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Foulard et liberté sexuelle, pour les 4e.

Un Foulard pour Djelila, d’Amélie Sarn

Milan poche Junior, 2005, 186 p., 5 €.

mardi 1er mai 2007

« Il est possible que certaines filles se soient mises à porter le voile pour faire parler d’elles, ou parce qu’elles étaient manipulées, mais pourquoi est-ce que personne ne prend la peine de discuter avec moi sans présupposer que mon choix est stupide ou que je cherche à provoquer ? » (p. 105). Pourquoi est-ce que personne, non plus, ne parle à ces adolescents de la liberté sexuelle avant qu’il ne soit trop tard ?

Résumé

Un an après le meurtre de sa sœur Djelila, brûlée dans une cave par Majid, Sohane accepte enfin de vivre son deuil en participant à une marche pour honorer la mémoire de sa sœur. Elle raconte dans un récit entrecroisé, à la fois les événements qui ont mené au drame, et la façon dont elle a d’abord refusé de faire son deuil, puis accepté la mort de Djelila. Sohane a 17 ans, un an de plus que Djelila. Autant celle-ci se rebelle par rapport à sa famille et à l’islam, fait parler son corps par le sport ou par les vêtements, fréquente des amis, sort avec des garçons, boit de l’alcool, autant Sohane croit en Dieu et se sent musulmane. Peu de temps avant le drame, Sohane avait décidé de porter le foulard au lycée, et s’en était fait exclure pour cette raison. Elle suivait donc les cours du CNED. Elle avait été témoin des premières agressions verbales puis physiques d’une bande de garçons désœuvrés de la cité : « Tu sais que tu fais honte à ta religion » ; « Tout le monde va nous dire qu’on vit dans une cité de prostituées ! » « T’as qu’à te balader à poil, tant que t’y es ! Non mais t’as vu ? On voit que ton cul et tes nichons » (p. 41). Djelila se moque de ces provocations, tandis que Sohane parfois, a honte de sa sœur ; elle est obligée de reconnaître avoir pensé qu’une petite leçon lui ferait du bien. Mais voilà, on aboutit au drame, inexplicable, et Sohane est prise de remords. Elle refuse qu’on instrumentalise cette mort, de même qu’elle refusait qu’on fasse de son foulard un étendard, et reprenait chaque personne qui utilisait le mot « voile ». C’est après s’être fait exclure sans ménagement d’une réunion publique de féministes qui utilisaient la mort de Djalila pour nourrir un discours amalgamant violence et islam (p. 173 /176), que Sohane accepte enfin l’hommage posthume des amis de Djelila, un hommage simple à une jeune fille qui « voulait vivre, c’est tout » (p. 186). Elle a compris (d’une façon encore inconsciente) que la liberté notamment sexuelle que revendiquait Djelila était l’autre versant de celle qu’elle revendiquait de son côté avec son foulard.

Mon avis

Voici un livre qui a priori n’a rien à voir avec notre sélection, et pourtant il me semble important de saluer un roman qui dépasse les clichés tant ressassés dans les salles des profs pendant le débat sur les foulards. On citera justement ce faux débat truqué qui choque Sohane et la pousse à porter le foulard (p. 67 / 68), ainsi que la réaction stéréotypée de la prof de français (p. 101 / 103). Amélie Sarn a réussi en peu de pages à exposer avec une grande honnêteté intellectuelle beaucoup de données du problème, en fournissant aux jeunes lecteurs des arguments pour se construire leur propre opinion au-delà des jugements hâtifs. On citera la scène de la visite de l’oncle Ahmed (p. 49 /51), qui se permet de critiquer sa propre mère, et suggère de marier les filles « au pays », alors que lui-même et son frère sont nés en France, ce qui provoque l’indignation de Djelila autant que de Sohane, l’une comme l’autre, dans sa foi comme dans son absence de foi, se revendiquant française. À cette scène fait pendant la belle scène de la visite à la grand-mère, la réprouvée, et ses copines, qui préparent une fête, et, elles qui ont souffert du machisme et de la religion en Algérie, s’étonnent du choix de Sohane (p. 121 / 126). Djelila courait après les garçons, tandis que Sohane n’y pensait pas. Elle se remémore une scène de jeu où elle se disputait à l’âge de 8 ans avec sa sœur, parce que celle-ci envisageait de se marier avec un prince charmant, alors que selon elle, « les aventurières ont pas besoin d’être mariées » (p. 90). Là, sans doute, est le rapport entre ce roman et notre site : comment ne pas voir le lien entre l’absence d’éducation à la sexualité dans les écoles et les questions de foulard et de violence ? Un homosexuel assassiné dans un lieu de drague ou une jeune fille assassinée dans une cave parce qu’elle veut être libre, n’est-ce pas la même altersexophobie qui est à l’œuvre ? Pour creuser ce thème, voir Antimanuel d’éducation sexuelle, de Marcela Iacub & Patrice Maniglier.

 Amélie Sarn est également la traductrice de Boys don’t cry, de Malorie Blackman.
 Le thème du foulard est également abordé dans Karim & Julien de de votre serviteur et dans Houari pote beur et le voile de Yasmina, d’Arthur Falaïeff. On lira avec profit le documentaires Les Jeunes et l’amour dans les cités, d’Isabelle Clair. En 2011, le sociologue Raphaël Liogier lance l’idée d’une Muslim pride. Un bon complément à cette lecture !

Lionel Labosse


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