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Au pays des filles en cage, à partir de la 4e

Basha posh, de Charlotte Erlih

Actes sud junior, 2013, 190 p., 13,5 €.

samedi 21 septembre 2013

Basha posh est le premier roman de Charlotte Erlih, qui est présentée en fin de volume avec un palmarès impressionnant : normalienne, agrégée, réalisatrice. Il s’agit du récit des mésaventures d’une jeune fille dont les parents, désolés de n’avoir engendré que des filles, recourent à l’institution spécifiquement afghane des « basha posh », permettant à des filles de se comporter en garçons jusqu’à la puberté. Le roman est facile d’accès, et l’on suit avec plaisir les aventures sportives et l’évocation du « trouble dans le genre », mais la volonté d’enfourcher le cheval du féminisme fait peut-être négliger les personnages secondaires, et donne de la société afghane une image sans nuances, limitée à ce seul point polémique.

Résumé

Farrukh est le barreur d’un huit, bateau permettant de pratiquer l’aviron, sport improbable en Afghanistan. Il dirige l’équipe dont il est à l’origine, sur une idée qui lui vient de son père, lequel avait pratiqué ce sport pendant ses études à Paris, dont il a aussi ramené l’amour de la langue et de la littérature françaises, qu’il a transmis à son « fils ». Farrukh est en fait une fille qui, depuis l’âge de 3 ans, passe socialement pour un garçon, comme ses deux sœurs aînées l’ont fait avant elle, en principe jusqu’à la puberté. Cela lui permet de ne pas vivre en prison comme sa mère et ses sœurs, de les chaperonner lorsqu’elles doivent sortir. Farrukh ne participe pas au rituel viril de la douche où « chacun guette les transformations tant attendues. Déploiement de la musculature, apparition des poils, développement du sexe sont célébrés, glorifiés, convoités… » (p. 10). Pendant le repas, lorsque Sorhab, l’ami de Farrukh est invité, les filles doivent revêtir le voile, et l’aînée Marjan seule se risque à regarder le beau Sorhab à la dérobée. Elle n’est pas la seule, car Farrukh ne semble pas insensible à la vision de son ami nu, quand « son torse, déjà velu, dépassait du drap froissé » (p. 23). Maude, la fille de l’ami français du père de Farrukh qui l’avait initié à l’aviron, contactée par hasard, amène en personne un bateau top moderne, et entend entraîner – seule – l’équipe pour les jeux olympiques avec des méthodes modernes. À part Farrukh, l’accueil est on ne peut plus misogyne et hostile. Farrukh devra faire le truchement, et Maude porter une burqa et se tenir à 3 mètres des garçons. Les progrès sont pourtant au rendez-vous, mais un beau jour, patatras, voilà que Farrukh a ses règles, ce qui signe le glas de son statut de « basha posh » : « on ne guérit pas d’être une femme » (p. 67). Sa petite sœur Amina prend le relais, c’est le nouveau garçon de la famille, sous le nom de Sifat. Ironie du sort, Farrukh doit lui apprendre à se comporter en garçon. Farrukh va se rebeller pour obtenir au moins le droit de continuer le challenge pour la qualification aux J.O.. Elle finit par l’obtenir au terme d’un bras de fer éprouvant. Une compétition en Iran est l’occasion de découvrir un autre aspect de ses amis, qui boivent de l’alcool, et sont à deux doigts d’abuser de lui. La misogynie de Sorhab dévoile une attirance homosexuelle (ou plutôt pédérastique, vu l’aspect androgyne de Farrukh ?) pour son jeune ami, qui ne va guère améliorer la situation.

Mon avis

Ce livre est très intéressant parce qu’il permet d’évoquer l’Afghanistan, un pays connu surtout pour des raisons négatives. On a cependant l’impression que les personnages secondaires sont négligés, à part Amina / Sifat. Même Maude ne fait que de la figuration, et, si l’on admet qu’une jeune femme soit venue seule en Afghanistan pour y séjourner de longs mois, ce qui tient d’une fiction pour le moins imaginaire, on s’étonne que la narration lui fasse accepter sans sourciller le port de la burqa et autres vexations. Surtout, le fait que malgré les progrès et le cadeau du bateau, l’attitude grégaire des garçons n’évolue pas d’un iota du début à la fin, donne une image particulièrement sombre du peuple afghan. Le voyage en Iran aurait pu être l’occasion d’évoquer une situation des femmes plus positive, et des différences, au sein d’un autre pays persan (où les filles sont majoritaires à l’université, alors que Farrukh n’a même pas accès à l’école), mais il n’en sera rien, à part l’évocation de la barreuse du bateau du Tadjikistan, pays également persanophone. On dirait que même chez les adolescents, les préjugés les plus néandertaliens des talibans sont partagés à 100 %. Or pour ce que j’en ai éprouvé en Iran, et pour ce que je sais de l’Afghanistan et d’autres pays musulmans aux mœurs misogynes, il ne faut pas confondre la position des régimes et la vie au quotidien. Enfin, le fil rouge de la lecture d’un livre de Romain Gary et d’autres lectures françaises, si elle permet une allusion à la question du pseudonyme vu comme un masque permettant d’être plus libre, prend a mon goût trop de place. N’aurait-on pas pu alterner des lectures de la riche littérature persane ? Rostam, le nom d’un des garçons de l’équipe, n’est-il pas par exemple celui du grand héros du Livre des rois ? Quelques allusions auraient pu éviter l’impression qui se dégage plus ou moins, que tout ce qui est afghan est à jeter, et qu’il n’est de salut que dans l’admiration béate du modèle français. À la limite, le choix de la lecture du chef-d’œuvre de Joseph Kessel Les Cavaliers aurait permis un recul sur l’évolution de l’Afghanistan.
Sur la question altersexuelle, une réflexion intéressante nous est proposée, en plus du fait que la différence entre fille et garçon est avant tout sociale. Le regard érotique que portent les filles sur les garçons (et les garçons sur les garçons) avec de fréquentes évocations du corps désirable de Sorhab. Farrukh profite innocemment de l’habitude des garçons de se tenir par la main. L’attirance de Sorhab pour Farrukh va jusqu’au passage à l’acte, révélateur du lien entre misogynie et homosexualité. On apprécie le dialogue entre Farrukh et sa sœur qui a cru remarquer une attirance entre les « garçons » : « — On est amis, c’est tout. — On se serre comme il t’a serré, quand on est ami ? — De quoi tu parles ? Tu sais bien qu’on est tous les deux des garçons ! — D’abord, je vois pas pourquoi ça empêcherait d’être amoureux » (p. 123). On est d’ailleurs étonné de l’intelligence de ces filles, censées être interdites d’école. On aimerait parfois que cela aille plus loin, qu’il y ait un soupçon de remise en cause chez ces adolescents qui ne font hélas que reproduire les idées les plus obscurantistes des adultes. On relève quelques incohérences : comment se peut-il que Maude vienne seule au domicile de Farrukh, alors qu’il semble impossible qu’une femme se déplace sans chaperon mâle ? Comment Sorhab peut-il trouver que Sifat ressemble à Amina (p. 121), alors qu’il est censé ne jamais avoir vu le visage de la petite fille ? Comment, après une scène où la police iranienne se révèle très suspicieuse sur le fait que le père de Farrukh amène sa fille en Iran, celui-ci commet-il l’imprudence folle de lui confier le volant de la voiture pendant qu’il dort ?

 Lire un article sur la question des femmes et du sport dans les pays musulmans. Et jouez à notre jeu-concours Kandahar.
 L’Enfant de sable, de Tahar Ben Jelloun est un roman sur le même thème.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Les « basha posh » sur Wikipédia (en anglais)


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