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Matrice de Corydon, pour le lycée

Idylles, de Théocrite

Slatkine, 2006, 262 p., 47 €.

samedi 4 juillet 2015

Voici l’ouvrage fondateur du genre bucolique, c’est-à-dire de la poésie pastorale, qui inspirera entre autres Virgile, ses Bucoliques et dans une moindre mesure ses Georgiques (qui sont plutôt à classer dans le genre didactique). Théocrite est aussi le créateur du personnage de Corydon, repris par Virgile, et choisi comme titre du premier essai jamais consacré à l’homosexualité par André Gide. Il se trouve que je n’avais pas encore eu l’occasion de le lire ; je dois même avouer à ma grande honte que je n’avais jamais retenu l’existence de cette œuvre majeure de l’histoire de l’homosexualité en littérature. Lacune comblée grâce à ces notes de lecture. Pour être franc, je ne vois guère d’élèves actuels qui puissent s’intéresser à ce genre de littérature, sauf exceptions, pour lesquelles cela vaut sans doute le coup de l’avoir au CDI, dans une version meilleure marché que celle-ci. Cette version semble être l’édition définitive d’un travail de longue haleine déjà publié en 1951 ! En tout cas c’est une très belle traduction. Il convient par contre d’éviter les traductions censurées du XIXe siècles, disponibles en ligne, comme celle du site Méditerranées ou celui de Philippe Remacle.

Résumé

Après une invocation aux muses et dédicace à Apollon puis une « présence de Pan » qui nous montre une Daphnis poursuivie par un Priape, commencent les Idylles proprement dites, souvent des dialogues de bergers entremêlés de poèmes à thèmes bucoliques, développant le « locus amoenus » cher à Lucrèce, un parti anti-héroïque et souvent ironique. Les choses se corsent avec « Berger de chèvres contre bergers de moutons ». En effet, on ne comprend pas bien pourquoi, mais deux bergers s’y engueulent sévère. Le vieux, Comatas, rappelle au plus jeune, Lacon, leurs relations intimes passées : « Quand je t’enfilais, et que tu gémissais… Les chèvres se mettaient à bêler et à bêler, et le bouc les enfourchait ! » Ce à quoi le jeune Lacon répond : « Oh ! Bossu, puisses-tu ne pas être enterré plus profond que dans mon cul ! » Or cet échange est étonnant, car le jeune ne semble pas garder ressentiment de l’enfilage susdit, mais au contraire une certaine nostalgie des rapports intimes masculins : « avec ses cheveux en vagues sur la nuque, ses joues lisses, il m’affole ». Mieux, les deux anciens amants se lancent des piques sur leurs rapports. Comatas : « Cela te fait souvenir quand je te labourais ? », ce à quoi le jeune Lacon répond du tac au tac : « mais que tu y fus attaché, un jour qu’Eumaras t’a récuré dans les coins, je ne l’ignore pas ». Cette idylle constitue sans doute l’inspiration principale de l’épisode des fouaciers de Lerné contre les bergers, du chapitre 25 de Gargantua. Dans « Le grand jour des Thalysies », il est question d’un Aratos qui « a la passion pour un jeune garçon » et dont « toute sa moelle fond / Pour le garçon ». Du coup il est demandé à Pan qu’il « jette à ses caresses ce tendre Philinos, / Ou bien un autre ». Une Idylle entière est consacrée à « Hylas », qui nous révèle la nature de la relation pédérastique, à mi-chemin entre pédophilie (il faut bien dire le mot) et amour paternel : « Héraclès tomba amoureux d’un jeune garçon, le gracieux Hylas aux longues boucles. Tel un père au fils qu’il aime, il enseignait tout ce que lui-même avait appris pour grandir en brave et inspirer un chant » […] « Que l’enfant soit façonné selon son cœur et par ce compagnonnage parvienne à une franche virilité ». Il advint que lors d’une halte sur la route de la Toison d’or, Hylas s’en va « corvée d’eau pour le souper de notre Héraclès et de Télamon le tenace, couple d’amis qui partageaient toujours leur nourriture ». Or les nymphes d’une source « s’enlacent à sa main. Car de toutes, l’amour a aimanté sur le petit mousse de l’Argo les cœurs trop palpitants » Quand le départ est sonné, « Héraclès, affamé de l’enfant, se démenait dans les fourrés d’épines et battait de long en large la contrée. Malheureux ceux qui aiment ! » Voilà notre Héraclès déserteur, « la risée des héros ». « Au retour du bien aimé » est un court poème exaltant l’amour du « garçon » : « Le divin fut dans un couple d’humains autrefois, l’un amant comme on le désigne à Sparte, était tout Appel, tandis que l’aimé, ainsi que le définissent les Thessaliens, était tout Écoute. Ils se chérissaient l’un l’autre, sous le même unique joug d’amour ». « Chéri » médite sur l’inquiétude de l’amant d’un éromène, incertain d’être aimé : « Ainsi, quand tu auras un menton barbu, viril, nous serons l’un pour l’autre comme Achille et son ami ». « Le garçon de Syracuse » prolonge l’inquiétude : « mieux vaudrait, certainement pour un aîné, rester étranger à ces amours difficiles qu’inspire un garçon ». « La magicienne » évoque une sorcière qui veut se venger : « J’enchainerai l’homme dont j’étouffe ». « Héraclès enfant » revient sur le héros et son éducation, mais sans allusion à l’éducation pédérastique. Puis l’« Hymne aux Dioscures » porte bien son nom, il les montre dans un combat violent pour obtenir en mariage les filles de Leukippos.
Avec « Les Syracusaines le jour d’Adonis », on laisse la campagne pour la grande ville, Alexandrie, et l’églogue pour une saynète comique. Deux mégères y déblatèrent leur mari, puis célèbrent un Adonis : « A-t-il dix-huit ? a-t-il dix-neuf ans, l’époux ? Son baiser ne pique pas : autour de ses lèvres un rien, une blondeur ».

 Lire « Littérature et interdits. Éléments pour une problématique », un article de Pierre Brunel aux Presses universitaires de Rennes (1998). Vous découvrirez que la traduction « Quelle leçon pour toi, Lacon, quand je t’enculais ! et que tu gémissais… Les chèvres se mettaient à bêler et à bêler, et le bouc les enfourchait » est rendue dans la version du XIXe siècle signalée ci-dessus par « Quand ? Mais le jour où tu sais, la douleur doit te le rappeler. Les chèvres bondissaient autour de nous, et le bélier se dressait sur ses pieds de derrière. »

Lionel Labosse


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