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Homosexualité dystopique, pour le lycée
La Guerre éternelle, suivi de Libre à jamais, de Joe Haldeman & Marvano
Dupuis, Aire libre, 1988-1989, 3 x 46 p., épuisé, puis Dargaud, 2002-2003, 3 x 58p., 14 € chaque.
samedi 17 août 2013
La Guerre éternelle est une série de trois albums de Marvano, alias Mark Van Oppen, adaptation d’un roman de science-fiction de Joe Haldeman paru en 1974 en anglais (traduit en 1976). Libre à jamais est une suite composée également de trois albums, publiée dans une traduction française entre 2002 et 2003 chez Dargaud. Il s’agit de l’adaptation d’un roman d’anticipation et de science-fiction, dont l’action est censée se passer entre 2010 et 3177 pour la première série, et en parallèle, puis plus tard pour la seconde. L’auteur s’est basé sur son expérience personnelle de la guerre du Viêt Nam pour raconter une guerre inter-galactique interminable, et imaginer une dystopie (= anti-utopie) dans la lignée du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley. Comme dans cette dernière œuvre, la sexualité joue un rôle dans le contrôle social mis en place par la société totalitaire qui règne sur la terre et les galaxies. D’après l’article de Wikipédia, la version BD « a coupé toutes les allusions à la liberté sexuelle du récit original », ce dont je ne peux pas me rendre compte, n’ayant pas encore lu le roman. En revanche, ce que Marvano a conservé, ce sont les allusions à l’homosexualité, très rares à cette époque en bande dessinée (pour ce qui est de la première série, à la fin des années 1980). Ces allusions sont plutôt négatives, l’homosexualité étant devenue quasi-obligatoire en parallèle à la cessation de la reproduction naturelle, mais ne sont jamais homophobes. À considérer comme un classique du genre. Pour ce qui est de la 2e série, parue en 2002-2003, on verra que les choses ont évolué entre-temps.
La Guerre éternelle
Tome 1 : Soldat Mandella (1988)
Le premier tome couvre la période 2010-2020. Il est précédé de préfaces des deux auteurs. Joe Haldeman évoque avec ironie son expérience traumatisante de la guerre du Viêt Nam, censée mettre un terme à l’expansion du communisme qui selon la « théorie des dominos » conquerrait jusqu’à l’Antarctique : « quoique nous ayons abandonné le Viêt Nam aux communistes athées, la plupart des pingouins sont toujours apolitiques ». Il rappelle certaines absurdités de l’instruction militaire, notamment l’une d’entre elles qui le hanta au point que des années plus tard, son souvenir constitua le déclic de l’écriture de son roman transposant cette guerre dans un registre de science-fiction : « Cette nuit, nous allons vous montrer les huit meilleures manières de tuer un homme silencieusement ». À noter qu’il avait déjà publié, juste après la guerre, un roman naturaliste inspiré de son journal de guerre, Au service de la guerre (en fait, le mot « roman » est sans doute un problème de traduction, car il s’agit plutôt de ce qu’on nomme en français une nouvelle : « short novel »). Marvano raconte comment suite à une rencontre alcoolisée avec l’écrivain, il propose avec succès le synopsis de sa première BD à Dupuis.
Le récit commence in medias res, dans une guerre, avec le décorum classique de la science-fiction, vaisseaux spatiaux, termes abscons composés de lettres et de numéros aléatoires, déroulement temporel accéléré par rapport à la terre, ce qui fait par exemple qu’à son retour sur terre dans le tome 2, Mandella sera devenu plus juvénile d’aspect que son frère cadet, etc. La guerre avec les ennemis désignés, les mystérieux « taurans », est traitée avec ironie. Par exemple, on retrouve les instructions sur la méthode pour tuer un ennemi : « comment descendre à coups de pelle un ennemi pouvant avoir six mètres de haut… ». Certains éléments picturaux nous sont familiers, comme la navette Columbia. Les officiers sont programmés pour la mort, et il existe une procédure de « postsuggestion hypnotique » pour activer un réflexe de haine chez les soldats. En l’occurrence, les taurans s’avèrent inoffensifs et se laisseront massacrer, et les Terriens se détruiront quasiment entre eux ! On ne trouve dans ce tome I aucune allusion à la sexualité ni à l’homosexualité. Les soldats s’efforcent de ne pas s’attacher à leurs collègues étant donné le peu de chances de survie et de missions communes, d’autant plus que ces missions peuvent les amener à « vieillir » plus vite les uns que les autres, le temps étant relatif dans l’espace.
Tome 2 : Lieutenant Mandella (1989)
Le deuxième tome couvre la période 2020-2203. On continue dans la même veine, absurdité de la guerre, bêtise des officiers : « cet homme ignorait la différence entre l’angoisse et la lâcheté », etc. Parmi les inventions technologiques, un « tank d’accélération », dans lequel les soldats sont installés nus, « tous les orifices naturels de notre organisme » étant reliés au dispositif. L’intérêt du tome II est la constatation des changements survenus sur terre dans l’anti-utopie en vigueur. Chômage organisé, augmentation des loisirs, nouvelles tendances de la mode assez androgyne, et désinformation organisée en ce qui concerne la guerre. Les plus de 70 ans sont abandonnés à leur sort, et Mandella assiste impuissant à la mort de sa mère, privée d’antibiotiques pour une simple grippe. L’héroïne Marygay, amie de Mandella, remarque qu’elle est entourée d’homos dans un bar, mais elle apprend que « la moitié de la population pratique l’homosexualité […] c’est une manière de freiner la croissance démographique ». Privés de ressources, les vétérans sont obligés de rempiler. Lors d’une opération, Mandella et Marygay sont amputés de quelques membres, mais les progrès de la médecine permettent de les régénérer au prix de quelques semaines de douleur. Ils sont affectés à des missions différentes, à des années-lumières de distance, ce qui les oblige à se faire des adieux qu’ils croient définitifs. Mandella est tenté par le suicide.
Tome 3 : Major Mandella (1989)
Le troisième tome couvre la période 2203-3177. Instructeur dans sa nouvelle mission, le désormais major Mandella découvre les nouveautés du futur dans lequel il plonge (en quelques mois il a pris plusieurs centaines d’années). On lui fait remarquer qu’il est « hétérosexuel », et que cela le singularise désormais : « sur terre, tout le monde est homosexuel !… sauf quelques vétérans et une poignée d’inadaptés ». Les jeunes ont tous été conçus en couveuse artificielle, conformément à un topos de l’anticipation. Mandella rencontre brièvement une femme « à l’hétérosexualité latente », le docteur Diana, qui est tentée par une expérience sexuelle hors-norme avec lui, mais n’en profite pas. On le traite de « vieux bouc », et cela l’amène à régler par l’exécution immédiate le cas d’un subordonné qui s’en prend à lui suite à une rupture mouvementée avec « son petit ami ». Du coup, il surmonte sa réticence personnelle à tuer un homme.
Si l’homosexualité est évoquée de façon plutôt négative, puisque elle est intégrée à une série de modifications survenues dans le mode de vie sur terre qui sont globalement des régressions caractéristiques de la dystopie, on ne relève aucune expression particulière d’homophobie, ce qui est déjà pas mal, compte tenu du fait qu’à cette époque (1988), notre bibliographie ne présente quasiment aucune bande dessinée jeunesse où l’homosexualité soit évoquée, à part la série Le vent des dieux, commencée en 1985. La fin est plutôt optimiste, puisque la guerre a pris fin vers les années 3000. Les humains sont des clones tous semblables, mais on propose aux vétérans de s’installer sur des planètes différentes, dont l’origine du nom « reste obscure » : « Paradis, par exemple, accueille les homosexuels, tandis qu’Index a la faveur des hétéros […] c’est la dernière planète où les hommes se perpétuent de la manière traditionnelle ». Cela permet un jeu de mots un peu minable de Mandella : « J’étais tout prêt à m’y faire mettre » ! Il retrouve Marygay, Diana, ils se marièrent et eurent un bel enfant accouché par Diana… Reste à lire la suite…
Libre à jamais
Tome 1 : Une Autre guerre (2002)
Ce tome commence par 8 planches non numérotées de bonus. Des croquis commentés où le dessinateur explique son inspiration, ses recherches pour les personnages, les costumes et le matériel. On apprend notamment que dès la 1re série, il s’était inspiré de Joe Haldeman lui-même pour dessiner William Mandella, et de son épouse et « éternelle complice » pour Marygay (ou Gay). Il explique que le roman était assez autobiographique.
Dans cette nouvelle série, nous sommes à une époque indéterminée, mais il semble que nous soyons revenus en arrière par rapport à la fin de la première série, qui était censée se terminer en 3177, puisque Marygay évoque ce que sa grand-mère aurait dit « il y a cinq siècles ». En fait nous vivons un épisode parallèle au 3e tome, vu cette fois-ci du côté de Marygay. La guerre contre les taurans a continué, et les vaisseaux se déplacent dans le temps et l’espace grâce à des « sauts collapsars » risqués. Marygay, alias capitaine Potter, a été séparée de William, qui est dans un autre vaisseau, donc a priori perdu à jamais. Le « paradoxe du temps » (p. 54) est tel que « Des feuilles de route pour des soldats qui ne sont pas encore nés sont rédigées par des officiers d’état-major qui seront morts de vieillesse lorsque ces ordres seront exécutés » (p. 10). Dans ce futur dont elle est une sorte de survivant préhistorique, les enfants « sont élevés dans des couveuses » et « les relations hétérosexuelles sont devenues une perversion anachronique » ; elle est « une sorte de monstre : une hétéro mise au monde comme une bête » (p. 10). En l’absence de William, elle éprouve une amitié pour Cat, une fille plus jeune, donc lesbienne, amitié qui se tourne en attirance sexuelle. Elles finissent par faire l’amour « en apesanteur, c’est encore meilleur » (p. 15), ce qui nous vaut une fort belle planche (d’un érotisme relatif qui peut passer auprès d’adolescents sans que les associations familiales ne hurlent au loup). Les « sauts collapsars » se font dans des caissons, en se bouchant « tous les orifices naturels », ce qu’on voyait déjà dans le tome 2 de la 1re série. On croit que les méchants taurans ont anéanti les expéditions antérieures, mais en fait Magygay, en arrivant à destination, est envoyée avec sa copine en éclaireuses, et elles découvrent que la guerre est terminée, et que les humains et les taurans se sont accordés. De plus, pour éviter les conflits, à part les vétérans, il n’y a plus qu’un seul humain, conscience universelle incarnée en « plus de dix milliards d’entités » (p. 37), qu’on hésite à nommer « il », « elle », ou « on », et qui s’appellent simplement « HUMAIN », ainsi qu’un seul tauran. Cela rejoint donc la fin de la série précédente, après le récit de l’ultime guerre qui se résume à un seul engagement, à cause du fait que les moyens de défense passive (« champ de stase ») et ceux d’attaque sont tellement sophistiqués qu’ils empêchent toute communication. Marygay parvient avec un bon vieux drapeau blanc, mais de justesse, à éviter le pire. Elle perd son « amante » Cat, partie se faire soigner quelque part dans l’espace-temps, mais grâce à des vétérans, elle parvient à retrouver Mandella sur « Mizar », « la seule planète où l’on procrée encore selon l’ancienne manière des mammifères » (p. 53), et ils ont donc un enfant accouché par Diana, ce qu’on savait déjà. Cette planète s’appelait « Index » dans la série précédente, mais une note nous a prévenus que certains noms employés dans cette série avaient été adaptés ; d’ailleurs les traducteurs ne sont pas les mêmes. Pour ce volume la traduction est de Nicole Pauwels, mais on ne nous dit pas si c’est traduit de l’anglais ou du néerlandais…
Tome 2 : Exode (2002)
Pour ce volume, la traduction est d’Yvan Delporte. On se retrouve en fait sur la planète Médius, peuplée de vétérans, dont Marygay, William, Cat, Diana, et les enfants des deux premiers. Ils appellent HUMAIN « zombies » (ou « dix milliards de non-individus génétiquement identiques qui se partagent une seule conscience » (p. 6), et une rivalité certaine les oppose : les vétérans craignent qu’on ne les stérilise tous pour ne conserver que leur ADN, dont HUMAIN a besoin. Ils décident donc de quitter la planète dans le vaisseau Time Warp, doué de pensée et de parole, de façon à faire un tour et à revenir 40000 ans plus tard. Le shérif HUMAIN leur impose juste d’emmener « une entité de [tauran] et de moi ». Dans le vaisseau, on emmène des poissons et des poulets, qui s’accommodent de l’apesanteur, et on fait pousser des fruits et légumes. Bill, le fils de William et Marygay, refuse de partir, et accepte la possibilité offerte de devenir HUMAIN. Sara, sa sœur, accepte de partir, dans l’espoir de devenir HUMAIN dans de meilleures conditions dans 40000 ans. Comme les taurans leur refusent le feu vert, ils s’emparent du Shérif, volent un « soldierboy » (machine de guerre sophistiquée) dans le musée historique, et en route ! La vie de Cat est menacée par un tauran qui veut empêcher le vaisseau de partir. Cela nous vaut un retour en arrière sur les retrouvailles torrides et bucco-génitales entre Cat et Gay (p. 45).
Tome 3 : Révélation (2003)
Pour ce volume, la traduction est d’Alain de Kuyssche. Rien ne va plus sur le vaisseau Time Warp. Le shérif constate un assassinat dont le coupable est le tauran. Une vague de dépressions s’empare de tous les habitants du vaisseau. De menus dysfonctionnements affectent le moral de tous. La vie est restée proche de l’ancienne terre : Marygay, vieillie, porte des lunettes et couche dans le lit de William comme un bon vieux couple, on lit des livres conservés dans une immense bibliothèque mémorial, on mange avec des assiettes, des verres et des couverts… Même Antres le tauran est très humanisé. Il a des mains humaines, un corps quasi-humain, mis à part son énorme queue, et des attitudes humaines. Antres est surveillé (ou plutôt accompagné) par Sara. Le vaisseau est doté d’une conscience, on s’adresse à lui et il vous répond, avec humour et sentiments. Une fuite d’antimatière pousse la capitaine Potter à décider de fuir le vaisseau à l’aide de chaloupes, mais certains décident de rester, en invoquant Dieu, désigné au féminin : « Dès qu’elle estimera le temps venu, Dieu nous révélera son plan » (p. 15). Sur la planète Médius où ils échouent, toute trace de vie a disparu, semble-t-il à la même date que l’incident sur Time Warp. Les rescapés décident donc de retourner sur cette bonne vieille terre, ce qui nous permet de voir tout ce beau monde à poil, pour revêtir les combinaisons d’accélération, y compris « HUMAIN », homme parfait (vous voyez ce que je veux dire ?) et le tauran, sorte de chien nu à queue énorme ! On atterrit en Floride, accueillis par un bus scolaire sans conducteur, doué de parole, qui s’avère en fait un « OMNI », capable de prendre l’aspect en une seconde, autant d’un bus que de Gandhi, de Laurel & Hardy, d’un nuage de sauterelles, ou de ce que vous voulez ! Il s’agirait d’une espèce antérieure à l’homme sur terre, ayant cohabité avec l’homme jusqu’à sa disparition. Il leur livre des révélations transcendantales dont je vous laisse la primeur. Et c’est fini !
– Le tome 1 de la 2e série, Libre à jamais, Une Autre guerre, bénéficie du label « Isidor ».
Voir en ligne : Site de Joe Haldeman
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