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Une heure de la vie d’un bahut, pour les 4e

Là où je vais, de Fred Paronuzzi

Éditions Thierry Magnier, 2013, 80 p., 7,2 €.

samedi 1er novembre 2014

Ce court roman, plutôt une nouvelle, est une œuvre conceptuelle. Il s’agit de raconter une heure de la vie d’un lycée, le temps d’un cours, par la narration alternée de plusieurs personnages, seulement des élèves. Chacun de ces personnages vit un moment crucial pendant cette heure ; leurs chemins s’entrecroisent. Comme pour l’œuvre précédente du même auteur, le thème de l’homosexualité me semble plaqué, et ce livre vite lu est à conseiller pour les lecteurs réticents qui ont, comme les personnages, une heure à passer, et qui se seraient fait confisquer leur téléphone par une « Pit-Bull », la caricature de prof teigneuse traditionnelle dans ce genre d’ouvrage. L’électricité est en panne, mais le CDI du lycée est ouvert, et ce petit livre traîne sur une étagère…

Résumé

Léa mate Julie « de trois quarts arrière, de profil lorsqu’elle tourne la tête. […] Sa nuque donne envie d’y poser les lèvres, de la mordre » (p. 8). Elle « brûle de désir » (p. 21). pour Julie. Ilyes, l’ex « primo-arrivant » (p. 55), passionné de théâtre, a été attiré vers l’atelier théâtre du lycée par l’expérience pourtant traumatisante d’une sortie calamiteuse au collège, pour le spectacle de Benjamin Lazar sur L’Autre monde, de Savinien Cyrano de Bergerac, avec exposé sur la déclamation baroque. Justement, il vient de tomber sur un camarade de cette époque, qui s’étonne qu’il participe à l’atelier théâtre, et lui administre un sage conseil : « fais gaffe quand même, hein, y a plein de pédés dans ce milieu-là » (p. 13). Clément s’agace du trop de gentillesse des adultes, qui ne s’adressent plus à lui que comme « le garçon dont la sœur est morte » (p. 17). Pourtant, lors d’un entretien avec la proviseur adjointe, il est ému par la sincérité de celle dont il apprend le prénom à l’occasion, et en qui il ne voit plus seulement l’autorité, mais l’humanité. Léa reçoit un texto de Julie pendant le cours de la redoutable Pit-Bull, lui proposant de sortir en feignant un malaise. Elle a reçu la déclaration de Léa, et y répond favorablement. En fait d’aller à l’infirmerie, on a droit à une scène torride dans un recoin d’escalier : « Nos bouches se cherchent à nouveau. Mes mains caressent l’arrondi de ses épaules, sa nuque, la naissance de son dos » (p. 38). Océane, pendant ce temps, a trouvé l’oreille compatissante d’une super CPE (une qui n’hésite pas à rembarrer la méchante Pit-Bull pour poursuivre son entretien avec cette élève), pour épancher ce qui la hante : au cours d’une soirée trop arrosée chez une camarade, elle a vaguement allumé un beau garçon qu’elle ne connaissait pas, et celui-ci l’a entraînée dans une chambre. C’est une fois nus qu’elle s’est rendu compte qu’elle n’était pas prête à faire le saut, et a protesté, mais trop tard : « sa main s’est plaquée sur ma bouche », et il l’a violée (p. 44), sans mettre de préservatif qui plus est (p. 58). Clément, qui fait le lien entre les scènes, surprend une répétition de l’atelier théâtre, où « un élève [Ilyes] […] armé d’un fouet, tient une des documentalistes au bout d’une longue corde » (p. 46 ; on reconnaît la pièce de Beckett). En fait, il se rend maintenant au rendez-vous d’un COP (on fait le tour de toutes les professions du lycée !), qui arrive à le convaincre en quelques minutes de s’inscrire à une formation de « navigation fluviale », un métier auquel il n’avait jamais pensé ! Sans doute une future orientation du métier, où les COP toucheraient des primes en fourguant des formations… Léa et Julie retournent en cours, et Pit-Bull fait de l’ironie sur cette guérison soudaine, sans se douter qu’elle « est tombée juste » : « à quoi doit-on ce petit miracle de la médecine ? Un massage cardiaque ? Du bouche-à-bouche ? » (p. 63). Clément avait surpris en passant leur scène de paluchage, et y réfléchit en sortant de son rendez-vous avec le COP : « L’image de ces deux filles me poursuit. Je les envie. Cette intensité, entre elles, cette façon de se dévorer des yeux, ce truc tellement fort et unique. Elles s’aiment, quoi. C’est à la fois banal et parfaitement extraordinaire » (p. 69). En effet, à la fin de cette heure chaude, tout le monde se retrouve au self. Les deux filles exhibent leur amour tout neuf : « Julie serre mes doigts entre les siens et je me fiche qu’on puisse nous voir. J’ose enfin suivre ce chemin qui m’effraie mais que tout réclame en moi depuis des années. Je suis attirée par les filles. Oui. J’en aime une à la folie. Et alors ? » (p. 75). Ne serait-ce pas confondre amour et désir ?

Mon avis

Peu de choses à dire sur ce petit livre sans prétention, qui vise juste à capter l’air du temps. La mode semble être au lesbianisme sans complexe, puisque pour ce garçon, Clément, qui a dû surprendre déjà des dizaines de scènes de paluchage entre garçons et filles, celle-ci lui semble révélatrice d’un « truc tellement fort et unique ». Dommage qu’il ne fasse pas le parallèle avec la scène de répétition théâtrale qu’il avait surprise auparavant. Il aurait alors pu débusquer la part de comédie dans cet amour subit autant que démonstratif, né d’un texto, et qui expirera sans doute d’un autre texto. Ironie du sort, à quelques jours de distance paraissait un autre livre, plus épais mais tout aussi surfant sur l’effet mode, où au contraire, on a droit à une vision apocalyptique de la terrible lesbophobie dans un lycée à notre époque itou.

 Du même auteur, lire Mon père est américain.
 Lire l’article de Jean-Yves Alt sur ce livre.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Fred Paronuzzi sur Wikipédia


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