule de neige, et des caractères du même acabit. C’est un roman de bons sentiments, mais vraiment, si il y a 15 ans nous aurions été intéressés, aujourd’hui tant de maladresse a de quoi surprendre.
L’analyse psychologique, pour commencer, ne fait pas dans la dentelle. Antonio, 12 ans, est présenté comme « prostitué » en p. 13, et sur ce mot, nous n’aurons pas le moindre détail dans le roman. Pourtant, n’eût-il pas été utile de montrer le personnage réfléchissant à un rapport entre cette prostitution à des hommes adultes et son amour pour un garçon de son âge ? Sans doute a-t-on jugé que ce serait trop osé pour le public cible, mais dans ce cas, pourquoi vouloir absolument que figure le mot « prostitué » si l’on n’en tire rien ? On s’amuse du coup de naïvetés du texte, comme quand Antonio avoue dans une lettre écrite à son amie mexicaine, qu’il a « déjà fumé » au Mexique (p. 66), comme si parmi les « déjà » vécus par le garçon, le fait de fumer n’était pas anecdotique ! Pour exposer la situation des garçons, la narration fait dialoguer les parents adoptifs, qui se posent des questions sur leur passé dans le but d’informer le lecteur (p. 40), mais cela semble plaqué, car on se doute que des parents qui préparent une adoption se sont déjà posé mille fois ce type de questions bien en amont ! Quand Antonio découvre qu’il aime Alex, lui qui soi-disant a été « prostitué », est tétanisé par cet amour pourtant si gentillet. Il se dit : « Mais… mais alors est-ce que ça veut dire que je suis… gai ? » (p. 104). On veut bien, même si à l’âge de 12 ans, les choses devraient être plus simples que cela, mais comment justifier le choix narratif de n’établir aucun lien avec le passé de « prostitué » d’Antonio ? Est-il vraisemblable qu’il ne rapproche pas ces deux expériences de vie ? Quant au thème de l’homophobie, il est ultra-classique, avec le motif connu de l’insulte sur le casier scolaire, qui figure par exemple déjà dans un incunable québécois, Requiem gai, de Vincent Lauzon, ou sur le portrait d’Alex que fait Antonio, et qui est exposé dans le hall du lycée. Ce qui surprend et agace, c’est qu’à aucun moment Antonio ne songe à son amour pour Alex ; il est obnubilé par l’homophobie possible de l’entourage, et ne songe qu’à dire son secret à ses parents, avant même de fleurter avec son petit copain ! Or quand on a été « prostitué » avant 12 ans, il me semble que la question de l’homophobie doit paraître une chose assez secondaire par rapport à d’autres problèmes plus graves ! Les caractères ne sont guère vraisemblables en 2012, et vu ce passé d’Antonio. On songe à ce livre de 1969 dont nous avons retrouvé trace récemment : Fred et moi, de John Donovan. Comme si les mœurs n’avaient pas évolué depuis cette époque ! Tel Cyrano, Antonio ne songe qu’à se battre et frapper avant de songer à l’amour. Ce type de comportement ne serait-il pas plus approprié à Pascual, censé être un ancien voyou de 15 ans ? La scène la plus invraisemblable est celle où le méchant Ivan écrit « en grosses lettres noires » « TAPETTE » sur le casier d’Antonio (p. 154). Ils se battent si violemment qu’Ivan est viré du bahut, et Antonio exclu temporairement. Mais tous les adultes arrivés sur les lieux de l’altercation à l’instant même, et les parents d’élèves avant même que les enseignants n’aient écouté les belligérants, ne remarquent pas cet énorme graffiti, et ne s’inquiètent pas un instant des motifs du litige ! De deux choses l’une, soit les enseignants de ce bahut et les parents sont des truffes, soit le narrateur est un peu léger ! Cela lui permet de faire traîner encore vingt pages et plus l’interminable coming out du garçon, dont les parents ne se doutent pas un instant !
Le roman est truffé d’indications pratiques, avec la liberté de ton américaine. Par exemple, le nom d’une association d’immigrés mexicains, p. 24. Cela confine à la maladresse et à l’incohérence, quand par exemple la mère adoptive explique le mot « magasiner » aux enfants. Or à ce moment, ils ne parlent pas un mot de français, mais elle le leur explique comme on explique un québécisme, or cela ne peut être compris que par des français d’Europe ; pour ces garçons, que peut leur importer que le mot soit « magasiner » plutôt que « faire les courses », puisqu’ils ignorent autant les deux ! Le style est redondant, et le lecteur, certes jeune, n’est jamais abandonné à son esprit ; on lui souligne le moindre effet. En voici un exemple anodin parmi des dizaines : « Ne voulant pas blesser le jeune garçon, Rosie se retint de rire » (p. 31). Parmi les autres incohérences ou exagérations, on relève cette scène où Alex et Antonio se retrouvent dans un parc, Alex fait sa déclaration, et offre de partager une bière volée au magasin de son père. Pendant la nuit, Rosie, puis Pascual, décèlent par hasard l’haleine de bière d’Antonio, comme si c’était un alcoolique invétéré et qu’il ne se soit pas même rincé la bouche. Tout cela relève d’une dramatisation maladroite, de même que les interminables pages pendant lesquelles Antonio retarde le moment de faire son coming out, qui semblent relever davantage du remplissage que de la vraisemblance psychologique, d’autant plus que dans la scène finale, Antonio choisit comme sujet d’exposé devant la classe de parler de son coming out, mais il le fait en termes vagues, sans jamais utiliser les mots précis, mais en se contentant de notions générales comme « différence » ou « fierté » (p. 185). La leçon de Pascual sur la résilience sonne comme un remords de la narration : « Tu as survécu à pire que ça au Mexique, non ? » (p. 181).
Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de bons moments. On apprécie quand Antonio demande à Pascual de lui parler de ses « vrais » parents (p. 139). Nous pensons en effet que la parentalité ne doit pas effacer, aussi douloureuse soit-elle, la parenté. L’histoire dramatique de Pascual nous fait penser à celle de l’enfant abandonné de Tesseract, d’Alex Garland. Les confidences étant faites, les garçons se jurent mutuellement de ne pas en parler à leurs parents, motif amusant, qui inverse l’ordre habituel des secrets de famille, où ce sont les parents adoptifs qui cachent la vérité aux enfants. Cela dit, on se doute que dans le cas d’adoption, les parents connaissent de fond en comble le dossier des enfants. Cet aspect est amplement romancé. Lors de l’interminable coming out, on relève au moins une remarque pertinente de Pascual à Antonio : « Tu veux pas qu’ils te jugent, mais toi par contre, tu les juges en étant persuadé d’avance de leur opinion. » (p. 169).

 Lire l’article de Jean-Yves Alt sur ce livre.

 Voir notre bibliographie canadienne.

Lionel Labosse


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