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Un roman militant. 4e / 3e

H.S., d’Isabelle Chaillou

Rageot, collection Métis, 2003, 118 p., 6,5 €.

lundi 23 avril 2007

« On va finir pédés avec des meufs comme vous ! » Qui n’a pas entendu ce genre de plaisanterie dix fois par jour dans un bahut ? Mais qui s’est demandé si ce n’est pas précisément ce genre de plaisanterie qui pousse des jeunes gens fragiles au suicide ? H.S. répond magistralement à la question. L’un des meilleurs romans de notre sélection.

Résumé

Le ton est donné par une boum d’anniversaire. Les filles se réunissent pour parler, et un garçon lance : « On va finir pédés avec des meufs comme vous ! » (p. 16). Clarisse, la narratrice, n’y prête pas attention, mais elle tanne sa mère pour qu’elle la dispense du cours annuel d’éducation sexuelle, qui l’avait traumatisée l’année précédente (elle redouble), à cause des « questions débiles posées par les garçons » (p. 19). Celle-ci discute, mais ne cède pas (un modèle d’argumentation familiale), et Clarisse ne pourra que s’en féliciter, vu la suite des événements. Elle demande à sa copine Hélène, dont elle admire le sourire et l’intelligence — sans savoir que ce sourire cache un malaise profond — de l’aider à trouver une question. Puis elle s’amuse à substituer à la feuille blanche distribuée par les intervenants une feuille jaunie, de sorte qu’elle reconnaîtra les questions anonymes posées par ses amies. Or c’est sur l’une de ces feuilles que sera posée la question suivante : « Je suis homosexuelle, comment faire pour ne plus l’être ? Aidez-moi s’il vous plaît ! » Les intervenants répondent comme ils peuvent, mais Clarisse, honteuse d’avoir triché, n’aura de cesse qu’elle n’ait découvert laquelle de ses copines a posé la question, de façon à l’aider. Dans le cadre d’un exposé sur les différences, elles proposeront de s’intéresser à la Gay Pride, qui doit avoir lieu à ce moment-là. Tout cela est bien beau, mais le lecteur peut lire en parallèle le « journal du refus », dans lequel Hélène expose ses idées suicidaires et son refus de subir la tolérance. « Je ne serai jamais homosexuelle […] jamais je n’accepterai […] un mot aussi horrible. Un H affreux comme une prison, et « sexuelle » comme une « obsédée sexuelle » (p. 35). Le suicide est le deuxième thème du roman, et qu’il soit lié à l’homosexualité n’est pas pour nous étonner ; mais tous les jeunes seront touchés par ce « journal du refus », car le motif du refus pourrait être n’importe quelle autre raison qui nous cantonne dans le rôle de bouc émissaire. « Je voudrais être une bombe avec un retardateur qui explose sans un mot à la figure de ceux qui veulent m’accepter comme je suis. » Clarisse parviendra-t-elle à sauver sa copine qui veut se tuer parce qu’elle ne peut pas lui dire qu’elle est amoureusse d’elle ?

Mon avis

H.S. est un des premiers romans de notre sélection à aborder la question par le versant lesbien, même si l’auteur a choisi de préférence le mot « homosexuelle », jusqu’à reproduire l’article du Petit Robert et en proposer une réécriture. C’est un roman militant, où les choses sont dites sans concession ; c’est aussi une œuvre littéraire de qualité, qui peut s’étudier en tant que telle, au-delà d’une lecture cursive. Les passages que j’aimerais citer sont trop longs et trop nombreux. Je ne connais pas encore les autres ouvrages d’Isabelle Chaillou, mais elle a indiscutablement son style, un style cousin de celui de Marie-Aude Murail , la même façon de manier le rire et l’émotion, tout en remuant le couteau dans la plaie. On trouvera p. 29 un paragraphe hilarant sur les garçons vus par le prisme du fameux cours d’éducation sexuelle. C’est du vécu : Isabelle Chaillou est prof de français et sait faire parler les adolescents au naturel. Les chapitres de discussions familiales se prêteront à l’analyse ou au débat, que ce soit le chapitre de négociation déjà cité, les discussions avec les parents ouverts de Clarisse ou celle avec la maman plutôt fermée d’Hélène. Espérons que les élèves qui auront lu ce genre d’ouvrages deviendront pour la génération suivante des parents mieux informés sur la question. La mère d’Hélène croit que c’est son homosexualité qui la rend malheureuse, alors que c’est plutôt la fausse tolérance, dont elle-même est le meilleur exemple. Elle n’est pas homophobe, non, mais comme trop de parents pourtant sincères qui ont subi le bourrage de crâne Dolto-Antier vomi depuis des dizaines d’années sur les ondes publiques de France Inter, elle croit que c’est moins bien d’être homosexuel, et elle culpabilise parce que : « je l’ai élevée du mieux que j’ai pu… ». Et quelle meilleure introduction à un débat sur la tolérance et les différences, que l’extraordinaire chapitre sur la Gay Pride (pp. 62-74), qui propose aux jeunes une réflexion ouverte et argumentée dont peu d’adultes sont capables, à en juger par les réactions que l’on entend trop souvent, y compris chez certains LGBT ? Les réactions négatives de certains élèves joueront leur rôle de repoussoir et permettront aux jeunes lecteurs d’appuyer leurs réflexions : « Ouais, mais moi je trouve que c’est des « pédales », je ne peux pas m’en empêcher. On est des hommes, c’est pas pour se déguiser en femmes ! Ou alors faut être détraqué… » (p. 80). Une idée : demander aux élèves de trouver la question qu’aurait pu poser Clarisse lors de l’intervention. Je propose : « Pourquoi les garçons éprouvent-ils le besoin de poser des questions dégoûtantes ? »

 Cet ouvrage bénéficie du label « Isidor ».

Label Isidor HomoEdu

 Voir un article de Valérie Huchette sur Isabelle Chaillou.

Lionel Labosse


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