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Au pays des lesbiennes bien visibles, pour lycéens avertis et adultes
La Lesbienne invisible, d’Océanerosemarie & Sandrine Revel
Éditions Delcourt, 2013, 112 p., 14,95 €.
samedi 14 juin 2014
Océanerosemarie, alias Oshen, de son vrai nom Océane Michel, a connu le succès en 2009 avec le one-woman-show qui donne son titre à cette bande dessinée. Il est désormais disponible dans cette version BD mise en images par Sandrine Revel. Sans être porno, la BD n’est pas du genre sainte-Nitouche, et les documentalistes veilleront à vérifier qu’elle est recevable dans le contexte de leur établissement. La vision du lesbianisme n’est pas éthérée ; on a affaire à des lesbiennes de chair et de sang, qui vivent leurs fantasmes en liberté, et, cerise sur la pièce montée, ne songent ni homoparentalité, ni mariage. L’humour est le maître de ces planches, et chacun, lesbienne, gay, hétéro, en prend pour son grade. Un livre à recommander à tou(te)s, et surtout pas seulement en catimini aux filles qu’on suppose attirées par les filles (conception rétrograde du livre pour les jeunes abordant les thèmes altersexuels), car chacun y trouvera son compte !
Une scène inaugurale nous ramène à l’enfance d’Océanerosemarie, très préoccupée d’accoupler ses poupées féminines (et donc surtout pas de les faire jouer aux co-mamans ou aux ménagères !). Sa mère psy se rend compte du problème, et propose des tests à base d’images, dont la chute est représentative de l’humour du livre : lassée de voir sa fille interpréter les taches les plus quelconques comme des fantasmes féminins, elle finit par proposer une bite stylisée, que la petite fille imperturbable, interprète comme « Deux petits seins et un grand bras » ! Plus grande, Océanerosemarie tente le même test sur sa copine Juliette, dont elle est secrètement amoureuse, hélas, celle-ci ne voit dans les mêmes images que des fantasmes hétéros, « couilles de taureau » ou « régiment de GI faisant des pompes ». Elle finit par coucher avec un mec, son ami Thomas, mais ne pense qu’à Juliette. Elle s’inscrit au club de foot féminin de Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), composé « entre 93 et 107 % de lesbiennes », mais les vraies « gouines » la jaugent à son look, péremptoires : « T’en es pas ». On trouve à cette occasion une chanson qui reprend toutes les insultes lesbophobes, sur le modèle de l’appropriation du stigmate (p. 21). La rencontre d’une amante bisexuelle est l’occasion de petites vignettes érotiques, p. 30 (mais cela reste discret et montrable dans un établissement scolaire).
Hétérophilite aiguë
Les hétérotes en prennent pour leur grade, que ce soit celles qui croient que deux lesbiennes dans une soirée doivent forcément s’entendre, ou celles qui profitent de la présence d’une lesbienne pour raconter leur « frisson lesbien » à l’âge de 7 ans, les allumeuses, ou, plus amusant, la bombe sexuelle hyper-jalouse de son mec, qui se désenfle en apprenant que la rivale n’est qu’une lesbienne (p. 40). Il faut dire que l’héroïne, à l’instar de nombreux gays (soupir !) se révèle atteinte d’« hétérophilite aiguë », et craque sur une fille qui laisse voir sa raie en s’accroupissant (p. 50 ; re-soupir !). Le sketch « Devenir une gouine branchée » amusera beaucoup, avec ses conseils décalés que les gays prendront à leur compte : « faire la gueule il faut, surtout à la nana qui te plaît » ; « Tu la regardes carrément comme une merde ! » (p. 58). Il y a aussi le sketch sur Frédérique, la « lesbienne refoulée », pas mal aussi dans le genre allumeuse. Quand Océanerosemarie rencontre la « femme de sa vie », elle apprend que « ce n’est pas la laideur qui rend les femmes homosexuelles », leçon qui réjouira bien des lecteurs /trices ! On a droit à une double page érotique (mais point trop porno…). On relève une petite pique bien vue : le coup de foudre se concrétise en 9 jours parce que « 9 jours en temps lesbien, ça équivaut à peu près à 4 ans en temps hétéro… et 3 secondes en temps pédé » (p. 90). Puis la vie de couple entraîne une prise de poids de « 76 kilos à nous deux en trois mois », avec l’addiction aux séries télé, et c’est la rupture, pour coucher avec « le canon de Rosny-sous-Bois » (p. 95), puis une « magasinière chez Auchan » (comme quoi le fantasme du populaire ne frappe pas que le gay bobo…), puis une… et une… etc. On se réjouira de l’absence de happy-end avec mariage gay et prolifération homoparentale !
– La Lesbienne invisible bénéficie du label « Isidor ».
– En 2018, Océanerosemarie fait son 2e coming-out et devient Océan. Lire cet article du Monde. Quand Océan se présente comme lesbienne devenue un homme, mais tout en parlant de « non-binarité » et de « gender fluid » (et l’on imagine qu’il pourrait redevenir femme dans dix ans), quand le sigle « LGBT » est utilisé par la journaliste et l’invité, on sent que l’un comme l’autre auraient grandement besoin d’un mot qu’il et elle ont sur le bout de la langue, le mot « altersexualité », « altersexuel »… Allez, Océan, une petite vague de côté et tu le trouveras ce mot qui convient à ta « gender-fluidity » !
Voir en ligne : Le site officiel d’Océanerosemarie / Océan
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