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Ovni altersexuel, pour adultes

La Vie intérieure de Véra Vérité, de Claude Brabant

L’usine, 1991, 80 p., 15 €.

samedi 6 septembre 2014

La Vie intérieure de Véra Vérité, texte et dessins de Claude Brabant, est un ovni dans le monde de la bande dessinée. L’auteure n’a semble-t-il publié que ce livre, et un autre intitulé Hémophilie, en 2009. Présentée sur le site de l’éditeur comme ne sachant « ni dessiner ni écrire », Claude Brabant ne concourt avec ce livre pour aucun laurier. La crudité des termes et des images ne destinent pas le livre au grand public. Mais la force symbolique du récit et de ces dessins qui ne ressemblent à rien de ce qui existe, font de ce livre un ovni qui mérite d’être enregistré dans un petit coin de la mémoire artistique du XXe siècle, parmi les œuvres, nous dirons post-surréalistes, pornographico-philosophiques…

Résumé

Véra naît des amours d’un homme et d’une femme préposés au nettoyage d’un escalier reliant deux théâtres, l’un où l’on joue des œuvres du passé, l’autre des œuvres du présent. Elle n’accepte de naître qu’au bout de 3 ans de grossesse ; « elle eut donc une enfance particulièrement vaginale ». Et, particularité décisive, « elle avait 2 vagins, 2 vagins elle avait ». Ses amis d’école, « Miss Sade et son frère, le petit Maso », s’amusent à jouer au croquet avec Véra, lui envoyant des boules là où vous pensez. On doit consulter un psychiatre, qui n’en croit pas ses yeux. Le sexe du psychiatre durcit, puis quitte son corps à la poursuite de Véra. Faut-il raconter toute cette histoire surréaliste ? Les aventures se succèdent dans un road movie vaginal et psychanalytique. Un extrait graphique vous en dira plus que deux tu l’auras.

La Vie intérieure de Véra Vérité
Claude Brabant, L’usine, 1991. Extrait 1.

Véra rencontre le grand Turc dans un square, qui lui montre des photos porno, puis son sexe. Véra flashe sur la photo d’« un homme dont les sexes tournaient comme une roue aux innombrables rayons » [1] Ses parents meurent ; elle est recueillie par son oncle et sa tante, et fait la connaissance de son cousin le Manneken-Pis, qui pisse sur tout ce qu’il rencontre. Elle a ses règles et s’enfuit, dort sur la tombe de ses parents, dont un squelette sort et la prend, suivi par tous les autres squelettes. Elle saigne, et ses règles forment « une mer immense sur laquelle elle s’embarqua pour l’Amérique »… Sur le bateau, un type se transforme en Tampax par amour pour elle, et connaît une mort atroce. En Amérique, elle accouche d’un bébé à tête de mort. Je vous passe des épisodes. Le grand Turc la dépèce, l’avale, puis la vomit reconstituée. « Elle se jetait sur le premier mâle venu, qu’il soit humain ou animal, sans distinction ». Elle se tape donc des tas d’animaux. Un jour, à force de se pencher au bord de son vagin, figurez-vous qu’elle tombe dedans ! C’est là qu’elle rencontre enfin l’homme aux six sexes. Ils sont heureux, et elle « décida de rester avec lui. Au fond de son vagin avec l’homme qu’elle aime ». Elle finit par en sortir avec cet homme, qui dépérit quand elle ne fait pas l’amour avec lui. Elle abandonne son vagin, mais je vous le donne en mille, « plus elle s’éloignait de son vagin, plus celui-ci s’agrandissait pour la rejoindre » ! Elle rencontre le Père-Lachaise, qui ne peut pas se séparer de sa chaise, retrouve son fils au cimetière, et tout ça se finit en eau de boudin, mais pas loin du vagin !

Mon avis

Je me demande pourquoi je vous ai raconté l’histoire. Ce n’est qu’un support de fantasmes psychanalytiques. Que l’auteure ne sache « ni dessiner ni écrire », c’est ce dont on peut douter. Elle nous offre une histoire hors-normes, sur tous les plans, ne respecte pas la ligne claire, ça c’est sûr ma bonne dame, mais ses fantasmes dessinés font vibrer des cordes profondes. Il suffit, à l’instar de la protagoniste, de ne pas craindre d’entrer dans son propre sexe, mise en abyme de soi-même qui est sans doute la mère de toutes les explorations.

La Vie intérieure de Véra Vérité
Claude Brabant, L’usine, 1991. Extrait 2.

Que penser par exemple de l’homme aux six sexes ? Double Triskèle ? Roue bouddhiste ou tantrique ? Fantasme de l’éternité de l’amour ? Délire adolescent ? Tout cela et bien autre chose, sans doute. En tout cas, limiter ce livre à une interprétation pornographique serait une grave erreur. L’érotisme, si je puis dire, est au service de la révolution, sinon politique, du moins de la roue sur elle-même, enfin de ce sextuor de pénis.

 Lire une entrevue avec Claude Brabant
 Pour votre culture générale, vous découvrirez dans cet article que les marsupiaux ont deux vagins !

Lionel Labosse


Voir en ligne : Le site de l’éditeur


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[1C’était longtemps avant la blague sur « Bill, Tcherno-Bill » !