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Serial filmeur, pour les 6e/5e

Un Endroit pour vivre, de Jean-Philippe Blondel

Actes Sud Junior, 2007, D’une seule voix, 80 p, 7,8 €

dimanche 16 mars 2008

Une nouvelle de 77 pages écrites en gros caractères soi-disant « pour faciliter une lecture à voix haute », voici un concept marketing qui a de quoi énerver, car rien de particulier dans le style de cette nouvelle ne nous semble justifier le parti-pris de cette collection, à moins que… Cela n’enlève rien, bien sûr, à la qualité de l’œuvre, et on se laisse vite gagner par l’émotion qui prend le personnage principal découvrant, à son insu, pourquoi les filles ne l’intéressaient pas tant que ça, ainsi que par le style imagé qui laisse une large part à l’émotion.

Résumé

Le narrateur, qui n’a pas de prénom dans le texte, est récent dans ce lycée. Il a 16 ans, et vient d’être élu délégué de classe avec Yvan, qui au dernier moment lui a proposé sans préliminaires : « on forme un tandem ? » (p. 23). Il se révolte contre l’autoritarisme d’un proviseur caricatural, lequel décide d’interdire aux élèves de « se frotter » (p. 36) ou de s’embrasser. L’idée lui vient de filmer avec un caméscope les baisers des couples stables du lycée. Tout en filmant, il observe, apparemment avec distance, ses propres émotions, et s’en étonne, étant insensible aux charmes féminins qui pourtant ne manquent pas de se manifester à son égard. Le secret du film est gardé vis-à-vis du proviseur, mais s’ébruite dans le lycée. Il filme un couple dont le prénom masculin, « Mosef », suggère une certaine mixité. Le garçon lui reproche : « T’as des préjugés ? ». Une enseignante lui suggère discrètement de ne pas se limiter à cette vision réductrice du lycée, de filmer aussi « la haine », etc. Le narrateur étend donc son centre d’intérêt, jusqu’à ce que son nouvel ami discret Yvan lui fasse remarquer, de nouveau sans préliminaires : « il manque quelque chose dans ton film ». Et c’est là que se brise l’impression d’orthosexualité qui titillait le critique tatillon d’altersexualite.com…

Mon avis

Voici une nouvelle efficace, fort bien écrite, qui joue avec tact des attentes du lecteur. On accompagne le cheminement du narrateur, parfois en avance sur lui pour analyser le paradoxe entre son absence d’attirance pour les filles et son émotivité exacerbée face aux manifestations de tendresse hétérosexuelle. Même si la situation inventée, le personnage du proviseur rétrograde paraissent datés, ainsi que la mode un peu provinciale évoquée p. 8 (« les jupes plus légères, les pantalons plus moulants, les tee-shirts à manches courtes » (sic)) [1], l’idée du personnage de filmer les émois de ses camarades est tout à fait dans l’air du temps, avec une évocation convaincante des moyens technologiques actuels. Cette modernité contraste tellement avec l’orthosexualité des sujets filmés que le lecteur ne peut pas ne pas se poser des questions, lesquelles culminent au moment précis que le narrateur a choisi pour donner la réponse. La remarque « il manque quelque chose dans ton film » d’Yvan tombe pile au bon moment. La question qui se pose est celle de la cible : à quels lecteurs s’adresse ce texte court ? Même si les personnages sont lycéens, l’absence de difficulté de lecture et la simplicité de l’intrigue l’adressent aux petites classes, qui auront plaisir à se glisser dans la peau d’élèves plus âgés, et imagineront des modalités de mise en scène. Quant à la « lecture à voix haute » proposée, elle oriente le texte vers une interprétation particulière : plutôt que le cheminement intime suivi par le narrateur-personnage qui s’interroge, elle met l’accent sur la gestion collective de l’intimité, et fait du « coming out » une affaire publique, à moins que l’alternative homosexuelle soit vue comme une sollicitation de la mode à laquelle il faille souscrire au nom de l’humanisme scolaire… En tout cas ce débat passionnant et très tendance ne manquera pas d’être lancé, ce dont nous nous réjouissons…

 Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».

Label Isidor HomoEdu

 Voir, dans la même collection, Rien que ta peau, de Cathy Ytak.

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le billet de Laurence sur Biblioblog


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[1Est-ce notre collègue écrivain-enseignant qui n’a pas d’yeux pour voir les nombrils des jeunes filles ni la raie des fesses des garçons qu’exhibe largement la mode actuelle, ou craint-il qu’on lui reproche de voir ce qui se montre pourtant si ostensiblement, ou bien encore suggère-t-il indirectement que son personnage n’ose pas abaisser ses regards sous la ceinture ?

Messages

  • Et si ?
    Et si on appliquait une autre grille de lecture ? Et s’il s’agissait en fait d’une fable politique ? Et si le proviseur, "sec comme un coup de trique", régnait sur un territoire symbolique qui pourrait être beaucoup plus national qu’il n’y paraît ? Et si ses discours éculés étaient censés liquider 68 ? Et si la vidéo devenait une arme démocratique, une des dernières ? Et si ça changeait un peu du "happy slapping" cher aux médias pour renforcer le sécuritaire ? Et si, du coup, ce n’était absolument pas destiné aux 6-5ème mais bien après ?
    Sinon, je ne veux pas la jouer "France d’en bas" parce que c’est naze, mais je peux vous assurer qu’une fois l’Ile de France passée, le corps lycéen ne s’exhibe que très peu ( venez faire un tour, vous verrez - et pourtant nous sommes of course dans le public - la région parisienne peut donner une vision très décalée) ( quand à l’homophobie, elle est encore présente, même si les années passant, cela va mieux, à part dans les établissements ruraux)
    ceci dit - merci ! je suis très touché par cette critique